Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Wednesday, August 15, 2018

Lettre ouverte à la société Haïtienne


TRIBUNE DE LIBRE OPINION
Il n'est pas rare d'écouter des compatriotes écoeurés de la dérive du pays, mais cette charge est la plus amère, la plus vitriolée que j'aie jamais lue. C'est une voix qui s'élève à sa manière contre la disparité dans notre société, une société divisée en pauvres et en riches et où les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Une société où l'État loin d'améliorer les conditions des pauvres s'arrange au contraire à les rendre plus pauvres, en favorisant la corruption, le népotisme et le  clientélisme. Aujourd'hui on assiste à un écoeurement généralisé, tant de l'intérieur que de la diaspora et notre objectif est le changement radical du système qui a maintenu longtemps Haïti dans la pauvreté et le déshonneur et qui veut encore la maintenir. JM

Lettre ouverte à la société Haïtienne
J'ai honte et je suis écœuré d'appartenir à votre société. Ma colère est telle qu'elle a parfois raison de moi—ce qui fait le bonheur des petites gens qui abondent dans votre milieu. La voix humaine a été réduite au silence si tôt dans leur vie qu'ils ne sont normaux que par rapport à une société et une mentalité profondément anormales. 

Je suis venue remplie d'enthousiasme, de rêves, d'illusions. Malgré les tragiques circonstances, revoir ma terre natale, mes amis, recevoir des visites, être invité après 35 ans d'absence, me donnait du courage et du bonheur. 
Vous m'avez traité avec la plus grande indifférence. Je ne reconnais plus ces gens avec qui j'ai grandit et ceux que j'ai rencontré... je ne les comprends pas. 
Je ne vous comprendrai jamais. 
Vous êtes de grands malades et ce  pays est à votre image.  

Au bout de ces 2 longues années il ne me reste plus qu'un vague souvenir de la personne que j'étais lors de mon arrivée. Absolument RIEN ne peut préparer un être humain à tant de laideur. 

Haïti a tué mon frère. Si je ne mets pas mes jambes à mon coup je tomberai malade comme lui et je vais crever comme lui dans cet enfer que vous avez créé. 

Haïti est un endroit où on vient mourir. 
J'ai compris que tout autant que je n'aurai pas quitté cet environnement malsain—l'indignation gouvernera mon état d'âme. Il m'arrivera d'être en rage parce c'est normal lorsqu'on est en présence de tant de laideur. Comment ne pas devenir fou? 

Comme disait Jacques Brel, "Je n'aime pas l'humilité qui consiste à refuser de voir des choses laides, en se disant "moi, je les vois et ça me touche pas", et accepter que les autres subissent les conséquences de ces choses-là. Si on est relativement généreux quelque part, à tort ou à raison, on passe obligatoirement par des moments de colère, ça me paraît inévitable. Et quand on n'est pas en colère, c'est qu'on est tout seul." 

J'ai fait le choix de ne pas vous fréquenter, de ne pas participer à la vie mondaine de ce pays minable parce que c'est le choix digne—Parce que "Rien n'est plus méprisable que le respect fondé sur la crainte" et je ne vous respecte pas. 

Je vous analyse depuis 2016. Je me demande s'il vous arrive de vous questionner afin de grandir, afin d'évoluer. "Aucun homme ne peut mourir en paix s’il n’a pas remis au moins une fois en question sa vie et celle des autres et s’il n’a pas fait ce qu’il faut pour que la condition humaine dans son ensemble soit pacifiée autant qu’il est possible."

Vous avez des inquiétudes. Certes. Mais elles ne concernent que ce qui affecte votre train de vie et celui de vos proches. Triste symptôme d'une maladie dont vous souffrez, que j'ai souvent évoqué: le syndrome de Marie Antoinette. Votre déconnexion de la réalité vécue par le peuple vous rend incapables d'assurer l'évolution de votre société dans le bon sens et le respect des valeurs humaines. 

Vous aurez beau créer des refuges à la montagne, à la plage, à l'étranger, vous n'arriverez jamais à fuir la réalité. Celle d'être irrémédiablement pauvres. Celle d'être citoyens d'un pays corrompu sans égouts, sans eau, sans route, sans électricité, sans rien. Un enfer! 

La conscience collective existe-elle chez vous? Je ne vous crois pas capables d'aimer. S'aimer, aimer la famille et les proches n'est point aimer. 

Elie Weisel disait: "Le contraire de l'amour n'est pas la haine. C'est l'indifférence". Vous confirmez ce triste constat de façon spectaculaire. 
Derrière votre gentillesse, vos flatteries, votre piété, vos niaiseries—derrière ces comportements purement mécaniques se cache votre vrai visage. Le visage du colon moderne qui a substitué le colon français du XVIIIe siècle. Une société qui perfectionne la déshumanisation du peuple pour le rendre invisible—pour en faire des esclaves. 

En fait il n'y a pas que les millions de pauvres que vous déshumanisez. Vous maîtrisez l'art de diminuer tous ceux qui ne rentrent pas dans votre jeu obscène, dans votre clan. Ceux qui ne vous rejoignent pas dans votre insouciance, dans votre débauche, dans cette arrogance de vous sentir maîtres et seigneurs d'Haiti. Des gens comme mon frère et moi par exemple. Vous ne supportez pas l'authenticité parce que quelque part, elle éveille votre conscience.

D'où vient cette indifférence viscérale envers ceux qui n'appartiennent pas à votre classe et envers ceux qui ne vous ressemblent pas?
Vous Oubliez qui a fait la révolution de 1804 grâce à laquelle vous n'êtes pas une colonie française?

Vous n'avez pas besoin d'avouer que pour vous, les pauvres sont des sous hommes. Votre façon de les traiter le prouve. Vous êtes pleinement conscients que leur salaire ne leur suffit même pas pour manger. Et ils ont des dépenses comme vous mais vous ne bougez pas de votre trône d'exploiteur. Vous êtes des monstres.
Il y a quelques mois vous étiez encore confortablement installés dans votre bulle. Le déni est une émotion puissante et mortelle. Moi, j'ai vu le monstre hideux qui grandissait, qui avançait vers vous depuis longtemps.
Des décennies d'irresponsabilité, d'inaction, de malhonnête intellectuelle ont portées leurs fruits empoisonnés. La réalité ignorée, dans toute sa laideur éventuellement vient confronter ceux qui ont osés rêver qu'elle disparaîtrait.

Parmi vous:
Il a très peu de gens que j'aime.
Il y a ceux que je tolère.
Il y a ceux que je méprise.
Il y a ceux que je dénigre. 

J'ose vous accuser Tous d'être responsables du sort cruel que subit le peuple. Que se soient par les activités criminelles des uns, la passivité des autres, vous avez causé indirectement la mort de ceux qui ont eu faim en les privant de nourriture; vous avez condamné des millions d'âmes à ne jamais connaître les droits humains basiques tel que l'éducation.
Combien de génies sont nés, ont vécus dans la misère sans jamais pouvoir atteindre leur potentiel? On ne le saura jamais. Mais on sait qu'Ils ont souffert de malnutrition depuis qu'ils étaient dans les entrailles de leur mères. Tout cela à cause du statut quo. Tout cela à cause de vous.

J'ai honte de cette classe dirigeante dangereusement passive face aux gangsters légaux qui pillent avec l'assistance des gouvernements qu'ils choisissent—cette classe dirigeante qui se complaît dans son infinie médiocrité. 
"Si la grandeur de l'homme est dans sa décision d'être plus fort que sa condition" quel serait le mot juste pour décrire ceux qui permettent que leur peuple vivent dans de telles conditions? Je parle de vous bien sûr.
Si la misère abjecte, l'insalubrité, l'irrespect d'autrui qui règnent en Haiti sont le reflet de la conscience collective d'une société, quel est donc votre degré d'évolution?
Si je n'ai pas la réponse à ces questions, j'ai en tout cas la certitude que l'heure de faire face à votre karma est éminent. Je m'en réjouis et je remercie la vie de m'avoir permis de jouer un rôle dans ce moment historique.

A cette société, à cette Elite répugnante, à ce vampire insatiable qui se nourrit du sang de son peuple, j'offre la dernière des injures: mon mépris.

Marie Assali
Le 10 août 2018.

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