Par NICOLAS BÉRUBÉ
LA PRESSE



L’incapacité de Donald Trump et de ses partisans à accepter la défaite est dangereuse, tant pour les États-Unis que pour le reste du monde, croit la Dre Bandy X. Lee, psychiatre légiste à l’Université Yale et auteure du best-seller The Dangerous Case of Donald Trump et du nouveau livre Profile of a Nation : Trump’s Mind, America’s Soul, publié le mois dernier. La Presse lui a parlé.

Le président Donald Trump et ses partisans refusent de reconnaître la victoire de Joe Biden, une première dans l’histoire moderne des États-Unis. Vous êtes d’avis que les spécialistes en santé mentale sont plus aptes à expliquer le comportement du président et de ses partisans que les politologues. Pourquoi ?

Premièrement, c’est impossible de faire un diagnostic de Donald Trump sans l’avoir évalué en vue d’un traitement. Mais d’un point de vue de santé publique, Trump a montré des signes de dangerosité psychologique depuis le début de sa présidence, et d’incapacité mentale depuis avril 2019, quand moi et 36 autres psychiatres et experts en santé mentale avons attiré l’attention sur cette question. 

Trump répand cette dangerosité psychologique chez ses partisans. Vous pouvez voir qu’ils ne sont pas rationnels parce qu’ils sont incapables d’absorber des faits et des preuves. Toute information qui ne confirme pas leurs croyances est rejetée. Ils sont aussi susceptibles d’avoir recours à la violence lorsqu’on les confronte : leur réponse naturelle est de se mettre en colère et d’attaquer plutôt que de changer leurs croyances pour qu’elles reflètent la réalité. 

En psychologie, nous avons un phénomène appelé « folie à millions », connu et documenté depuis 150 ans, qui résulte de l’adoption massive des théories d’un individu qui a perdu contact avec la réalité. La force émotive derrière les symptômes les fait se répandre plus rapidement et facilement que des mensonges ou de la désinformation se répandraient habituellement. Cela se produit actuellement aux États-Unis. 

Bien sûr, quand mes collègues et moi disons cela, les partisans du président Trump s’y opposent avec véhémence. L’un des indicateurs de la gravité des symptômes d’un trouble mental est de nier le problème. Une personne en santé sera toujours capable d’avoir un doute et d’être ouverte à la possibilité qu’elle a un problème. Mais lorsque vous refusez d’entendre quoi que ce soit, que vous dites, comme Trump, que vous êtes un « génie très stable », que vous ne faites jamais d’erreur, que vous avez toujours raison, c’est là que c’est inquiétant.

Vous dites que nous entrons dans la phase la plus dangereuse de la présidence de Donald Trump. Pourquoi ?

Parce que la menace ultime à sa survie psychique est maintenant réalisée. Le problème n’est pas tant de perdre la fonction de la présidence — Trump se fout bien de la fonction de la présidence —, mais de perdre l’adulation, l’approbation, le pouvoir que la présidence lui apportait. C’est ce qui l’a poussé à devenir président en premier lieu.

En plus des risques de poursuites judiciaires et des risques de ne plus avoir un sou, Donald Trump va aussi perdre les foules qui s’étaient réunies autour de lui et qu’il pouvait facilement manipuler et séduire. 

Il est dans le combat de sa vie. C’est une question de survie psychique, et quand un esprit troublé en arrive là, il est susceptible de répondre avec de la rage, de la vengeance. La sécurité des États-Unis, voire du monde, peut être mise en péril. Donald Trump est maintenant plus dangereux que jamais. De toute la présidence de Trump, les trois prochains mois sont ceux qui m’inquiètent le plus. 

Les partisans de Donald Trump vont-ils changer une fois que Trump ne sera plus à la Maison-Blanche ?

 

Trump voudra probablement être à nouveau le candidat républicain, continuer à être dans les médias. Il faudra voir si les médias continueront de lui permettre de propager sa pathologie.

 

Toutefois, s’il devait s’en aller, il y aurait un certain retour à la normale, mais je crois que la population continuera à être vulnérable pendant un certain temps. Ses partisans vont rechercher un autre surhomme, une autre idole.

 

Sans Trump, la partie émotive du problème sera résolue. Mais la partie cognitive va continuer. Nous avons aux États-Unis des chaînes de divertissement à la télé et sur le Net qui disent qu’elles font des « nouvelles », et qui continueront de diffuser des fausses informations et de dire aux gens comment penser. Cela doit cesser.

Il est aussi important que les conditions socioéconomiques qui ont permis la montée en puissance de la vulnérabilité à quelqu’un comme Donald Trump soient réglées. Je pense surtout à la montée des inégalités, car c’est la pauvreté relative qui est plus blessante psychologiquement que la pauvreté absolue. C’est pourquoi un large segment de la population est devenu vulnérable psychologiquement face à un prédateur qui était prêt à l’exploiter et à le manipuler.