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Wednesday, November 25, 2020

GRAHN – Diaspora – Haïti : une trilogie toxique

              GRAHN: Institut des Sciences des Technologies et des Études Avancées d'Haïti à Milot.                                                              


Par Max Dorismond

En lisant l’article de Nancy Roc, sur Alter-Presse*1, [19-10-2020], résumant les 10 ans de GRAHN - Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle - j’ai été chiffonné par son constat assez légitime, qui me laisse dans une sorte de léthargie mortifère, tant mon étonnement fut singulier.  

Avec toute la bonne foi et toute la sincérité déployée par plus de 500 scientifiques ou professionnels haïtiens et étrangers, pour offrir à la nation, ce qu’il y a de mieux, les bons samaritains de Grahn-Monde, qui pensaient croiser le fer avec le destin d’une nation marquée par les déveines, ne récoltent que les fruits aigres-doux de la surprise. En fait, le désintéressement des décideurs de l’élite économique ou la tiédeur des détenteurs du pouvoir passé et présent, laissent à désirer devant leurs projets si innovants et porteurs d’espoir pour la modernité. 

Au départ, le titre bien choisi de l’article, « Les Haïtiens sous-estiment le plus beau cadeau offert à Haïti », annonce sa couleur. Il s’avère réellement navrant, extrêmement déprimant. Ce qui augure bien de lendemains incertains pour cet effort titanesque de ces revenants, armés uniquement de leur rêve pour ressusciter le pays moribond. 

Et la journaliste continue, parlant de l’Académie des Sciences : « Un cadeau de taille totalement ignoré par les autorités haïtiennes… Haïti était le seul pays de la Caraïbe qui ne s’était pas doté d’une [telle] Académie. Ce vide a été comblé par Grahn-Monde en 2016 ». 

Telle une supplication, elle a rapporté l’invitation du Président de Grahn, le Dr-Pr. Samuel Pierre qui réitère, un peu agacé : « Dites-leur qu’il y a ces projets (25 en tout), supportez-les et réalisez-les ! Nous avons fait la preuve de leur faisabilité… On est ouvert à ça, car on ne travaille pas pour un parti politique ; notre seul parti, c’est Haïti! ». Et Mme Roc, de renchérir : « Leur appel n’a pourtant pas été entendu et Haïti est en train, une fois de plus, de perdre une opportunité ». Plus navrant que cela, tu meurs! Et c’est une certitude pour l’expatrié qui brûle de ce désir d’aider. Notre prolifique Dr. Jean Mathurin l’avait déjà constatée : « Vivre avec l’image d’Haïti, c’est mourir tous les jours! ». 

La cause première de ce désintéressement proverbial

Pour éclairer la lanterne des sceptiques, permettez que je m’appuie sur une anecdote surannée, aux accents contemporains, déroulée en 1937, dans le canton de Moron, bourgade située à 24 km de Jérémie, pour vous décrire ce type de mentalité axée sur l’égocentrisme, que couvent nos politiciens, nos élites, depuis des générations. 

Suite à une visite du président Sténio Vincent dans la Grand’Anse, Me. Félix Philantrope*2, le meilleur avocat de l’époque, prépara, sur commande, un discours de bienvenue, très chaleureux, qui sera prononcé par Joseph Bélizaire, alias Ti Joe Bélizaire*3, candidat à la députation de Moron et les régions subsidiaires. 

Ce jour-là, les mains nues, le cœur altier, et sûr de son texte mémorisé, le candidat, dans une envolée oratoire, digne des grands tribuns de l’Europe de 1791, avait ébloui la galerie. Même si 95% de l’assistance étaient analphabètes, tout le patelin se congratulait : francé fè micalaw*4. Les applaudissements nourris des invités ne laissaient aucun doute sur les chances du candidat-député. Le président, médusé de découvrir ce Robespierre de l’arrière-pays, acquiesça d’un sourire cordial. 

Entretemps, dans l’euphorie, un des officiels en profita pour vendre, en quelques secondes, son poulain au 1er magistrat de la nation. Il se pencha à son oreille et lui suggéra de soutenir Ti Joe Bélizaire sur la route du Parlement. 

La réponse du président ne se fit pas attendre. Du tac au tac, il rétorqua : « Ou fout fou! Nèg ki pale fransé tan kou blan sa a! Se plas mwen an ou vle l’ vinn pran*5 ». Et Joe Bélizaire, victime de l’obscurantisme qui a douché ses espoirs, ne fut jamais élu député de Moron. 

En repensant à la célèbre diatribe du Pr Manigat, qui soutint « qu’il y a une lutte constante contre l’intelligence dans ce pays », nous pourrons ajouter que la rédemption tant rêvée pour cette nation risque d’attendre encore un autre siècle. 

Depuis toujours, sur cette île allergique à la connaissance, si on rêve de décrocher la lune, il valait mieux jouer au con avec les cons et cacher son érudition, à l’instar de l’élite d’affaires, très instruite et diplômée des meilleures universités d’outre-mer. Cette dernière expose le faux tableau d’un groupe composé d’abrutis et d’ignares, pour mieux manipuler les clowns du pouvoir, détenteurs de l’assiette au beurre. C’est viscéral. Rien n’a changé sous le ciel bleu d’Haïti-Toma! 

Donc, tous ces détours rocambolesques résument ma façon d’exposer les raisons de la nonchalance de nos dirigeants envers GRAHN, ce think-thank de l’espoir, inspiré d’humanisme, qui « veut donner un sens à la vie », avec sa cargaison de plus de 500 scientifiques et intellectuels de toutes disciplines, dédiés à sa cause, à l’aube de l’Intelligence Artificielle (IA).

Si nos politiciens avaient à cœur le bonheur, le bien-être de leurs collectivités, leur premier geste aurait été de saisir ces mains altruistes, venues des quatre coins du monde, pour redonner vie à l’agonisant en phase terminale. Avec des projets aussi électrisants, de ces scientifiques dévoués et ultra expérimentés, qui ont laissé leurs empreintes dans la réussite des pays Occidentaux : Que voudrait, Haïti, de plus? 

La majorité de nos compatriotes devraient extirper de leur idée cette fausse conception, que le pouvoir demeure le socle de lancement de la fusée de la richesse. Cette certitude débilitante nous transforme, depuis notre jeune âge, en corrompus précoces à idée fixe, élevés dans l’étoffe de la magouille. La faiblesse de nos institutions scolaires, incapables d'inculquer à nos jeunes l’esprit de créativité, l’esprit d’inventivité, se révèle un des ferments de la vocation innée de ces rêveurs impénitents, issus d’une jeunesse à la fois victime et bourreau d’une culture toxique. De cette carence, nous sommes condamnés à toujours sculpter, de nos mains, nos propres dictateurs à placer à la tête de la nation. 

Or, ces scientifiques expérimentés de GRAHN, ne sont-ils pas, précisément, les unités dédiées à créer un « Aysien nouveau, un Aysien tou nèf », avec des possibilités multisectorielles, destinées à nous catapulter vers le nirvana? Ce serait le point de départ vers une certaine sécurité, une certaine stabilité chère à l’investisseur, tant national qu’international. 

Solution : l’exemple des autres devrait aiguiller nos décisions.

Si certaines nations émergentes, telles que l’Inde, le Ghana, le Rwanda, le Botswana, le Vietnam, la Thaïlande, la Corée-du-Sud, pour relancer leur économie défaillante, avaient rapatrié leur diaspora instruite et expérimentée, ce ne fut pas par sympathie ou par compassion, mais au préalable, par prévoyance, par opportunisme, pour exploiter le filon providentiel de leurs brillants cerveaux. 

Aujourd’hui les fruits ont respecté la promesse des fleurs. Les scientifiques indiens réintégrés, ont contribué à l’émergence de leur pays à tous les niveaux. 2019 fut « L’année du grand retour » au Ghana, sous l’instigation du président Nana Akufo-Addo. Tandis-que, chez-nous, la tradition continue et la formule, inscrite en lettre de sang, sur la banderole virtuelle, nous avertit péremptoirement : « Diaspora rete lwin. Kampe sou bwizin ou! Ou pap fout vin pran plas nou*6 ». Quel salmanaza!*7   Kilè inyorans ap sispann anestezy rezonman nou???  Hum! Se rèl kay MaK-Orel*8! 

MaxDorismond mx20005@yahoo.ca







NOTE

1 – L’article de N. Roc : https://www.alterpresse.org/spip.php?article26306#.X5A8jBlKuyU

2 – Maître Félix Philantrope est le père de mes amis et congénères : Valère-C. Philantrope, Roseline Philantrope, Marc-Antoine Gauthier, feu         Julio Gauthier, Nephtalie Gauthier…etc.

3 – Joe Bélizaire est le père de feu l’ingénieur Danel Bélizaire décédé en juillet 2018.

4 – « Francé fè micalaw : « Le discours était riche en contenu de la langue de Molière »

5 – « Ou fout fou…» Avec ce gars qui s’exprime aussi bien! Ma présidence serait en danger!

6 – « Diaspora rete lwin… » : « Diaspora stop. Reste au loin. Y’a aucun job pour toi. »

7 – Quel salmanaza : Quelle idiotie, bêtise, erreur etc…

8 – Kilè iyorans… : Quand l’ignorance cessera-t-elle de nous retarder? C’est alarmant!


7 comments:

  1. Mon vieux,
    J’aime beaucoup ton texte parce qu’il est axé sur l’analyse et non le .
    À chacun ses goûts. Salutations à Jacqueline!
    AJ

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  2. Tellement bien dit, cher Max.....
    Rodrigue!

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  3. MaxD monchè,
    Eskize m, sans commentaire, voir la citation suivante, en toute objectivité, avec moins d’émotivité et avec espoir. Kenbe fò!
    « Le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (GRAHN) a publié un ouvrage collectif intitulé « Construction d’une Haïti nouvelle ». Cinq ans plus tard, le groupe a lancé en juin 2015 à Montréal un projet pilote : le Pôle d’innovation du Grand Nord (PIGraN) qui vise à transformer le Grand Nord d’Haïti en un véritable pôle d’innovation construit autour d’une vraie cité du savoir. Le maire de Milot a transmis au GRAHN 28 hectares de terre à Génipailler, 3e section communale de Milot, qui se présente désormais comme la ville de la Citadelle Laferrière, du Palais Sans-Souci et [de] la [C]ité du savoir. Le projet de construction s’étendra sur une durée de 10 ans. Il s’agit du plus grand projet qui sera implémenté en Haïti au cours des 50 dernières années. »
    B. Fleury

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    1. Mon cher B.F
      Notre espoir sera la dernière étincelle à perdre son élan. En tant qu’un des membres fondateurs de GRAHN, j’ai pour devoir de fouetter les ardeurs des attiédis, pour maintenir la flamme. Je connais tous ceux qui ont apporté leur légère contribution, mais c’est trop peu par rapport à l’ampleur du rêve qui s’était fixé sur une durée de 30 ans. Après 10 ans, Nancy Rock et Samuel ont constaté cette lenteur et ont réagi tous les deux dans le texte sur AlterPresse. Si PiGRAHN après 10 ans n’est pas achevé, que devrions-nous attendre de PiGRAHC et de PiGRAHS?
      Par conséquent, nous sommes condamnés à interpeller les autres égoïstes de chez-nous, riches à million et qui ramassent l’argent à la pelle, sans payer un « louis » d'impôt.
      Les félicitations reçues de Samuel et d’autres « Granules » pour le texte, en sont une preuve que l’article est arrivé à point nommé.
      Merci mon cher Bergman. Au plaisir de vous lire.
      MaxD

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    2. Max monchè,
      Merci pour ton message.
      C'est très exceptionnellement que j'ai réagi à ton texte d'hier, étant plus habitué à privilégier l'écoute des autres et mes humbles possibilités d'action concrète, particulièrement en ce qui concerne Haïti.
      Mwen pa nèg ki abitye ni jije aksyon lòt konpatriyòt konsekan, ni ki fò nan pran lapawòl sòf lè mwen panse sa kapab util pou ede batay la avanse.
      Moi aussi, comme "Granule" de la première heure, j'applaudis tout geste visant à encourager un très grand kole-zepòl avec GRAHN et tout dialogue positif au sein même de l'organisation.
      Ma réaction à ton article vise justement à encourager un dialogue en faveur d'une approche de la promotion du GRAHN en signalant / soulignant aussi les exemples, peu nombreux mais significatifs, de ceux qui soutiennent le GRAHN en Haïti même, en évitant une opposition entre l'intérieur et la diaspora (les facteurs de division entre Haïtiens étant déjà trop nombreux).
      Le geste du maire de Milo, à titre de mandataire municipal de l'État haïtien, est seulement l'un de ces exemples positifs, suivi notamment des fondations haïtiennes qui soutiennent financièrement des projets du GRAHN. L'intervention du président de C.A. de la Fondation Unibank lors du dernier brunch illustre également le fait que certains acteurs nationaux peuvent assumer leur responsabilité sociale en partenariat avec une organisation crédible de la diaspora.
      Je pense que nos difficultés et échecs collectifs sont tellement nombreux et parfois décourageants, et les exemples réussis de kole-zepòl durables sont si peu nombreux que les succès méritent d'être soulignés. Ceux-ci peuvent aider à démonter notre capacité de réaliser "L'union fait la force." et à prendre ces réussites comme modèles de solidarité.
      Bref, ce qu'humblement je suggère est:
      1- d'éviter une pratique potentiellement non productive d'opposer trop souvent Haïtiens de l'intérieur et ceux de la diaspora,
      2- de bâtir l'espoir, non pas sur le rappel répétitif de nos malheurs, mais sur des exemples de réussites et sur des propositions de projets prometteurs,
      3- de continuer à interpeller la responsabilité de l'État haïtien et celle de l'ensemble des citoyennes et citoyens (ni anndan ni nan dyaspora) qui ont la capacité de soutenir concrètement le GRAHN particulièrement.
      Mwen swete kòmantè sa yo ede konprann rezon ki te fè m reponn mesaj ou te voye 26 novanm lan.
      Kenbe fò!
      Bergman Fleury

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    3. Chers amis,
      Je partage les propos du "Granule" Bergman : appuyer " tout geste visant à encourager un très grand kole-zepòl avec GRAHN et tout dialogue positif au sein même de l'organisation." Mais, c'est plutôt la Fondation SOGEBANK qui nous appuie.
      Amicalement
      S.P.

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  4. Ce cri nous va droit au coeur, surtout nous autres qui sommes retournés au pays depuis 23 ans, et qui ont construit avec les moyens du bord une institution d'envergure dans l'arrière-pays (mordus de la décentralisation que nous sommes), et qui confrontons à présent les effets néfastes de l'insécurité et des difficultés inhérentes au milieu où nous nous sommes établis. Oui certes, il est grand temps que les élites du pays reconnaissent la valeur de cette mine d'or qu'est la diaspora Ayisienne dans la lutte pour la réhabilitation du pays à tous les points de vue, mais particulièrement socio-économique, culturel, et spirituel. Ayibobo! pour GRAHN.

    Gerdès Fleurant, Ph.D.
    Professeur émerite, Wellesley College
    Co-fondateur du Projet Gawou Ginou,
    Mirebalais, Ayiti

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