Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Sunday, September 3, 2023

Mise au point sur Lumane Casimir (Première partie)

Lumane Casimir
Pionnière de la chanson  folklorique haïtienne


Par Eddy Cavé,





Ottawa, le 26 août 2023

Durant les recherches effectuées en vue de la rédaction du livre Chanson engagée, sexisme et identité haïtienne, j’ai été stupéfait par les omissions, erreurs, incohérences et contradictions relevées au sujet de Lumane Casimir dans les documents consultés. Ne pouvant démêler seul l’imbroglio dans lequel je me trouvais, j’ai fait appel à trois spécialistes amis, l’économiste-historien Leslie Péan, le peintre et historien de l’art Guerdy Préval, l’informaticien converti à la généalogie Jean-Édouard Stam. Leurs lumières m’ont grandement aidé à clarifier les points qui me paraissaient les plus obscurs. Pour l’instant, je me contente de faire le point sur les sujets les plus controversés, réservant les détails pour le livre.

Date et lieu de naissance, état civil et date du décès

N’ayant pas pu trouver jusqu’ici l’acte de naissance ni le certificat de baptême de Lumane, je m’en tiens à deux sources très fiables, même si elles concordent pas tout à fait sur une date : i) un article très documenté publié dans l’édition du dimanche 4 novembre 1956 de l’hebdomadaire de langue anglaise Haiti Sun, de Bernard Diederich, au sujet du défilé d’artistes organisé le dimanche précédent au Théâtre de verdure au profit de Lumane; ii) le certificat de mariage de Lumane avec un membre du corps des Garde-Côtes répondant au nom de Jean Bart. On trouve aussi le nom Léyis Jean-Bart dans divers documents.

L’article donne comme date de naissance de Lumane le 14 octobre 1922, tandis que l’extrait de l’acte de mariage reproduit dans le site informatique FamilySearch donne le 4 octobre de la même année. Bien que cet écart de dix jours ne prête pas à conséquence, il vaut la peine d’être mentionné. Ce document ne mentionne malheureusement pas le lieu de la naissance, qui serait Plaisance pour bien des gens, le Cap-Haïtien ou les Gonaïves pour d’autres. Cependant, il contient deux renseignements peu connus, le vrai nom de la mariée et l’âge du mari, 19 ans.

Au regard du nom de la mariée, il est écrit : « Elirose Casimir, dite Lumane Casimir ». Cela donne à penser que Lumane serait un pseudonyme devenu son prénom usuel, ce qu’on n’a jamais lu ni entendu ailleurs.

Lumane et le Jazz des Jeunes

La date du décès est toutefois l’élément le plus important de la présente mise au point. Selon l’historiographe de Port-au-Prince, Georges Corvington (tome 7 de Port-au-Prince au cours des ans, tome VIII, page 214) Lumane est décédée au Sanatorium de cette ville en 1955, tandis qu’Ed Rainer Sainvil, l’auteur de Tambours frappés, Haïtiens campés (pages 91, 92 et 93), donne comme lieu du décès l’Hôpital Deschapelles, près de Saint-Marc. Le généalogiste a effectué ses recherches à partir de la date de la soirée-bénéfice et il a trouvé que Lumane est décédée le 13 juin 1957. C’était donc en plein dans la fièvre électorale de cette année-là, soit moins de deux semaines après le début de guerre civile du 25 mai précédent et la veille du coup d’État militaire contre Daniel Fignolé. Il n’est donc pas très surprenant que ce décès soit tombé au second plan de l’actualité, mais il est curieux qu’il n’ait pas laissé de traces dans les journaux.

Une misère atroce à Fò Senklè

Les témoignages abondent encore sur les mauvais jours passés par Lumane durant sa traversée du désert dans son quartier d’adoption de Fò Senklè. Le rythme infernal des tournées artistiques, la perte de ses revenus, les privations de nourriture et la consommation d’alcool avaient ruiné sa santé. De surcroît, son mari avait disparu du décor quand il se rendit compte de l’ampleur du drame. Lumane sera d’abord hospitalisée à l’Hôpital Général, puis au Sanatorium de Port-au-Prince, une fois établi un diagnostic de tuberculose. Ne pouvant accepter le rigoureux régime d’isolement de cet établissement, Lumane s’enfuit et se réfugie dans la clandestinité.

Le chroniqueur sportif de Radio Port-au-Prince et futur maire de Port-au-Prince Antoine Rodolphe Hérard a raconté qu’il sirotait un jour un rhum soda au bar du Rara Shop quand la gérante, Mme Bareau, lui parla des déboires de Lumane et de la pauvreté extrême dans laquelle elle croupissait. En fait, l’artiste avait disparu de la circulation depuis un certain temps et personne ne savait où elle se trouvait. Cela se passait au début d’octobre 1956. Le chroniqueur se rend sur les lieux, constate par lui-même la gravité du cas et lance un appel désespéré à la population. Les dons commencent à affluer le même jour.

Les premières contributions vont de 10 centimes à 5 gourdes. En une journée, les petites gens de tous âges apportent à la radio des contributions qui totalisent 305 dollars haïtiens, soit 1525 gourdes. C’est l’équivalent de six mois de salaire d’un professeur débutant et la moitié du prix d’une bonne voiture d’occasion. Les dons continuant d’affluer, Antoine Hérard paie les nombreuses petites dettes de Lumane, lui achète ses médicaments et prend soin d’elle. L’Hôpital Deschapelles accepte de la recevoir en acceptant l’argument des circonstances particulières. On apprend dans un premier temps qu’elle récupère, puis ce sera de nouveau le silence, suivi de la nouvelle du décès.

Les plus récents témoignages écrits disponibles sont ceux du Haiti Sun des 14 octobre et 4 novembre 1956. Le lieu et les circonstances précises du décès ne sont toujours pas connus avec certitude. 

Une chanson de Lumane Casimir 

La gestion des fonds recueillis

Le pays n’ayant jamais pris l’habitude de rendre des comptes par écrit, les organisateurs de la collecte choisirent de ne pas publier de rapports écrits sur les entrées de fonds, préférant faire des comptes rendus journaliers oraux. Ils annoncèrent tous les jours les noms des donateurs et les montants reçus, ce qui est également très acceptable. Ces sommes étaient versées au Fonds Lumane Casimir et étaient gérées par un comité créé à cette fin.

À en juger par le succès présumé de l’opération, les fonds recueillis auraient pu servir à mettre Lumane à l’abri du besoin et à lui garantir une mort digne de son passé de vedette nationale. Surtout après le défilé d’artistes du 28 octobre qui attira un millier de spectateurs au Théâtre de verdure. De toute évidence, il y a eu au moins un déficit d’information, car la lumière n’a jamais été faite sur la vie qu’a menée Lumane entre le moment où les dons ont commencé à affluer et la date du décès. Le bruit courut à un moment donné qu’Antoine Hérard avait démissionné du comité d’organisation en signe de protestation contre de graves irrégularités. Dans la culture de l’oralité qu’est la nôtre, les témoignages écrits sont généralement assez rares de sorte qu’il est souvent très difficile de départager les avis contraires.

La triste vérité est qu’on ne connait avec certitude ni le montant total recueilli, ni l’utilisation qui en a été faite, ni les conditions dans lesquelles Lumane a fini ses jours.

Les funérailles

Un autre point obscur à clarifier est celui des funérailles. Ici encore, il y a deux versions un peu contradictoires : celle d’Émerante de Pradines, octogénaire jouissant d’une excellente réputation dans le domaine artistique, et celle de Renée Mirault, ancienne chanteuse et collègue de Lumane dans la Troupe folklorique nationale. Cette dernière a donné en 2008 à l’ingénieur et animateur de Radio Méga Jacques Borges, de Boston, une intéressante entrevue dans laquelle elle a longuement parlé des funérailles.

De son côté, Émerante de Pradines raconte, les larmes aux yeux, dans un témoignage pathétique qui ferait davantage autorité si les réalisateurs n’avaient pas situé le décès en 1955, au lieu de 1957 :

« Li mouri nan mizè. Li mouri Sou Ray. M al nan antèman l. Mwen pote flè. Mwen fè ti sè m yo abiye yo, ale nan antèman, mache devan Liman. Mwen santi m te dwe l sa… » (Elle est morte dans la misère… Je suis allée à son enterrement, j’ai apporté des fleurs. J’ai demandé à mes sœurs de se rendre aux obsèques et d’être en tête du cortège… Je lui devais cela.)

Deuxième partie...


1 comment:

  1. Mèsi anpil pou ti limyè sila sou lavi dam sila. Se domaj ayisyen pa konn apresye oken valè lakay yo. Lè w wap tande istwa dam sila li fè dlo koule nan jem. Ayisyen .se yon pèp engra, yo konen w lè wap fè kèyo kontan epi aprè yo jete w nan fatra. Po dyab Liman, se te yon gwo atis.
    Celimene

    ReplyDelete