Qui était Maxime Roumer?
Maxime et sa soeur Mathé |
Bien que les caprices de l’émigration et des études à l’étranger nous aient séparés, Maxime et moi, depuis plus de 50 ans, nous sommes restés assez proches l’un de l’autre pour que je puisse tenter de retracer son parcours avec de bonnes chances d’y parvenir.
Né à Jérémie en 1950 de mère Lavaud et de père Roumer, Maxime portait en lui les gènes de ces deux familles. Sans avoir jamais eu les moyens financiers de son oncle Nono Lavaud, le seigneur de Nan Goudwon, il en avait la générosité et, comme lui, il cultiva toute sa vie l’amour des autres. Des Roumer, il tenait le goût des lettres, l’amour de la mer, la passion des arts. Maxime portait tout cela en lui et il devient par les vertus combinées de l’exemple et de l’éducation une agréable synthèse de ces deux lignées.
J’ai consacré à Nono Lavaud des pages entières du tome 1er de De mémoire de Jérémien où je retrouve un grand nombre de traits de caractère et de comportement similaires à ceux de Maxime, notamment la conception du patron bon père de famille; la générosité, la conscience de la solidarité, nécessaire dans les principes mais inexistante dans la réalité, entre le patronat, la classe ouvrière et la paysannerie. De même, le chapitre du tome 2 relatif à Émile Roumer nous montre, à travers la vie, l’œuvre et les confidences du poète un anticonformiste, un socialiste chrétien, anarcho sur les bords, et un anti-américain viscéral. Selon toutes les apparences, Maxime était une synthèse de ces deux oncles.
Entré à l’École Frère Paulin de Jérémie à 5 ans, Maxime se rend compte rapidement qu’il grandit plus vite que ses condisciples et il prend l’habitude de se courber le dos pour paraître moins grand. Il gardera cette posture toute la vie. Au début, c’est un élève comme les autres, ni surdoué ni lourdaud, mais au fil des années, il souffre d’une telle fatigue qu’on le garde à la maison le vendredi. Comme il apprend très vite, ces journées perdues seront vite rattrapées. On finira par découvrir qu’il grandissait trop vite, ce qui entraînait une carence de vitamines.
Sa haute taille lui confère un avantage marqué au volleyball. Jeanhérold Cayemitte se souvient qu’il retournait toutes les balles aériennes, mais sa véritable passion était la mer. Il est encore au primaire quand il confectionne son propre pipirit sur lequel il passe des heures les jours de congé. Fils de dayiva et dayiva lui-même, il s’aventure dans la mer jusqu’à perte de vue, mais cela n’inquiète nullement les parents dont la cour arrière donne directement sur l’océan. Ils savent qu’il reviendra. D’autant plus qu’il suit en cela l’exemple de son père pour qui la natation est une sorte de raison de vivre. Réveillé très tôt le matin, Antoine Roumer se jetait à l’eau, nageait jusqu’à l’embouchure de la Grand’Anse et remontait souvent le fleuve jusqu’au pont. Il était de notoriété publique à Jérémie qu’il avait traversé la Tamise à la nage quand il étudiait en Angleterre.
C’est dans ces aventures d’apprenti marin que se sont développés chez lui l’habitude de la solitude, le mépris du danger et un amour inconditionnel de la liberté. Au Collège Saint-Louis où il fait son secondaire, il suit son chemin sans faire de vagues et gratte la guitare pour se distraire. Cela l’aidera à s’intégrer aux jeunes de son quartier quand il rentrera à Port-au-Prince pour sa philo. Là, il se lie d’amitié avec Boulot Valcourt, Ansy Dérose et avec les écrivains de gauche engagés dans la lutte contre la dictature. Avec son cousin Maxon Charlier, il milite dans des mouvements politiques clandestins et échappe comme par miracle à l’arrestation et à la torture.
Maxime posant avec son beau-frère |
Voilà pour la tranche la moins connue de sa vie d’homme public. Ses études secondaires terminées, il entre à la Faculté de Droit et de Sciences Économiques, s’inscrit à l’INAGHEI et au Centre de formation des statisticiens (CEFORS) et décroche les trois diplômes presque en même temps. Il commence alors une carrière à l’Institut Haïtien de statistique et d’informatique et ne tarde pas à accéder au poste de chef de la section des calculs.
Au début des années 1970, il sort lauréat d’un concours organisé par l’ambassade de France pour l’octroi d’une bourse d’études du Quai d’Orsay et part pour l’étranger. Il y restera 15 ans et ne reviendra qu’en 1987, après le renversement de la dictature. Cette tranche de sa vie aura été décisive dans le façonnement de sa personnalité. Il combine études et travail, militantisme politique et activités communautaires et il vit pleinement sa philosophie du partage. Les portes de son minuscule appartement sont toujours ouvertes aux compatriotes dans le besoin, étudiants, sans-papiers, militants de toutes les nobles causes. Il doit alors compléter son traitement de professeur et se trouver un emploi de nuit, celui de concierge dans un petit hôtel de la région parisienne. Ses compagnons de lutte sont alors Ulrick Joly, Gérard Campfort, Gérard Aubourg, Lucien Baron et les autres militants qui créeront plus tard la revue Pour Haïti.
Quand Maxime rentre au pays en 1987, il enseigne à l’Université et il participe à tous les combats menés pour l’instauration d’un ordre nouveau. Les témoignages relatés dans la première partie de l’article en disent suffisamment sur cette tranche de sa vie pour que nous n’ayons pas à y revenir. De même, les activités politiques de cet ancien trotskiste dans la Grand’Anse et ses mandats au Sénat ont été très médiatisés et sont donc bien connus du public.
Cet homme de pensée et d’action était aussi un artiste né. Avec sa sœur Mathé, il s’essaie très tôt au dessin et ajoutera par la suite les couleurs à sa production. La peinture lui tiendra lieu de refuge durant toute sa vie d’adulte, et très peu de gens savent que, lorsqu’il courait les vernissages à Port-au-Prince, il ne le faisait pas en dilettante, mais en artiste-peintre et en connaisseur. Cet aspect de sa vie et de ses activités n’a pas échappé au très perspicace chroniqueur et écrivain Pierre-Raymond Dumas qui voyait en lui un « Jérémien pur-sang ». Dans un article paru dans Le Nouvelliste du 4 mars 2015, Dumas écrivait :
« Maxime Roumer, le sénateur, qui s’ennuie d’habitude entre une séance à huis clos et une audition ministérielle, est plus artiste qu’il ne le paraît. Partout, comme on le sait, il s’instruit, réfléchit, discute, étudie, tout en érudition et en finesse. Son travail, sporadique et saccadé, de «faux-vrai» peintre du dimanche, lui permet de raconter l’histoire de son pays sous la forme d’une tragi-comédie d’une incandescente drôlerie. »
Place des Bustes Jean Briere, Émile Roumer, Etzer Vilaire |
Retiré de la politique, il s’occupe au tournant du millénaire de la formation technique et professionnelle des jeunes de son département, de la mise en place d’une infrastructure agricole et industrielle et de conscientisation et d’émulation socialiste. Il a gagné la première manche de cette partie si l’on en juge par la manifestation de sympathie colossale organisée le 12 mai dernier pour célébrer son 71e anniversaire et par les projets grandioses que ses amis et collègues désirent mettre en œuvre dans les années à venir, notamment pour sauvegarder son héritage culturel.
Comme passe-temps, Maxime a lutté ces derniers temps pour l’embellissement de sa ville menacée de décrépitude et d’abandon par le laisser-aller caractéristique de la nouvelle vision du pays. Dans cet ordre d’idées, il a obtenu de la Mairie qu’elle aménage à l’entrée de Bordes la charmante petite place ci-dessus honorant la mémoire de trois grands noms de la littérature de la ville et du pays : Jean Brierre, Émile Roumer et Etzer Vilaire.
Au moment de te dire adieu, Maxime, seul me vient à l’esprit ce mot célèbre du marquis de Pastoret gravé sur le fronton du Panthéon : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante. »
Eddy Cavé
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