Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Thursday, June 11, 2020

Ti Amélie, témoin privilégié de grands drames à Jérémie

Ti Amélie dont l'image ne s'efface jamais de nos rétines
Ti Amélie, cette statue érigée sur la place Dumas, est témoin de plein d’histoires dans la ville de Jérémie, dans la Grand’Anse. Depuis son érection sous le président Fabre Geffrard (1859- 1867), elle a les yeux rivés sur l’église Saint-Louis, roi de France. Après le passage de l’ouragan Matthew, la statue semble indiquer au visiteur l’état du désastre. Le toit de l’église a été emporté par les vents violents ; sa façade orientée vers la place est fracturée.
La petite Amélie, couronnée en août dernier par Festi-Amélie, un événement culturel qui porte son nom, s’auréole d'une légende. On prête un grand pouvoir à ce témoin muet. Elle est source d’inspiration pour les artistes. Robert-Josaphat Large l’a immortalisée dans un livre de photographie « Jérémie et sa verdoyante Grand’Anse », Eddy Cavé l’a portée aux nues dans « Jérémie dans la mémoire de la petite Amélie ». Maurice Léonce, 95 ans, nonagénaire encore vert, prend toujours plaisir à raconter l’histoire de cette statue venue d’Italie qui accroche la mémoire jérémienne comme une chanson ou un tableau de maître. Il sait que plusieurs amours qui ont défié le temps ont vu le jour aux pieds de la statue voilée par son cache-sexe.
Élevée dans l’eau, cette statue-fontaine, du lieu où elle est placée, a versé beaucoup de larmes sur les drames qui ont jalonné les jours de la cité des poètes. Les vêpres jérémiennes en 1963 qui sonnèrent le glas de la bourgeoisie mulâtre de Jérémie fêla ses oreilles. Elle dut retenir par cœur le nom des jeunes du groupe Jeune Haïti tombés pendant leur débarquement dans la Grand'Anse sous la dictature du président à vie François Duvalier, pour ne pas oublier une miette de cette histoire rouge de sang dans la mémoire jérémienne.
Quand ce n’est pas une rivière de sang qui coule dans le passé de la Grand’Anse, c’est le vent qui la fouette avec fureur.
En 1954, l’ouragan Hazel souffla des rafales de vents dans les oreilles de la petite Amélie. Elle vit s’abattre la faim, la maladie sur la ville où elle élit domicile au XIXe siècle. De son socle, elle avait regardé de ses yeux inquiets, une foule de paysans tenaillés par la famine prendre d’assaut la ville et construire des bidonvilles avec la bénédiction du président Paul Eugène Magloire. Ainsi naquirent les taudis de Sainte-Hélène et Nan pousyè.
Ti Amélie a connu la férocité de tous les vents mauvais qui ont balayé la Grand'Anse : Flora, Cléo, Ike, tant d’ouragans qui ont mis le doigt sur la question de l’habitat dans ce département. Chaque fois que ces ouragans trouvent sur leur trajet ces habitations, ils provoquent inéluctablement des catastrophes. La statue dressée sur la place Dumas prend l’église Saint-Louis, roi de France, à témoin et nous interroge du regard.
Quand l’État haïtien viendra-t-il poser les questions de l’environnement et de l’habitat ? A quand une réelle prise en charge du territoire haïtien abandonné à son sort ? Ces problèmes, s’ils ne sont pas résolus avec la dernière énergie d’un État digne de représenter son peuple, risquent de s’aggraver. Pourquoi cette attitude suicidaire sur toute question d’ordre environnemental ? S’abandonne-t-on au gré des vents, au gré du comportement anarchique de notre population sur l’environnement et toutes autres catastrophes de la nature jusqu’à ce qu’on soit rayé de la Caraïbe ?
Ti Amélie écrit dans son carnet les saisons cycloniques. Elle sait pertinemment qu’elles reviendront. Une semaine est passée, depuis que Matthew a frappé ; l’ouragan continue de frapper dans les esprits. Autour de la statue, les ruines de la ville; dans sa mémoire, les représentations du coup de ce monstre venu du fond de l’océan Atlantique. Elle regarde les convois humanitaires défiler dans la ville. Elle voit aussi arriver des candidats convertis en humanitaires qui promettent monts et merveilles à cette population aux abois, dans une Grand' Anse blessée, balayée et ruinée dans sa nature naguère si riche et verdoyante.

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