Auteur de De mémoire de Jérémien, tomes 1 et 2
Le langage clair et simple, un passage obligé
Typographie
et correction d’épreuves pour tous
À l’occasion
du 20e anniversaire du décès de Guy Durosier, l’écrivain Eddy Cavé publie cet
article en trois parties dans lesquelles
il retrace des tranches de vie de cette très belle figure de la musique
haïtienne du 20e siècle. La première partie est en quelque sorte une brève
présentation de l’artiste et un rappel du cadre social et-culturel dans lequel
il a passé une quinzaine d’années au Québec.
Un ouragan nommé Guy Durosier
Guy Durosier (1965) |
Guy s’initie très
tôt à la musique sous la direction de sa mère et entre, selon Adrien Berthaud,
à 11 ans dans la fanfare de l’école
des Frères Saint-Louis de Gonzague. Il s’y familiarise avec la clarinette et le
saxophone et, toujours selon Berthaud, il aurait composé Ma brune à 12 ans avec Raoul Guillaume (http://www.adrienberthaud.com/guy_durosier/).
Dans une note
publiée à l’occasion du décès, Jean- Jean Pierre souligne que Guy a commencé sa
carrière professionnelle vers l’âge de
14 ans avec Les gais trouvères, alors dirigés par Alphonse Simon. Deux ans plus tard, après une courte
collaboration avec Nono Lamy, il prenait
son envol dans l’orchestre d’Issa El Saieh avec Raoul Guillaume et le musicien
américain Bud Johnson qui l’initie au
jazz. Par la suite, on le retrouvera en 1952 dans l’orchestre de l’hôtel
Riviera, dirigé par Michel Desgrottes, puis simultanément dans les orchestres
Citadelle et Cabane Choucoune. Jean Jean Pierre précise qu’après quelques
voyages à l’étranger, il quitte définitivement le pays en 1959.
Il n’est pas sans
intérêt de mentionner ici que Guy était bègue et qu’il a su maîtriser son
élocution à un tel point que très peu de gens se sont rendu compte de ce fait
ou s’en souviennent aujourd’hui. Mon grand ami musicien Joe Jacques l’est aussi et peu de
gens le remarquent quand il est en spectacle.
Guy Durosier en 1970 |
J’étais précisément
en train de rafraîchir mes souvenirs en vue de la rédaction de cet article
quand j’ai découvert, au hasard d’une conversation, l’existence d’un
livre paru aux États-Unis en 2008 sous le titre The Maestro and Marianne. Semi-autobiographique et bien écrit en
général, ce livre retrace des moments de la vie d’un maestro que personne
d’autre que l’auteur et l’héroïne Marianne ne connaissait ou ne pouvait
connaître. Je l’ai commandé tout de suite et je m’y suis plongé avec l’appétit
d’un carnassier qui n’aurait pas mangé pendant des jours. Une semaine après, ma
soif de précisions sur les moments forts de la carrière du maestro n’est
toujours pas assouvie. Quel bonhomme!
Le
livre de Robert Durosier
Le lecteur l’aura facilement deviné : le maestro, c’était Guy Durosier. Quant à Marianne (on trouve ailleurs l’orthographe Mary Ann), c’est la mère de l’auteur du livre, Robert Durosier. Élevé aux États-Unis dans une famille d’adoption, ce dernier avait 27 ans quand il a retrouvé ces deux parents biologiques. Ce sera un triple coup de foudre. Pour Guy, pour Marianne et pour Robert. C’est d’ailleurs en leur compagnie, à Bothell, près de Seattle, dans l’État de Washington, que Guy s’est éteint en 1999. Un livre captivant, tour à tour émouvant et amusant, généralement bien écrit à mon sens et très instructif.
J’ai trouvé dans
cette lecture la confirmation de plusieurs idées que je me faisais de la
vedette Guy Durosier, tout en découvrant la tranche de sa vie qui va de sa
rupture avec la communauté haïtienne vers 1976
à son retour sous les feux des projecteurs, une vingtaine d’années plus
tard. Si les premières années passées dans la banlieue de Seattle furent une
période de bonheur intense pour cette famille tardivement constituée, les
derniers mois furent particulièrement éprouvants à cause des incurables problèmes de santé du maestro.
Au moment où le
rideau tombe, durant la journée fatidique du 18 août 1999, sur cette vie bien
remplie et encore pleine de promesses,
Guy avait seulement 68 ans. Nous reviendrons plus loin sur les
anecdotes et les souvenirs glanés au fil des pages de cette autobiographie qui
se lit comme un thriller.
Deux magnifiques émissions retrouvées sur YouTube
En poursuivant la
quête de données entreprise pour la rédaction de l’article, j’ai trouvé sur
internet des extraits de deux fort intéressantes soirées de retrouvailles de
Guy Durosier avec le public haïtien de
New York et que j’invite les lecteurs à visionner.
GUY DUROSIER ET FAMILLE AU CAFÉ DES ARTS
Au Café des Arts
La première des
deux apparitions publiques de Guy à New York depuis son installation dans les
Bahamas au milieu des années 1970 a été celle du Café des arts, où le flamboyant Guy Evans Ford recevait cinq
membres de la famille Durosier : le maestro rentré de Nassau et qui
ensorcela l’auditoire tant au piano qu’au micro; la resplendissante Marianne,
la mère de l’auteur; Robert Durosier l’auteur du livre; Guy Durosier
junior, l’unique fils de Guy et de sa
première épouse Marie-Madeleine Marcel; la chanteuse québécoise Sylvie
Desgroseillers, une autre fille de Guy, venue de Montréal pour la circonstance.
Cette émouvante
réapparition de Guy Durosier à l’occasion du premier anniversaire de l’émission
Domingo en la Noche de Guy Evans Ford
scella, de l’avis de Guy et de tous les témoins, sa réconciliation avec le
public new-yorkais. On se souviendra qu’une bonne partie de ses fans l’avaient
abandonné et chahuté en 1976 à l’initiative de l’ancien candidat à la
présidence Yves Volel, lui-même assassiné en Haïti en 1987.
La soirée de gala du 23 décembre 1998 à l’Astoria
World Manor
Dans le clip de
Sylvestre Production, ci-dessus, on voit
Guy, visiblement fatigué, interpréter au saxophone Happy Birthday avec des accents de jazz qui rappellent l’époque lointaine où il jouait avec les Issa El
Saieh, Bud Johnson, Bebo Valdès. Il est chaleureusement applaudi, puis, contre
toute attente, il aborde le sujet de sa
participation aux funérailles de François Duvalier en 1971. Il rappelle qu’il
avait chanté dans le passé pour le président Dumarsais Estimé à l’époque du Bicentenaire de
Port-au-Prince, puis, chaque samedi soir à Cabane Choucoune, pour Paul
Magloire, ce qui n’avait jamais posé de problèmes. Par la suite, il aurait été, après Harry Belafonte, le premier
chanteur de la Caraïbe à faire le Carnegie Hall, ce qui lui aurait ouvert toutes les portes du monde.
Mais voilà qu’en
1971, il reçoit un dimanche matin une
invitation du Palais national d’Haïti
pour aller chanter pour François Duvalier et on lui annonce qu’il sera encadré
de Pelé et de Mohamed Aly :
« Mwen pat bezwen chante pou Divalye, explique-t-il
dans un curieux mélange de créole et de français. Mwen te
bezwen chita kot Pele. kot Mohamed Alix li […] Le premier jour, Pele
fè match foutbòl exibisyon l pou Divalye. Le deuxième jour, Mohamed Ali fè
match bòx li pou Divalye. Le troisième jour, mwen chante pou Nonz Apostolik
la ak Divalye nan palè nasyonal…
« Twa jou apre, Divalye mouri. Yo rele m
a senk è di maten pou di m : Il voulait que ce soit toi qui chantes à ses
funérailles… Pa chante? Yo tap touye manman m , vwazen m, tout moun ki konn di m alo […] » (Rires de
l’assistance)
[Traduction]
« Je n’avais nullement besoin de chanter pour Duvalier. Je voulais
m’asseoir à côté de Pelé, de Mohamed Ali
[…] Le premier jour, Pelé joue un match amical pour Duvalier. Le
deuxième jour, Mohamed Ali présente son spectacle de boxe. Le troisième jour,
je chante pour le nonce apostolique et pour Duvalier au Palais national…
« Trois
jours après, Duvalier meurt. On me téléphone à 5 heures du matin pour me dire
qu’il a fait choix de moi pour chanter à ses funérailles… Ne pas chanter? On
aurait tué ma mère, mes voisins… même les gens qui me saluaient dans la
rue… »
L’auditoire, qui
lui a déjà tout pardonné, applaudit
chaleureusement. C’est que, 27 ans après les faits, les rancœurs se sont
calmées, et l’artiste a retrouvé sa cote
d’amour auprès du public. Ce que les gens voient dès lors, c’est le virtuose
qu’ils viennent d’écouter au saxophone et qui sait toucher toutes les fibres de
leurs corps. Guy est donc ovationné et réconcilié
avec son public new yorkais. Jean Jean Pierre affirme toutefois qu’il n’a
jamais pleinement récupéré le capital de sympathie englouti dans son aventure
avec les Duvalier.
Les problèmes de santé de Guy allaient commencer peu de temps après. Affreuses migraines, séjours fréquents à l’hôpital, batteries de tests douloureux et onéreux. Quand le diagnostic d’un cancer du poumon tombe, il est déjà trop tard pour le sauver. Les lecteurs intéressés par cette tranche de la vie de Guy liront avec beaucoup de plaisir le livre de son fils Robert. Ils y trouveront, outre un émouvant rappel de ces moments de dures épreuves, un grand nombre d’anecdotes et de réflexions sur la vie de cette famille qui semble avoir été marquée d’un sceau particulier par le destin.
**************
Certes, le rapide coup d’œil qui précède sur le livre de
Robert Durosier et le balayage des deux seuls vidéoclips facilement accessibles
des dernières apparitions publiques de Guy à New York ne constituent certainement
pas la meilleure façon de le présenter à un public qui ne le connaît guère. Ils
ne constituent pas non plus la meilleure
façon de susciter de la curiosité pour l’héritage culturel qu’il a laissé. Mais
ce choix a le mérite de camper d’entrée de jeu le personnage et d’écarter tout
de suite les zones d’ombres qui apparaissent inévitablement chaque fois qu’on
cite le nom de Guy Durosier. Cela dit, nous pouvons entrer tout de suite dans
le vif du sujet en commençant par
décrire la société dans laquelle Guy a passé une bonne partie de sa vie.
Le contexte social et culturel du Québec des
années 1960-1970
C’est dans le Montréal du maire Jean Drapeau,
dans l’atmosphère féérique de l’île Sainte-Hélène et d’Expo 67 que Guy Durosier a élu domicile au Québec.
Cette province venait alors de sortir de
la « grande noirceur » des années Duplessis » et elle
s’affirmait comme une terre d’accueil pour les francophones étrangers désireux de s’expatrier.
Sans être la terre
promise qu’était alors New York, le Québec avait tout pour plaire aux Haïtiens
fuyant la dictature : de bonnes possibilités d’emploi, un haut niveau de
vie, une politique d’immigration d’une grande souplesse. Les musiciens comme
Guy Durosier, Fritz Pereira, Chico Simon, Nono Lamy, Joe Trouillot, Dieujuste
Dorlette, y trouveront un public, majoritairement féminin, avide d’exotisme, de
nouveautés et de sonorités inhabituelles.
Dans l’ensemble, la société québécoise était
alors traversée par cette espèce de joie
de vivre qu’inspiraient ses chansonniers, ses peintres, ses poètes, ses
musiciens. Des chansonniers comme
Jean-Pierre Ferland, Félix Leclerc,
Claude Léveillée, Gilles Vigneault, Félix Leclerc. Des interprètes comme
Ginette Renaud, Pauline Julien, Renée Claude, Ginette Ravel. Des jeunes
cinéastes comme Gilles Carles et Claude Fournier qui allaient renverser bien
des tabous avec de charmants petits films comme Les mâles, Deux femmes en or, etc. En outre, ce Québec où Pierre
Bourgault et ses amis du RIN mijotaient le projet d’indépendance accueillait à
bras ouverts tous les révolutionnaires et intellectuels de gauche opposés à
François Duvalier.
Guy Durosier se
jeta à pleines dents sur ce fruit mûr qui comblait toutes ses attentes, sauf sa
soif de célébrité, sa passion des projecteurs et des ovations debout. Si son répertoire créole sonnait fort bien aux
oreilles des Québécoises en quête d’exotisme, ses chansons françaises les
charmaient encore plus. Aussi sillonna-a-t-il la province de long en large,
faisant de la région dite du Bas-du-Fleuve son terrain de chasse favori. Il y a
ainsi laissé d’heureux souvenirs, ainsi que d’intenses regrets. . À la faveur
de son extraordinaire force d’attraction, il sut résister à la déferlante du
disco jusqu’à ce qu’il décide d’aller poursuivre ailleurs ses rêves de conquête.
Un succès pourtant limité!
Quoiqu’on puisse
dire de bien et de beau au sujet des succès de Guy au Québec, il faut admettre
qu’il n’a jamais véritablement percé le grand marché québécois de la chanson,
du disque et du spectacle. Pour des
raisons qui restent encore à élucider, il n’a jamais fait la prestigieuse salle
Wilfrid Pelletier de la Place des Arts; n’est jamais passé ni aux Beaux
dimanches ni à aucune des grandes
émissions télévisées de variétés. De même qu’il
n’a jamais inscrit une seule chanson au Palmarès du Québec. La province
et sa métropole accorderont toutefois ce privilège à d’autres vedettes internationales noires en tournée au
Canada, notamment Harry Belafonte, Ray Charles, Dionne Warwick, Roberta Flack,
Ella Fitzgerald. Et à Oscar Peterson, un
enfant du pays.
En toute honnêteté,
le Québec n’était pas encore prêt à la fin des années soixante pour ouvrir ses
grandes salles de spectacles à des artistes noirs, même talentueux, qui
n’avaient pas encore été couronnés en France ou aux États-Unis. Et Guy n’était
pas le seul à devoir se limiter au marché restreint des « communautés
culturelles ». Il y avait également dans cette situation le pianiste
martiniquais Marius Cultier, le chanteur trinidadien Mighty Sparrow, des groupes
musicaux comme Byron Lee and the Dragonaires,
The
Merrymen of Barbados. Ils
faisaient tous chaque année au moins une escale à Montréal, mais ils ne se sont
jamais implantés dans le grand marché québécois du spectacle. On notera
qu’aujourd’hui encore les stations de radio du Québec ne jouent jamais de
chansons haïtiennes écrites en français. Un détail que personne ne semble
remarquer!
Un bon motif de consolation
L’histoire
retiendra toutefois que le maire Drapeau invita Guy Durosier en 1970 à donner à
ses côtés le signal de la réouverture du site de l’Expo pour la nouvelle saison. Voulait-il lancer à
ses concitoyens un message d’ouverture en posant ce geste hautement symbolique?
Sans doute, mais il faudra attendre plusieurs
décennies pour voir des artistes et animateurs noirs comme Norman Brathwaite, Gregory
Charles, Anthony Kavanagh Jr accéder à un
statut de vedette à part entière dans la province.
Il n’est pas sans
intérêt de rappeler ici que c’est seulement en 1989 qu’on verra une noire
d’origine haïtienne, Marie-Anna Murat, accéder au poste de chef d'antenne d’un réseau de télévision
francophone au Canada, le réseau TVA. Dans le même temps, la journaliste
Michaëlle Jean se frayait un chemin dans le monde des médias pour accéder
d’abord au poste de chef d’antenne à Radio Canada, puis à celui de gouverneure
générale du pays. Dans l’intervalle, la population s’était diversifiée, les
mœurs avaient évolué, et le Canada était devenu un pays bilingue, une société
multiculturelle et multiraciale très différente de celle que Guy avait connue.
Arrivé au Canada 30
ans trente ans trop tôt, Guy a sans doute pavé la voie pour les Boule Noire,
Luck Merville, Pierre-Michel Ménard, Émeline Michel, Fabienne Colas, Ralph
Boncy, Stanley Péan et peut-être même un Dany Laferrière. Mais il a lui-même
peu bénéficié des avantages financiers offerts par la société d’accueil et de
la prétendue ouverture d’esprit des gens de son époque.
FIN
DE LA PREMIÈRE PARTIE
Ediyh Piaf disait de lui qu'il était à juste titre ''le souffle puissant d'Haïti".Il était le seul et unique haïtien à chanter au Carnégie hall et au palais de Buckingham.Il avait de plus ajouter une corde à son arc en chantant dans sept langues.Mais où est la relève ?
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ReplyDeleteSa voix est unique! Il a chanté Haiti avec un tel amour, que parfois en l'écoutant dans cette chanson, je verse des larmes pour mon Haiti que j'aime tant ❤️ 😍 💖 🇭🇹 🇭🇹 🇭🇹
ReplyDeleteGuy Durosier fut sans conteste l’un de nos plus célèbres chanteurs et musiciens. Son don musical lui fut transmis par une hérédité sûre, de sa mère née Guillaume, tante de Raoul Guillaume. S’il est mieux connu pour sa voix et sa maîtrise du piano et de l’orgue, Guy pouvait très bien jouer à d’autres instruments tels le xylophone, le saxophone, la trompette etc…Il avait de toute évidence une grande passion pour la musique et a largement contribué à enrichir notre patrimoine.
ReplyDeleteGuy Durosier was a great musician. He was mostly known as an exceptional singer, but he was much more of what is called " Total Musician" as he played several musical instruments.and also a major composer of interpreter of wonderful.songs
ReplyDeleteThat's a great picture! Le grand tokay Guy inoubliable et incomparable musicien 🎶 🎼 🎵 vocalist
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