Au pied des châteaux des prédateurs, la misère hurle et l'île s'enfonce |
Par Max Dorismond
À voir mourir sous nos yeux un enfant pour carence de soins, à
remarquer une fillette se faire déflorer pour une bouchée de pain par un vieux
croûton, quel nom attribuer à ces désolants constats ? À quel
adjectif mortifère associer ces honteuses prestations pour mieux dessiner les
contours de ses conséquences sur le quotidien de nos congénères ? Ne remarquons-nous pas
une corrélation avec le fléau qu’est la corruption endémique au pays ?
C’est dans ce contexte que j’avais relayé les premières vidéos,
insoutenables pour les yeux et le cœur, de ces 80 malheureux, rôtis
jusqu’aux os, dans l’explosion du camion à essence du Cap-Haïtien dans la nuit
du 15 décembre, avec ce triste libellé : « Résultat de
la misère, de l’ignorance et de la prédation ».
Voyez surtout avec quelle désinvolture l’homme haïtien, prisonnier
d’une dialectique inconsciente de promotion sociale, brûle du désir d’exposer
ses gains mal acquis à la vue de tous. Cette malencontreuse habitude détonne
déjà dans le décor pour ceux qui ont soif de probité et dont l’honnêteté pousse
à l’auto sacrifice, même si le poids de la tradition est là pour perpétuer et
corseter le vice.
En se penchant sur ces fraudes routinières dans le milieu ambiant,
une myriade de questions vient chiffonner notre quotidien en essayant de les
lier à ces drames à répétition qui endeuillent le pays en opposition à la
volatilité de l’être.
Quand notre ignorance est à la source de notre inconséquence
Il est rapporté dans nos livres d’histoire que le président J-P
Boyer avait décidé de fermer toutes les écoles de la jeune nation, pour ne
conserver dans la capitale qu’un collège de filles et un lycée de garçons. Il a
même fait barricader l’Université de Santo-Domingo, la seule de l’île. Comment
mesurer de telles décisions ? Est-ce de
l’obscurantiste avoué? Est-ce de l’incompétence, de l’égoïsme, pour maîtriser
le pouvoir uniquement pour son clan instruit, et enchaîner ses frères
analphabètes à la terre ? Non ! Loin de là !
Voyez-vous, je ne veux pas cheminer dans la thématique du racisme,
car, pour ma part, ce serait faire le jeu de l’autre, de chevaucher un concept
que le caucasien a inventé de toutes pièces, aux fins de justifier ses
privilèges. Pour humilier ou catégoriser, au meilleur de ses intérêts, le métis
né de ses relations avec un ou une Noire, le mot mulâtre, dérivé du règne
animal, mule ou mulet, a été spécifiquement retenu. Mais entre eux, ce sont les
deux derniers vocables qu’ils malmènent en chuchotant pour désigner l’intrus,
le pauvre coloré qui n’avait pas choisi de naître, suite à ce rut furtif, qui
en définitive fut un viol. En réalité, dans le cas de notre J-P Boyer, par
hasard un mulâtre, il cherchait la reconnaissance de ses géniteurs. Il
travaillait sous ordre. Il était en service commandé, en tant « qu’agent francais1 » devenu président.
Comme punition, il fut déchu de la nationalité haïtienne
par le Parlement le 9 mars 1844 et banni à vie du pays.
Donc, voici les vraies raisons d’une décision désinvolte, prise
depuis plus de 200 ans, dont nous payons encore les conséquences
aujourd’hui. Tous les drames, dont nous partageons les résultats depuis le
passé jusqu’à maintenant, découlent de la troublante insouciance de cet égoïste
qui n’a pas permis à la majorité de s’instruire, de sortir de la nuit de
l’esprit.
Ainsi, sous-éduqué, sans scrupule, le corrompu s’enrichit et se
voit déjà en transition de classe. Complaisant dans sa bêtise, il ne paie ni
les taxes ni les impôts, ne respecte pas les budgets fixés, vole, non pas
simplement l’État, mais le pays dans son ensemble et chaque citoyen en
particulier.
Des corrompus ou simplement des voleurs de grand chemin.
Chez nous, l’accaparement du bien d’autrui, le dépouillement de
l’État, le siphonnage de l’impôt se révèlent être un art de vivre, une tare
endogène qui gangrènent et handicapent la nation. Selon Jacky Lumarque, recteur
de l’université Quisqueya, « En Haïti
la corruption n’existe pas… La corruption est une machine sophistiquée qui fait
appel à des mécanismes bien huilés et qui met en œuvre des outils de dissimulation
complexes et raffinés. Ici les acteurs impliqués ne prennent pas le temps de
les maîtriser. Nous avons donc affaire à des voleurs de grand chemin qui
dédaignent les précautions les plus élémentaires pour dissimuler leurs forfaits ».
Lumarque a entièrement raison. À preuve, l’exposition
spectaculaire de ces soudaines richesses est là pour prouver l’illettrisme des
acteurs. Ils ne distinguent que l’envie dans les yeux de leur voisin, au lieu
du dédain et de la rancœur. Ils n’ont jamais préjugé des résultats de leur
méfait. Chaque dollar volé entraîne un flot de malheurs non souhaités pour la
nation, et les conséquences sont criantes, et crèvent les yeux.
Le pire de tous ces scandales à refrain du « Tout le monde le
fait, fais-le donc », c’est quand on entend sur les ondes ou on visionne
sur les médias sociaux, sur YouTube, l’étalement, l’éclat de l’opulence d’une
classe de vautours vaniteux. En entendant aussi l’implication de l’Église, le
dernier gardien de la morale chrétienne, dans la contrebande de fer, de
ciments… etc, avec le grand commerce, on devine la perte des deniers publics
dans l’extinction de la taxe et de l’impôt qui devraient aider le pauvre. Où
cette descente va-t-elle s’arrêter?
Stop ! Arrêtons ici
le scénario du film d’horreur ! Un
livre entier de mille pages ne saurait suffire pour énumérer les
relations de cause à effet de cette attitude outrancière à l’origine de ces cascades
de malheur. En nous rappelant l’incident du Cap, on peut conclure que chaque
détournement de fonds transforme les pickpockets en criminels à maudire, en
escamoteurs d’envergure aux mains rouges de sang, en cleptomanes inconscients à
crucifier sur le bûcher de la vanité.
Or chez nous, l’imputabilité est à somme nulle. En l’absence de
justice, aucun de ces irresponsables ne risque la prison pour y réfléchir un
tout petit peu. L’unique manière de les sensibiliser, c’est par l’éducation, et
rien d’autre que l’éducation !
Max Dorismond |
– NOTE –
1 — Un double jeu et d’autres escroqueries ont été démontrés plus
tard lorsque J-P Boyer a été déchu de sa citoyenneté par le Parlement le
9 mars 1844. Src. : Démystifier l’histoire — Mythes et légendes
d’Haïti (Page 214. Jacques Casimir).
Mon cher Max,
ReplyDeleteCrois-moi, je ne manque pas de lecture ces jours-ciet un peu grâce à toi.
Après le Père Goriot de Blzac que mon mari aimait particulièrement, je lisDerrière l'épaule Françoise Sagan, puis un roman drôle, poétique...dont l'auteure est une Islandaise: Audur Ava Ôlafsdòttire, nom aussi compliqué que certaines exprsions islandaises de l'auteure.
Avec toutes ces savantes lectures, je viens d'y ajouter le long plaidoiement pour remettre notre malade sur pied : notre Haïti chérie.
Crois-moi, j'ai djà parcouru le plaidoyer de plusieurs ntervenants, dont le tien, et Dieu Sait que j'en ai pour la moitié de l'hiver.
J'ai trouvé les interventions de ces compatriotes intellectuels d'une rare justesse. Mon Dieu ! notre pays est riche de culture ! Il ne fait aucun doute que toutes ces fructueuses idées mises ensemble, on finira par s'en sortir.
La seule question est : pourra-ton y arriver sans violence ? Comment croire que seul le dialogue pourra convaincre quelqu'un de déposer les armes ?
Il est plus facilede passer de l'autre côté de la clôture où se passe la corruption que du côté de la sagesse et de l'honèteté.
Le mal a cangrené cette partie de la population qui, fatigué de vivre dans la pauvreté et voulant s'enrichir rapidement, est passée à une violente rébellion.
Peut-être que notre mère l'Afrique, le président du Rwanda par exemple, nous donnerait la solution magique pour calmer les esprits et les ramener à la raison.
Enfin, n'ayant pas terminé cette longue lecture, on en reparlera de nouveau.
Ton second texte dont les termes sont fort pertinents, nous invite à une profonde réflexion. Après l'exploration de quelques avenues, je te dirai ce que j'en pense.
Décidément mon cher Max, si je mourrais dans les prochains jours, Il se pourrait que Saint-Pierre, après un interrogatoire serré, me relègue dans le coin des cancres.
Bien à toi et félicitations pour ta plume dont l'encre ne sèche jamais.
Amitiés,
Janine. R.M.
Great explanations by Max, I enjoy the reading
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