Lumane Casimir l'impératrice du folklore haïtien |
Les
gens se précipitent alors chez eux, ajoute Renée, mais, à l’invitation du Dr Georges
Métellus, qui l’appelle Ti-Atis, elle se rend avec lui au Grand cimetière de
Port-au-Prince dans la « décapotable verte » de celui-ci. C’est là
que Lumane sera inhumée, juste à côté du grand caveau connu sous le nom de
« Tombeau universel ».
Emerante Morse |
Renée Mirault parle ensuite avec enthousiasme
de la messe de prise de deuil chantée le lundi suivant au Théâtre de verdure,
alors dirigé par Joe Féquière. C’était après le coup d’État contre Fignolé,
sous la junte militaire dirigée par le général Kébreau. Parmi les personnalités
présentes, il y avait les anciens médecins traitants Augustin Mathurin, Hébert
Dallemand, Manès Liautaud, un docteur Élie, ainsi que des chanteuses connues
comme Ermite Lamothe, Andrée Contant, Madan Renaud, etc.
Curieusement, Renée ne mentionne jamais le nom d’Émerante dans son témoignage, de sorte qu’il faudra choisir entre ce silence, ou cette omission, et l’émouvant témoignage de l’autre. Il est pour le moins difficile de croire que les deux puissent avoir raison, l’une affirmant avoir assisté aux funérailles, l’autre qu’elles ont été gâchées par une pluie torrentielle et un déferlement des eaux du Bwadchèn.
Le son de cloche de Jean-Claude
Martineau
Lumane Casimir sur scène |
Que la version véhiculée par cette chanson soit vraie ou fausse, elle a l’avantage d’être crue du public et d’être encore très demandée de nos jours. Invité à réagir aux propos de Renée Mirault, Jean-Claude Martineau a affirmé qu’il n’avait rien inventé et qu’il s’en tenait à sa version originale des faits. Comme par coïncidence, il est, comme on le dit pour Lumane, un natif de Plaisance, tandis que Carole est la nièce du grand tribun Castel Démesmin, qui a été un défenseur farouche de la pensée de Dumarsais Estimé et le dernier ministre de l’Intérieur de ce dernier.
Lumane Casimir chantant Panama m tonbe
La deuxième mort de Lumane
Au cours des 65 années écoulés depuis
ces funérailles diversement racontées, le silence, la confusion ainsi que
l’oubli, volontaire et collectif dans ce cas-ci, se sont associés à divers
types de comportements pour effacer des mémoires l’ascension vertigineuse de cette
vedette hors normes surgie de l’obscurité la plus dense du pays en dehors. Et,
du même coup, sa contribution à la promotion d’un important volet de la culture
populaire et de l’identité haïtiennes.
Il est à noter que, du vivant même de
Lumane, une chanteuse américaine de race blanche, Diane Adrian, qui fit plusieurs séjours en Haïti, avait
commencé à se tailler une réputation de
promotrice du folklore haïtien. Son
disque Caribbean Nights, qui ne contient que des chansons folkloriques haïtiennes,
et ses apparitions au Casino international de Port-au-Prince contribuèrent à
faire oublier Lumane dans certains milieux. La livraison du 14 octobre 1956 de Haiti
Sun, sur laquelle nous revenons plus
loin, contient un encart publicitaire annonçant, photo à l’appui, les tours de
chant de cette nouvelle venue.
Parmi les silences relatifs à la contribution de Lumane Casimir à la réussite des soirées culturelles du Bicentenaire, à la promotion du folklore et au boom consécutif du tourisme en Haïti, il y en a un qui est particulièrement curieux, celui de la veuve même du président Estimé. Dans le livre intitulé Dumarsais Estimé — Dialogues avec mes souvenirs, Lucienne H. Estimé a rendu hommage aux organisations et artistes qui ont contribué au succès du Bicentenaire, en reproduisant un compte rendu d’Haïti-Journal. Elle cite à cet effet : le Théâtre de verdure et son influent directeur Charles de Catalogne; la Troupe Folklorique nationale, la Philarmonique Duroseau, ainsi que Wanda Wiener, Lina Mathon Blanchet, Marian Anderson, Languichatte, Marcel Sylvain et Frantz Casséus. Un grand absent, le duo Lumane - Ti Roro qui fit les délices des habitués du Théâtre de verdure et remporta d’éclatants succès à l’étranger. Plutôt bizarre !
Outre
le handicap majeur de ses origines paysannes obscures, Lumane Casimir était
pénalisée par son faible niveau d’instruction, que Renée Mirault estimait à
celui du certificat d’études primaires. Pénalisée aussi par sa situation
d’unilingue créolophone projetée sans transition dans un milieu social encore
très attaché au français de France et aux règles d’une certaine bienséance européenne.
Jusque dans les écrits féministes les plus progressistes de l’époque, les
seules femmes retenues pour leur contribution à la promotion du folklore et du
vodou haïtiens étaient des étrangères et des bien nanties détentrices de
prestigieux titres de compétence.
Ainsi, l’avocate et docteure en sociologie
Madeleine Sylvain Bouchereau ne cite, dans son très intéressant livre Haïti et
ses femmes : une étude d’évolution culturelle parue en 1957, que des noms
de grandes bourgeoises très instruites, à savoir : Jacqueline Wiener,
Odette Roy Fombrun, Lina Mathon Blanchet, Jacqueline Scott, Carmen
Brouard, Micheline Laudun, Andrée Lescot, Émerante de Pradines. Une fois de
plus, Lumane n’aura pas survécu à une prestigieuse sélection des pionnières du
folklore haïtien.
En guise d’épilogue
Lumane Casimir, une icône au destin tragique |
Curieusement, le journal local à avoir
accordé le plus d’attention au calvaire de Lumane était l’hebdomadaire de
langue anglaise Haiti Sun. Dans la seule édition 14 octobre 1956, il a
publié, sous la grande rubrique Helping Lumane Casimir, trois articles dont
l’un, signé de Félix Morisseau-Leroy, sur la croisade lancée par Antoine
Hérard. Cet article est d’autant plus important que son auteur était l’un des
militants les plus zélés de la littérature indigène et qu’il appartenait à un
courant politique différent de celui d’Antoine Hérard. L’un militait dans le
camp de Clément Jumelle, l’autre, dans celui de François Duvalier.
En faisant le grand voyage immédiatement
après le 25 mai 1957 et à la veille du coup d’État contre Daniel Fignolé,
Lumane Casimir est sortie de l’actualité sur la pointe des pieds. Son décès qui
aurait pu être, en dépit de la campagne électorale, l’occasion d’hommages
grandioses à sa gloire est passé comme un fait divers. Cette fille authentique
du « pays en dehors », cette "moun andeyò" entrée comme par effraction
dans l’histoire de la chanson populaire d’Haïti, en est ainsi sortie d’une façon
déplorable. Par la petite porte !
Aujourd’hui, les moins de 30 ans ne
savent absolument rien d’elle. Les moins de 50 ans ont vaguement entendu
le nom et connaissent peu de choses à son sujet. Quant aux octogénaires qui se
souviennent d’elle, ils sont divisés en deux camps irréconciliables :
celles et ceux qui sont convaincus que les fonds recueillis en son nom ont été
détournés et qu’elle est morte dans la pauvreté et les autres qui croient, avec
Renée Mirault, qu’elle n’a pas été abandonnée à son sort et qu’elle a été jusqu’au
bout entourée de soins et d’amis sincères.
Une autre anomalie à signaler. De même que
François Duvalier a traîné dans la boue le nom Marie-Jeanne Lamartinière quand
il l’a utilisé pour désigner les femmes du corps des Tonton Makout, le
gouvernement Martelly-Lamothe a profané la mémoire de Lumane Casimir en donnant
ce nom à un projet bidon de construction de 3 000 maisonnettes au
pied du Morne-à-Cabris. Seuls subsistent aujourd’hui le nom et la maquette de
ce projet qui a servi à détourner quelque 50 millions de dollars.
Manifestement, cette grande dame sortie des
entrailles de l’arrière-pays pour contribuer à l’affirmation et au rayonnement
du folklore haïtien ne méritait pas un tel destin. Elle n’a eu droit à aucun
souvenir officiel de son passage parmi nous : ni une sépulture honorable
coiffée d’un marbre calligraphié, ni un nom de rue ou une petite place
publique, ni une fontaine baptisée en son nom où les enfants du quartier
pourraient se désaltérer. Rien de tout cela. Il n’est toutefois pas trop tard
pour corriger ce manquement.
Illustration : Haïti Connexion Culture
Eddy Cavé Auteur |
This is both a well-argued and well-presented article. I've never seen photos of these stars in color before. The publisher's illustration is excellent. These stars of the (black and white) photo era are now reborn. Our hats are off.🤠🤠🤠
ReplyDeleteEddy Cavé, pour répéter après Alfred de Musset: "vous êtes venu trop tard dans un monde trop vieux". Le microsillon de Carole Demesmin qui rend hommage à Lumane Casimir est sur le marché musical haïtien depuis les années 80. Cette chanson a connu un grand succès et a remis en mémoire notre Lumane pourtant jeté dans l'oubli . En d'autres termes, beaucoup d'artistes haïtiens y compris ceux évoluant à l'étranger ont interprété ce bel hommage rendu à notre diva du folklore haïtien. Où se trouvaient donc les gens comme René Mirault, Emerante y compris vous-même depuis tout ce temps. Pourquoi n'étiez-vous pas montés au créneau depuis la sortie de cette musique. Alors, que votre mémoire était beaucoup plus fraîche. Ce n'est que récemment sur Radio Mega que certains d'entre-vous ont voulu le contredire…. Come on 😄😄😄. Il n'est pas sans savoir que les Haïtiens pour la plupart sont des snobs. Certains détracteurs aiment exclure, mais à la fois inclure… Ils font référence à des gens qu'ils jugent dignes d'appartenir à leur groupe pour accoucher leur thèse. Après plus de demi siècle ces anecdotes nonsense sont irréconciliables. Parfois il faut laisser à l'histoire de suivre son chemin. Je pense qu'il serait mieux de laisser les choses comme elles sont au lieu de venir brouiller les esprits… D'ailleurs, la chanson de Carole a immortalisé notre Lumane Casimir!….
ReplyDeleteDonc vive la paresse et l'acceptation pure et simple de tout ce qui se dit ! Et sans jamais essayer de faire la lumière sur quoi que ce soit. Très beau conseil à donner aux générations montantes.
ReplyDelete