Une nation qui se trouve estampillée du sceau tragique du destin |
Dans le faisceau de réflexions qui chevauche la pensée de chacun de mes congénères, en ces temps de crises à fermeture-éclair, je reviens avec cette brûlante interrogation qui chiffonne le quotidien de quelques-uns d’entre nous.
Depuis plus de trois ans, l’aiguille de l’incongrue tourne dans le vide : c’est la violence gratuite. Le peuple est aux abois, la famine s’est invitée dans le décor. La fuite ou le sauve-qui-peut demeure l’unique solution. Aucune classe sociale n’est épargnée. La balle solitaire n’a ni couleur ni odeur et les accidents se comptent par centaines. Même à l’intérieur de chez soi, la protection est illusoire.
Dans les faits, on parle de trois années de crises, d’autres les étirent sur 37 ans, en l’occurrence, depuis le départ des Duvalier. Mais, personnellement, je pourrais remonter à la naissance même de la nation. Au cours de mes recherches à propos de notre mal-être, j’ai eu à me convaincre de la réalité après la lecture de certains ouvrages, dont le plus accrocheur demeure celui d’Eddy Cavé, « Haiti : Extermination des Pères fondateurs et pratiques d'exclusion », pour lequel j’aurai à rédiger plus tard un article.
En remontant le cours de notre Histoire, nous avons remarqué le tour de passe-passe que les esclaves avaient joué aux Français grâce aux armes qu’ils avaient obtenues de Sonthonax1. En sous-estimant ces hommes qui n’étaient, à ses yeux, que des biens meubles, la France a pris en 1793 cette fatale décision, qui allait radicalement modifier la géopolitique de l’Occident. Sans cette révolution, le système de prévarication aurait été encore pire pour le petit monde.
Ce n’est pas tous les jours que la chance sourit aux infortunés. Cela n’arrive que tous les deux siècles. Justement, Haïti, par un heureux ou malheureux hasard, s’est retrouvée de nouveau sur le chemin de cette opportunité, pour changer ou empirer l’ordre événementiel.
En effet, des ambitieux, des coquins de tout poil, qui rêvent de faire main basse sur tout ce qui est « espèces sonnantes et trébuchantes », ont, dans leur plan machiavélique, attisé le feu de la violence, en armant des hordes de jeunes désœuvrés du pays. Des armes de guerre circulent librement. Même l’Église s’est acoquinée avec les malfaiteurs. La corruption est devenue un art de vivre. Plus de morale, plus d’humanité, pourvu que le fric soit au rendez-vous.
Inquiet et médusé, le public s’interroge et ne sait où donner de la tête avec ce pays flottant depuis belle lurette sur une mer d’incertitude. Avec ces jeunes surarmés, il va jusqu’à rêver, même en 2023, de la réédition de la geste des esclaves de Saint-Domingue, ayant saisi l’opportunité offerte par Sonthonax en 1793 pour monter à l’assaut du pouvoir chancelant de la Métropole, de manière à mettre hors d’état de nuire ces oligarques de tout poil qui lessivent la République depuis des lustres.
Malheureusement, cette messianique intention n’a jamais effleuré l’esprit de ces marmots en mal de jouissance, qui préfèrent jouer au « cowboy Johnny » face à la caméra. Avec le vide institutionnel et la faiblesse de la police plus ou moins corrompue, le champ aurait été libre pour ces desperados pour attaquer leurs providentiels fournisseurs d’armes et de munitions et nettoyer la nation.
Mais, ce n’était pas leur credo. Pour rentabiliser leurs cadeaux, ils ont commencé, par kidnapper leurs propres frères et sœurs, des pauvres sans le sou, à violer les femmes et à assassiner sur commande. Ils se délectent dans ce panorama. Le crime est productif, mais pour combien de temps ?
Étant très jeunes, de la génération post-Duvalier, ils n’ont pas connaissance qu’en 1957, un certain Papa Doc avait posé le même geste avec leurs grands-parents, qui avaient reçu à « titre de diplôme », un revolver pour gagner leur vie. Ce geste irresponsable de François Duvalier avait figé Haïti dans une paix de cimetière. Leurs commanditaires actuels auraient dû réfléchir à notre descente aux enfers, depuis lors, avant de distribuer ces armes létales au premier idiot venu. Cet ultime effort n’est pas l’apanage de nos congénères.
Et pourtant, l’un des chefs de file, un dénommé Jimmy Chérizier, alias Barbecue, avait généré quelques espoirs en fédérant plusieurs groupuscules (Groupe G9 et fanmi…). Avec le vocable « révolution » sur ses lèvres, lors de ses conférences de presse, il avait attiré notre regard sur l’effroyable calamité des bas-fonds de Port-au-Prince. Il avait plus ou moins gagné certaines sympathies. Ses vidéos étalaient, exposaient, à partir de La Saline, des images de fin du monde de la misère noire dans toute sa laideur. Cette dynamique de rationalité avait apporté une certaine lueur dans le cœur des estropiés de la vie qui y résident.
En réalité, plusieurs pensaient qu’il caressait un plan pour marcher sur le Palais, pour décrotter les écuries d’Augias en débarrassant le pays de tous ces spoliateurs, qui le sucent jusqu’à l’indigestion. Malheureusement, ce n’était qu’un rêve, de la propagande pure et simple, du mauvais marketing d’un gangster sans aucune idéologie.
Le phénomène du « Bwa Kale »
Déçu et découragé, le petit peuple livré à lui-même s’est réveillé de sa torpeur pour éliminer ces nouvelles pieuvres du décor, sous le parapluie de l’opération « Bwa kale2 ». Ces apprenties sangsues sont pires que leurs maîtres. D’ailleurs, ils sont tous des condamnés à mort qui vivotent sur du temps emprunté. La lente agonie, au bout de son sang, du chef de gangs « Ti Makak » de La Boule, en dit long sur leur naïveté. Sa compréhension tardive du jeu de son marionnettiste de commanditaire, sa complainte finale rapportée par Michel Soukar3 dans « le Point » du 24 mai 2023, nous arrache malgré tout, une larme furtive.
Malheureusement, une telle chance ne s’éclot que rarement. Donc, Haïti vient de rater sa deuxième indépendance. Notre génération va laisser le train avec un certain regret. Cette rédemption ne sera pas pour demain. Le bateau ivre continue sa route, comme à l’ordinaire. Le désespoir a toujours une nation, qui se trouve estampillée du sceau du tragique. Hélas !
Max Dorismond |
– NOTE —
1 — Sonthonax : abolitionniste convaincu, envoyé par l’Assemblée Législative de la France à Saint-Domingue en 1792, Léger-Félicité Sonthonax entra dans l’histoire en prenant, le 29 août 1793 et pour la première fois dans l’Histoire, la décision d’abolir l’esclavage dans le Nord de la colonie.2 — Bwa Kale (prononcez Bois Calé). Bâton utilisé pour mettre à mort les bandits en Haïti (2023).3 – La mort de« TiMakak » par Michel Soukar dans le « Le Point » du 24-05-23 à la 57e minute et 50e seconde (57 :50) –
MERCI BEAUCOUP ! Macky. Compliments une fois de plus pour la hauteur de la réflexion. Je suis en outre très honoré de l'évaluation que tu as faite de mon dernier livre. Venant de toi, ce mot est un hommage qui doit te revenir au moins en partie car c'est toi qui m'a lancé dans l'édition...
ReplyDeleteOn se parle ce week-end.
Accolades,
Eddy
Cependant Max, le retournement des armes vers leurs patrons-fournisseurs aurait été salutaire dans la mesure où une des débris d'institutions moribondes, telles que la Police ou l'insignifiante Armée d'Haïti aurait été prête à en prendre le leadership temporaire, pour contrôler l'ardeur des bossales.Mais elles sont aussi parties du problème
ReplyDeleteRemarquez bien que entre Izo, Barbecue, Lanmô 100 Jou et Ariel, ce serait "bonnet blanc et blanc bonnet."
Je m'excuse mais le neuro-chirurgien ne m'offre rien pour dire le contraire.