Mérès Wèche 1943-2021 |
Ottawa, le 6 novembre 2021
Dans l’après-midi du vendredi 5 novembre en cours, la ville de Beaumont gratifiait son fils Mérès de funérailles grandioses que, de mémoire d’homme, on avait rarement vues dans toute cette région de la Grand'Anse. Tenant compte des pluies torrentielles qui se sont abattues sur la ville le soir de la veillée mortuaire et le lendemain, avant et après les funérailles, on serait tenté de dire que même la Mère Nature s’était mise de la partie. Qu’elle a versé toutes les larmes qu’elle portait en son sein pour pleurer la disparition de l’illustre personnage. Car Mérès n’était rien moins que cela, dans son patelin, comme dans les communautés qu’il a traversées ou adoptées dans ses 78 ans d’une existence de voyageur impénitent.
Retourné au bercail l’an dernier comme le fils prodigue, mais avec les mains pleines de cadeaux, le cœur chargé de pensées généreuses, la tête remplie de projets d’envergure, Mérès était devenu le symbole et l’apôtre du renouveau à Beaumont. Dans un premier temps, le séisme du 12 septembre dernier a balayé en un clin d’œil la table qu’il venait de garnir dans un merveilleux élan d’enthousiasme et de solidarité avec le quatrième âge. Puis, c’est lui-même qu’un ouragan totalement imprévu a emporté sans le moindre avertissement.
Un segment des funérailles de Mérès Wèche à Beaumont
Cette veillée mortuaire m’a rappelé celle que Mérès alors, reporteur à la Télévision nationale d’Haïti avait réalisé à Jérémie lors du décès de son idole Émile Roumer. Dans ma pensée, Mérès rencontrait ainsi l’autre poète grand’anselais qu’il venait d’immortaliser dans les mémoires de Beaumont avec son documentaire sur l’auteur de Marabout de mon cœur.
Durant le déroulement des funérailles, Emnie m’a également transmis en direct trois fragments qui m’ont donné une claire idée de l’ampleur de la cérémonie. En pensant aux maigres funérailles qu’avaient les exilés haïtiens en France après les guerres civiles haïtiennes des dernières décennies du 20e siècle, l’ancien président Leslie Manigat se plaisait souvent à répéter un mot d’un des hommes politiques de l’époque : « On ne meurt bien qu’au village ».
Eddy Cavé, Mérès Wèche et Herve Gilbert à Montréal en 2019 (de la gauche vers la droite) |
J’avais changé d’avis sur ce sujet après les funérailles, grandioses elles aussi, de notre ami de Corail, Claude C. Pierre, décédé à Ottawa en 2017. Mais à la vue des scènes de désespoir, des pleurs et des cris de douleur, authentiques, qui ont ponctué la veillée mortuaire et les funérailles de Mérès, je suis bien forcé de répéter avec mon ancien professeur Leslie Manigat qu’on ne meurt bien qu’au village.
Resté jusqu’aux os un provincial incorrigible, malgré des 50 ans de résidence permanente au Canada, je crois profondément en la vertu salvatrice des cris de douleur et des scènes de désespoir caractéristiques des funérailles chantées sur la terre natale, en particulier dans le pays profond. Y compris celle des complaintes des pleureuses qui font partie de mes souvenirs d’enfance et de jeunesse.
« Va, repose-toi, Mérès ! ». Tel est le titre du très beau poème signé à Montréal par Pivoine MJL, nom de plume de Mireille Jean-Louis, de Montréal, en guise de dernier hommage au monument qu’était Mérès Wèche : poète, écrivain, journaliste, critique d’art, cinéaste, communicateur, peintre, plasticien artiste, aux multiples talents. Mérès était tout cela et plus encore, précisait des États-Unis, l’écrivain bien connu Leslie Péan, qui semble avoir lu tous les écrits de Mérès..
Il y a une dizaine de jours, le vieil ami de Mérès, l’ancien ministre Henri Piquion, faisait écho à un cri du cœur lâché de Montréal par une amie commune, Lélia Lebon, qui s’était exclamée en apprenant la nouvelle du décès : « Mérès, ne t’en va pas trop loin ». Mis bout à bout, ces deux messages à l’ami défunt expriment en peu de mots tout le désarroi que sa disparition soudaine a provoqué dans la diaspora : « Va, repose-toi, Mérès! » … « Mérès, ne t’en va pas trop loin ». En lisant ces deux phrases, la semaine dernière, je n’ai pu m’empêcher de les mettre sur les lèvres des parents et amis qui, à l’heure des funérailles à Beaumont, devraient remplir l’église Sainte-Agnès : « Merès, ou pa ta fè nou sa ! Men, ou mèt ale. Ou bezwen yon ti repo ! Merès, ou mèt ale, men pa al twò lwen, souple! Sous-entendu : Nou bezwen w toujou! Ta mission n’est pas terminée.
Pour nous qui venons de la Grand’Anse, du Cap-Haïtien, de Saint-Louis-du-Nord, de Jacmel, des Cayes, de Port-au-Prince, il y a en filigrane, dans le message d’adieu : « Mérès, ne va pas trop loin », l’idée que ce voyageur infatigable est seulement parti pour quelques jours, quelques mois. L’idée que Mérès a quitté Montréal, sa terre d’élection, pour mener à terme les projets entamés à Beaumont et qu’il reviendra un de ces jours.
Douce et apaisante illusion qui aide sans nul doute à surmonter l’épreuve de cette disparition brutale. Mais nous devons vous rendre à l’évidence. Nous ne le reverrons plus. En prenant congé de nous, le printemps dernier, il nous a seulement laissé entendre qu’il effectuait cet énième pèlerinage dans la Grand’Anse pour aller mettre définitivement Beaumont sur la carte de la Caraïbe, sur le circuit des concours de lecture, des salons du livre. Et surtout pour inscrire cette ville aux programmes des soins de santé et des Clubs des 120 ans de l’association cubaine AMECA.
Par l’initiative et les soins de Mérès, cette initiative conçue pour le quatrième âge a trouvé dans Beaumont la rampe de lancement dont elle avait besoin en Haïti. Les photographies des gran moun bwòdè du 4e âge prises l’été dernier, durant le Salon du livre de Beaumont, ont fait le tour du monde. Elles passeront à l’histoire comme un témoignage vivant des réalisations les plus spectaculaires de Mérès et de son amour sans bornes pour sa terre natale. Un héritage qui sera très lourd à porter et à sauvegarder!
« Le
pont
de la Grand’Anse est trop jeune pour mourir », écrivait Mérès
le 28 août dernier, dans les colonnes du Nouvelliste et de Haïti Connexion Culture. Il était alors à mille lieux de penser
que, lui aussi, était trop jeune pour
partir. Et surtout qu’après avoir tant semé sur les terres fertiles de
Beaumont, de Cassannette et de Chardonnette, il était contraint d’attendre l’éclosion
des bourgeons pour organiser et superviser les konbit de la récolte. Le Destin en a voulu autrement. Il a fauché
en plein vol cet oiseau d’une espèce peu commune qui s’était confortablement
installé dans les hauteurs de la création littéraire et artistique, de la
réflexion philosophique et de l’action humanitaire. Dorénavant, il faudra
compter sans lui.
J’associe ma voix à celle des amis d’ici qui ont déjà trouvé les notes justes pour saluer ton départ et je les invite à entonner en chœur avec moi cette chanson de Jean Ferrat,idéale pour la circonstance:
« Tu aurais pu vivre encore un peu » :
Mérès, tu vivras toujours dans nos pensées. Que la terre de Beaumont te soit douce et légère!
À son frère Nènè, à sa longue famille éparpillée sur les terres de l’exil volontaire et du pays natal, à Emnie qui a organisé de main de maître les cérémonies d’adieu, je ne puis dire qu’un seul mot : Kenbe fò. Premye so pa so.
Mon cher Eddy
ReplyDeleteC'est un adieu et un au revoir des plus sublimes. En ajoutant la voix de Ferrat à cette dernière agape, je m'imagine à Beaumont à ce moment précis, écoutant cette voix merveilleuse et sa réverbération en écho à travers les vallons de la montagne de la Hotte où Beaumont a pris racines. C'est un adieu sans équivoque qui accompagne notre ami pour son dernier voyage vers l'Orient éternel.
Comme d'habitude, tu as mis le paquet pour décrire l'ami, le poète, l'écrivain qui a fait les délices de toute une génération.
Mérès est parti en nous laissant des souvenirs ensorcelants qui vont survivre au temps pour alimenter notre imaginaire avec force et vivacité. Que son âme repose en paix. Nous lui disons simplement : MERCI !
Max Dorismond
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