Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Tuesday, November 18, 2025

Haïti: De Vertières à la Coupe du monde - Une victoire qui réveille la mémoire

Par Hervé Gilbert

Il y a des dates qui ne vieillissent pas. Elles ne s’effacent ni dans les discours ni dans les cœurs. Le 18 novembre fait partie de celles-là. En 1803, elle a donné naissance à l’idée haïtienne de liberté. En 2025, elle a rappelé que malgré les blessures, Haïti sait encore se lever.

Cette date n’est pas seulement une commémoration : c’est un battement de cœur national. C’est le jour où, sur le champ de Vertières, une armée composée d’anciens esclaves, de paysans et de soldats improvisés a déjoué l’un des plus puissants régimes militaires du monde, faisant naître l’idée haïtienne de dignité et d’existence.


Ce 18 novembre 2025, le pays a vécu une autre émotion, dans un autre registre, mais portée par le même élan intérieur. Ce soir, les Grenadiers ont fait plus que se qualifier pour la Coupe du monde : ils ont réveillé une fierté longtemps enfouie. Une victoire sportive, certes, mais surtout une victoire symbolique — presque philosophique : celle d'une nation qui, malgré ses douleurs, trouve encore la force de se célébrer.


Une équipe en exil, mais jamais sans drapeau



La qualification n’a pas été facile. L’équipe nationale a joué loin de ses terres, privée de stade, de public, parfois même de repères. Une sélection en exil, contrainte de représenter un pays que beaucoup regardent avec inquiétude ou compassion, rarement avec admiration. Pourtant, match après match, la conviction est née : l’Haïti du football n’était pas seulement une équipe — elle était une résistance.

Le match décisif, disputé loin du sol national, fut comme un écho de Vertières : silence, tension, incertitude… puis explosion de vie. Une victoire 2-0, modeste sur le papier, mais immense dans sa portée. Ce soir , les supporteurs n’ont pas seulement célébré un score — ils ont célébré une preuve : Haïti existe encore — et dans l’avenir.


Et c’est précisément cette coïncidence qui donne à l’événement sa force symbolique. Ce 18 novembre, deux siècles après le combat fondateur, le pays a connu une autre forme de victoire — pacifique, collective, mais chargée de la même idée : se lever face à l’impossible.


Dans les rues défoncées de Port-au-Prince, du Cap-Haïtien, dans les quartiers de Montréal, Miami, Paris ou Santiago, diaspora et pays se sont rejoints dans le même souffle. Dans les radios communautaires, sur Facebook, Instagram, TikTok, dans les salons populaires et les familles dispersées, une phrase revenait : « Vertières encore ». Ce n’était pas une nostalgie. C’était une continuité.


Cette victoire ne change pas tout. Mais elle change quelque chose. La qualification à la Coupe du monde ne résoudra ni l’insécurité, ni la pauvreté, ni l’exil. Mais elle réveille quelque chose de précieux : la conscience que malgré ses blessures, Haïti n’a pas dit son dernier mot.


Cette victoire, à la frontière du sport et de la mémoire, ne fabrique pas de trophées — elle fabrique des regards. Elle transforme la perception que les Haïtiens ont d’eux-mêmes, et c’est peut-être là le premier pas de toute renaissance.


Vertières fut une conquête militaire. Cette qualification est une conquête symbolique. Mais toutes deux se rejoignent dans une même idée :Haïti ne renonce jamais.


Hervé Gilbert



Nu Look en Symphonie à Boston – Une Note Élégante et Vibrante

Quand le compas se fait symphonie, Boston retient son souffle…


Par Hervé Gilbert, 

Le 16 novembre 2025, ce n’était ni un simple spectacle, ni un concert parmi tant d’autres : c’était une rencontre entre l’élégance du son et la noblesse de l’émotion. Dans la majestueuse enceinte du Boston Symphony Hall, bâtie au début du XXᵉ siècle et foulée par les plus grands orchestres du monde, Nu Look — en formation symphonique — a offert une soirée où la musique n’était plus seulement entendue : elle était ressentie, habitée, respirée.

Sous ces voûtes conçues pour magnifier l’acoustique, chaque note trouvait sa place naturelle, comme si la salle elle-même avait été créée pour accueillir cette fusion entre la sophistication orchestrale et la sensibilité haïtienne. Nu Look n’a pas simplement interprété ses titres : le groupe les a transformés en récits sonores, en paysages d’émotion, en fragments de mémoire collective.

Une brève fenêtre sur l'atmosphère du Boston Symphony Hall


Boston a battu au rythme d’une élégance rare. Orchestre emblématique du compas moderne, Nu Look y a livré bien plus qu’une performance : une symphonie vivante, où chaque note devenait émotion et chaque accord, récit. Arly Larivière, fidèle à son style — sobre, charismatique, presque orchestral — a conduit musiciens et mélomanes comme un chef d’orchestre mène ses violons.

La voix, les cuivres, les cordes et les percussions se sont entremêlés dans une harmonie soyeuse, rappelant que lorsque Nu Look joue en mode symphonie, ce n’est pas juste de la musique : c’est une conversation entre l’âme et le tempo.

Les classiques du groupe, revisités avec délicatesse, ont pris la couleur d’un souvenir, la texture d’une brise familière. À Boston, le compas a dansé avec la distinction — et Nu Look, une fois de plus, a prouvé qu’il pouvait faire vibrer les cœurs avec la même intensité qu’il fait vibrer les pistes de danse.

Le public est reparti comblé, mais avec une seule certitude : cette symphonie, on voudrait l’entendre encore… et toujours.

Hervé Gilbert


Wednesday, November 5, 2025

États-Unis - 4 Novembre 2025: une nuit de renouveau démocrate

Abigail Spanberger     Zohran Mamdani        Mikie Sherril   
 

Par Hervé Gilbert

Les élections locales d’hier soir ont redessiné le visage politique américain. Deux femmes élues gouverneures, la victoire du progressiste Zohran Mamdani à New York, et une vague bleue confirmée en Californie et au New Jersey. Une recomposition politique s’amorce, sous le signe du renouveau et de la compétence.

Un souffle nouveau sur l’Amérique politique

Zohran Mamdani

La victoire de Zohran Mamdani, 34 ans, nouveau maire de New York, symbolise un basculement générationnel. Issu d’une gauche urbaine ancrée dans les réalités sociales, Mamdani incarne une politique du terrain, audacieuse et connectée aux citoyens.
 « Mon election de ce soir  met un terme à une dynastie de la politique new-yorkaise. C’est une victoire pour tous ceux qui persistent à croire que cette ville peut redevenir un espace de justice et d’opportunité », a déclaré  le candidat victorieux, hier soir, dans un discours à la fois sobre et empreint d’émotion.

Mais la soirée a surtout été marquée par l’ascension de deux femmes d’envergure : Abigail Spanberger en Virginie et Mikie Sherrill au New Jersey. Deux profils solides, deux parcours exemplaires, et un même message : celui du retour à la compétence et à la rigueur au sein du Parti démocrate.

Abigail Spanberger : de la CIA à la gouvernance

Abigail Spanberger

Ancienne agente de la CIA, Abigail Spanberger devient la première femme élue gouverneure de la Virginie. Élue pour la première fois au Congrès en 2018 dans un district historiquement républicain, elle s’est imposée par un style direct et pragmatique, axé sur les enjeux économiques, la santé publique et la recherche du consensus.

« Les Virginiens ne veulent plus de querelles idéologiques, ils veulent des résultats », a-t-elle lancé lors de sa victoire. Sa trajectoire atypique, entre services de renseignement et action publique, fait d’elle une figure de stabilité dans un paysage politique fragmenté.

Mikie Sherrill : la rigueur militaire au service du New Jersey

Mikie Sherrill

Dans le New Jersey, Mikie Sherrill, ancienne pilote d’hélicoptère de la Marine américaine et ex-procureure fédérale, s’impose face à un adversaire soutenu par Donald Trump. Élue députée en 2018, elle a bâti sa campagne sur la sécurité, la lutte contre la vie chère et la protection des familles.
 Sa victoire confirme la capacité des démocrates à conquérir des territoires modérés et à parler à une classe moyenne en quête de sérieux et de stabilité.

« Ce que nous avons prouvé ce soir, c’est qu’une politique de bon sens peut encore gagner en Amérique », a-t-elle affirmé devant ses partisans.

Un parti démocrate revigoré

Entre la Virginie, le New Jersey, la Californie et New York, les démocrates sortent renforcés. Ces succès traduisent un désir profond de renouvellement, de compétence et de leadership féminin. Le parti, souvent perçu comme divisé, montre sa capacité à reconcilier pragmatisme et vision progressiste, tout en s’ouvrant à une nouvelle génération de leaders.

Mais le défi reste immense : transformer ces victoires électorales en résultats concrets sur les sujets qui minent le quotidien — logement, sécurité, inflation, cohésion sociale.

Les républicains en quête de repères

Du côté républicain, la soirée a un goût amer. Les revers successifs en Virginie et au New Jersey confirment une érosion du socle électoral traditionnel, notamment chez les jeunes, les femmes et les classes urbaines.Le parti conservateur semble toujours prisonnier de son aile la plus radicale, incapable de séduire au-delà de sa base.

« Nous avons besoin d’un discours d’avenir, pas d’un écho du passé », a reconnu un stratège républicain sous couvert d’anonymat.

Une vague bleue… en devenir

Cette nuit électorale n’est pas une révolution, mais une transition. Les démocrates reprennent du souffle, les républicains s’interrogent. Les Américains, eux, semblent avoir envoyé un message clair : le leadership se mérite désormais par la compétence, la crédibilité et la proximité.

Si la vague bleue continue de monter, elle pourrait bien transformer cette soirée électorale en tournant historique pour la politique américaine.

Hervé Gilbert

Tuesday, November 4, 2025

Réplique à Amos Cincir : Quand la verve remplace la vision

     Himler Rébu           Jean Ernest Muscadin

Par Hervé Gilbert 

Le texte d’Amos Cincir, intitulé «  Haïti : quand les justiciers de circonstance deviennent les prophètes d'une République perdue », a le mérite du style, mais il pèche par excès de posture. Il dénonce, sans comprendre ; il accuse, sans situer ; il moralise, sans mesurer la profondeur du désastre. Son indignation est brillante, mais elle demeure stérile. 

L’auteur, juché sur sa tribune diplomatique autoproclamée, voit en Jean Ernest Muscadin et Himmler Rébu les symboles d’une dérive populiste et autoritaire. Il leur oppose l’idéal d’un État rationnel, d’une République réconciliée avec le droit. Belle idée, certes, mais dans le pays réel — celui des routes éventrées, des commissariats sans cartouches, des postes de police sans policiers et des tribunaux sans juges — la morale, à elle seule, ne suffit plus. 

Quand l’État s’effondre, il ne reste que des fragments de légitimité : l’homme d’action, le chef local, le justicier improvisé. Muscadin n’est pas un symptôme d’arriération, il est le produit d’un vide. Le vide laissé par un État absent, par ceux qui, depuis trente ans, ont réduit la politique et la sécurité du pays à de simples bavardages, laissant la nation livrée à elle-même.

Quant au colonel Himmler Rébu, on peut railler son verbe martial, mais l’on ne saurait effacer l’ombre d’une époque qu’il symbolise — celle où servir l’État se confondait encore avec un acte de foi, presque religieux. Il fut de cette génération d’hommes persuadés que l’uniforme suffisait à incarner la vertu, que la posture tenait lieu de bravoure. Ses détracteurs parlent de discipline, mais n’en connaissent que la légende. Ils n’ont jamais senti le froid du matin dans la cour d’un casernement, ni entendu le silence lourd qui précède l’ordre de marcher.

Pourtant, de ce corps jadis proclamé d’élite, Rébu n’a conservé que la voix — une voix d’airain usé, résonnant dans le vide. Il parle comme un tambour crevé au fond d’un carnaval républicain : beaucoup de bruit, peu d’écho. Théoricien sans champ de bataille, général sans armée, il s’est réfugié dans le confort de la rhétorique, faisant du mot son dernier uniforme. Le verbe, chez lui, a remplacé l’action comme la parade remplace la guerre. 

Et tandis que les discours s’empilent comme des drapeaux délavés, d’autres hommes — plus frustes peut-être, mais plus entiers — se dressent dans la poussière. Là où Rébu déploie sa grammaire, Muscadin brandit sa témérité.

L’un théorise la République depuis un balcon, l’autre la défend, sabre invisible à la main, au milieu du fracas et du sang.

Sans l’élan de cet héroïsme brut, le Grand Sud serait depuis longtemps un territoire perdu, livré aux corbeaux — tout comme Martissant, à quelques kilomètres à peine de la résidence du colonel Rébu, est devenu un champ de désolation où même la honte a cessé de pousser. 

Dans un pays où les généraux parlent et où les justiciers agissent, il faut bien parfois que la balle accomplisse là où la phrase échoue. 

Car c’est bien là le cœur du drame haïtien : les uns parlent au nom de la loi qu’ils n’ont jamais su défendre, les autres agissent dans le vide qu’ils ont laissé. Et entre les deux, le peuple, ce peuple qu’on accuse d’émotion, survit dans un théâtre d’hypocrisies. 

Haïti ne mourra pas d’un trop-plein d’action, mais d’un trop-plein de paroles. Elle ne se relèvera que lorsque la parole retrouvera le courage de se salir les mains, et que l’action cessera d’être aveugle. Ce jour-là seulement, la République cessera d’être un mirage récité à voix haute, et redeviendra ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un devoir silencieux, mais vivant. 

Hervé Gilbert