Par Max Dorismond
Daniel Rouzier |
Si
Daniel-G. Rouzier, un distingué membre attitré de l’élite économique du pays,
grimpe aujourd’hui dans les rideaux, il s’agit d’une autre preuve entre mille,
que ça va mal, très mal, au pays des Alibaba. Et
pourtant, Rouzier n’est pas le saint espéré.
Dans des articles sur la vente de black-out, on retrouve souvent le nom
de E-Power, la compagnie qu’il chapeaute. Je fus l’un de ses détracteurs. En
attendant de joindre l’utile à l’étonnement, faisons une halte critique sur l'esprit
de son discours 1 et essayons de décortiquer la raison
de cette historique interpellation d’un fils de la « haute » qui était censé se la couler douce avec les copains de
son clan.
Tout d’abord,
posons-nous la ou les questions, à savoir : quelle mouche a piqué notre
lanceur d’alerte national pour le porter à aller laver le linge sale devant une
étrangère, l’Ambassadrice américaine récemment débarquée, avec tout le
curriculum du pays dans ses bagages? Existe-t-il une fissure au sein de cette
caste tissée-serrée? Cela ne doit pas nous étonner. Malgré leur richesse
démesurée, certains d’entre eux gardent les pieds sur terre et souffrent en
leur for intérieur du dénuement de la masse. Y-aurait-t-il « panique dans le camp des Grecs » à
la possible vision d’un peuple métamorphosé en chiens sauvages dévorant tout
sur son passage dans un futur appréhendé, mais impossible à cibler? Est-ce un sursaut de patriotisme ou un zeste
de conscientisation humanitaire d’un esprit morcelé, concassé, face à la misère
dégradante qui lui blesse les paupières et l’âme? Nous ne le saurons jamais.
Cependant, une évolution s’observe par cette prise de conscience. L’interpellateur
a le mérite d’avoir sonné le tocsin pour annoncer que le carnaval a trop duré.
Ne lui tenons aucun grief!
Le petits amis au col blanc |
Je
peux me permettre d’ajouter dans ma réflexion que Rouzier est d'ascendance Jérémienne, la cité où les assoiffés de Duvalier avaient décapité quelques uns
de ses riches parents, parmi les 26 mulâtres assassinés en 1964. Or son analyse
factuelle de la situation d’Haïti, où une minorité, noire et claire, impose le
tempo de la corruption, sans tenir compte de la souffrance provoquée et de
l’inhumanité d’un tel brigandage, lui cogne la caboche et le captive. Tout lui indique que les signes avant-coureurs
des « Vêpres de Jérémie »
sont présents, face à l’insolence des forfaits, face à cette délinquance en col
blanc qui confèrent à certains le droit
de priver les pauvres de leur pain quotidien, des menus services, de l’instruction
tout en regardant de haut les plus vulnérables, en les humiliant sans commune
mesure. Devant ce sinistre tableau, le côté altruiste de Daniel Rouzier a peut-être
eu le dessus, pour opérer ce détour à 1800
et interpeller ses semblables qui, grisés par l’appât du gain,
semblent voler comme Icare, trop près du soleil.
En
réalité, cette élite, à laquelle certains accolent les épithètes les plus
saugrenues, les plus rébarbatives, n’est pas uniforme ou ne mérite pas
précisément ce titre. En effet, la définition de cette expression, attribuée à un groupe donné, devrait englober
certains paramètres. L’élite devrait être l’épine dorsale supportant toute la
structure économique et intellectuelle de la société. Pour répéter un
sociologue, originaire de Jérémie, de surcroît : « De par ce pouvoir économique, elle (une élite)
est censée marquer l’histoire à partir de ses prises de position et de
l’idéologie qu’elle véhicule et qu’elle insuffle. Pour s’affirmer et se
pérenniser, cette bourgeoisie doit être dynamique, compétente, instruite et
disposée à assurer un minimum de prospérité et de bien-être à la communauté
environnante ».
Est-ce le cas de
notre élite, de notre bourgeoisie? Nous pouvons dire que non. Certes, elle
compte quelques instruits, diplômés de bonnes universités d’outre-mer.
Toutefois, la grosse majorité demeure un ramassis de parvenus qui ne jurent que
par la grosseur de leur portefeuille, en préférant miser sur la bêtise humaine
d’une fausse aristocratie plutôt que sur l’intelligence et la sensibilité. Quant
à l’instruction, « Tout voum ce
Hawayou (How are you) ». Ils ne savent pas plus loin que le bout de
leur nez et ne jurent que par le paraître. Au delà, c’est le vide sidéral.
N’étant pas
ethnocentrique, Daniel Rouzier a jugé nécessaire de ramener ses amis à la
raison et a fait sien le plaidoyer de Voltaire dans son « Traité sur La Tolérance (1767) »,
à savoir : « Puissent tous les
hommes se souvenir qu’ils sont frères ».
Il
était une fois les écuries d’Augias… - L’état de la
situation -
Autrefois, quand
Haïti avait une certaine structure étatique, les privilégiés offraient leur
aide aux éventuels candidats à la présidence et s’attendaient naturellement à
un retour d’ascenseur. D’autres, par des contacts discrets, moyennant un
certain pourcentage, s’arrachaient tant bien que mal les faveurs de César.
Mais, après 1986, la nature du jeu a
changé du jour au lendemain. Une fois, les Duvalier dehors à coup de pied, ne
devient plus président qui veut. J.B. Aristide a goûté à la médecine des
maîtres de céans qui avaient juré que « désormais, le pays leur appartient ». Ce slogan expressif a
été mis en chanson par un de leurs obligés.
On le fredonnait innocemment, en riant, sans arrière-pensée de son réalisme
délétère pour la santé de la nation.
En effet, cette
élite bourgeoise qui avait souffert dans sa chair la perte de ses privilèges
ancestraux, est bien en selle maintenant et dirige le pays par petits chefs
interposés : Président, Ministres, Parlementaires. Pour assurer ses
arrières, elle a ordonné à Jovenel de remettre sur pied les Forces armées, (la
FAD’H), malgré vents et marrées. Et tout va bien, Madame la marquise, toutes
les marionnettes rythment la cadence des maîtres de la place, au doigt et à
l’oeil.
Autrefois, le
business marchait à petits pas pour les nantis. Maintenant, tout roule au galop.
La contrebande est florissante. La fiscalité est obsolète. Les grosses
redevances fiscales n’ont jamais été versées. Conséquemment, ce sont les plus
pauvres qui sont pénalisés, oubliés, néantisés. Comme corollaire, tout le monde,
du fonctionnaire au simple citoyen, pratique le « deal » ou la
négociation des droits, pour flouer l’État.
Les franchises
douanières aux commerçants entrepreneurs ressemblent à des cartes de vœux
offertes à toutes les occasions. En veux-tu, en voilà! Les châteaux des mille
et une nuits décorent les pentes verdoyantes des collines environnantes et les
maisons secondaires enjolivent les bords de mer et des rivières. Les voitures
rutilantes à 200 000,00$ ne sont pas rares sur les routes défoncées.
Le peuple qui n'a plus de larmes à verser. |
Une épée de
Damoclès balance sur la tête des Port-au-Princiens depuis des lustres quand on
pense aux égouts dysfonctionnels de la cité. Au niveau écologique,
l’inorganisation spatiale qui résulte de l’incompétence, du népotisme et du
manque de fonds dû à la corruption, laisse planer un danger récurrent sur la
population à tout instant. Une capitale construite pour 300 000 personnes, se
voit aujourd’hui encombrée de plus de 4 millions d’individus. Imaginez la
catastrophe appréhendée face à la défécation de cette marée humaine dans des
égouts entravés par des déchets domestiques. Je vous invite à lire l’article
d’une chroniqueuse américaine, Rebecca Herscher : « You Probably
Don't Want To Know About Haiti's Sewage Problems » ou « Les
problèmes d'égouts en Haïti ne vous empêchent pas de dormir 2!».
À bien y penser, seuls les inconscients peuvent dormir sur leurs deux oreilles.
Si vous comprenez l'Apocalysme, vous pouvez comprendre ce dessein. |
La démographie
est galopante. En 70 nous étions 6 millions, en 2018, nous représentons 12
millions. Selon les statistiques du FMI, plus de 3 millions de nos frères vont
au lit le ventre vide. C’est le sauve qui peut. La jeunesse oisive fuit vers le
Chili ou le Brésil avec comme objectif final : les États-Unis ou le
Canada. C’est cette petite porte par où commence le voyage sans retour qui
coince encore le détonateur de la bombe et l’empêche de sauter. Prions pour que
ces deux nations ne la ferment pas, SVP!
Comment
en sommes-nous arrivés à ce carrefour -
En Haïti, tout
est simple. La complication n’est pas leur tasse de café. Pour contrôler le
pouvoir et ses ramifications, la clique des grandes fortunes investit
directement dans la présidence et dans le Parlement. Elle achète les votants et
le tour est joué. Pour les parlementaires, c’est le même procédé. Ces derniers
s’arrangent pour graisser la patte des « bases » pour semer le chaos, assassiner quelques fanatiques de
certains adversaires à titre d’avertissement et l’affaire est dans le sac.
Une fois le pouvoir acquis, toutes, « toutes les institutions étatiques sont
vulgairement privatisées avec, à leur tête, deux ou trois grands bourgeois invisibles »
qui avaient investi bien gros, dixit l'économiste
Fritz Jean 3,
ex-PDG de la Banque Nationale. Ils appliquent, une fois servis, les lois de
complaisance promulguées pour eux, au gré de leurs business. Plusieurs
affairistes connus jouent le jeu, mais les titrés du Parlement détiennent le
record et ne s’en cachent point. Ces derniers réclament quelques directions
qu’ils contrôlent par procuration, par parents, maîtresses ou amis intercalés.
Les plus en verve obtiennent les ministères ou les directions les plus
rentables. Rien ne se fait sous le sceau du secret. Tout se sait. Au contraire,
le fait de les citer émousse leur égo et conforte leur position. « La veille Sabah », (vendredi),
c’est l’expression consacrée, ils font le tour des boîtes pour collectionner
leur rente.
Voilà en gros, une
succincte vision de la situation. Il y a tellement à dire, à développer sur la
gabegie haïtienne que mille petits articles ne sauraient suffire. Le conférencier
Rouzier nous en avait mis plein les oreilles. Sans nul autre choix, nous sommes
condamnés à soutenir tous ceux qui ont le mâle courage de dénoncer les faits.
Même s’ils en sont des bénéficiaires. Un soupçon d’humanisme sommeille chez
tout un chacun. C’est dans la nature de l’Hommes. S’il se réveille, ne
l’éteignez pas. Au contraire, encourageons Daniel Rouzier, dans sa campagne de
dénonciation du comportement inacceptable de ses pairs, à aborder la situation
d’une manière plurielle. Il est du sérail. Faute de mieux, nous nous voyons
dans l’obligation d’exaucer ce changement de paradigme en cours. Parfois,
l’alliance des contraires provoque ses propres étincelles et contribue à alimenter
le feu de l’espoir.
Max Dorismond
Note – 1 :
Cliquez sur le lien pour lire le discours de Daniel Rouzier
Note - 2 : La
traduction du titre est du rédacteur (MD). Mais l’article est en anglais, par
contre.
Note – 3 :
Cliquez sur le lien pour entendre l’économiste Fritz Jean, ex PDG de la BNRH
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