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Thursday, April 7, 2022

Si le cinéma n’était pas une fiction, Haïti se nommerait Hawaï !

A visionner certaines vidéos, on a tendance à se tromper d'histoire:
Haïti ou Hawaï


Par Max Dorismond

Vivre loin de son pays n’a jamais été une belle promenade vespérale sur les ailes du rêve. Au contraire! Quand la nostalgie nous tenaille, on se rabat sur tout ce qui nous rappelle notre chère patrie : lectures, poèmes, souvenirs souvenirs, etc. Or, la technologie, faisant si bien les choses, nous apporte toutes formatées les images, les photos, et même du cinéma en vidéographie.    

Récemment, l’occasion m’a été offerte d’auditionner l’interview d’un ex-ministre de chez nous. Dans une mise en scène de style hollywoodien, interrogé par un journaliste complaisant et primaire, le tacticien se mit à pérorer sur sa carrière passée, sur le côté respectueux des normes et des principes. À le voir couronner de fleurs les noms de certains ex-collègues cités dans ce laps de temps, on dirait qu’ils étaient tous des surdoués, des gens honnêtes et compétents qui avaient su diriger leur barque avec maestria dans ce théâtre de faussetés et d’utopie. À visionner la vidéo, on pourrait se croire sur une autre île. Parlait-il d’Haïti, ce pays honni, le plus pauvre parmi les pauvres où la misère coupable crie sa rage et où l’ignorance se conforte dans toute sa dimension? Cest la première question qui aurait germé dans lesprit dun étranger.    

D’une nation qui collectionne gaffe après gaffe, bêtises après bêtises, le trublion nous en met plein les oreilles en nous brossant un parcours sans faute. À l’entendre, ses collègues ministres ou hauts fonctionnaires étaient des anges aux mains propres. Allez lui demander où se trouvent sa femme et ses enfants. Sa réponse hésitante, pour les situer quelque part sur le globe, ne souffrirait d’aucun remords. Idem pour ses associés. Ont-ils les moyens de leurs ambitions? Leur salaire officiel préfigure-t-il de telles dépenses : grande maison pour la famille, universités et soins pour les jeunes, une Porshe pour madame qui ne daigne rouler en petites cylindrées, ou un manoir au bord d’un lac bleu «pour les garçons qui fréquentent de grands amis (sic)», etc, et entretemps Haïti se noie.   

Plusieurs audio ou vidéos de cette trempe animent le web, qui en est inondé. Tous les acteurs se justifient en se payant notre tête. Ils nient leur origine pour occulter la misère ambiante de leur subconscient. Ce sont tous des archanges chantant le «Hosana au plus haut des cieux». Pleins aux as, ils surveillent le prochain scrutin électoral ou font des appels du pied pour se faire voir et ne pas sombrer dans loubli, au cas où le présent César au Palais ne sapproprierait le fauteuil pour de bon.   

Aucune critique du pouvoir régnant n’entrave leur discours. C’est la loi du clan. Il n’est pas du tout sage de juger, de contredire les amis en place, surtout quand on a la bouche pleine. C’est un accroc à la politesse! Sinon, «les zanno kay Sò Mansya1» sortiront de leur cachette. La décence s’impose, amigos! 

Dans mon pays d’adoption, après l’hiver, on se découvre au sens physique comme au sens figuré. Les copains sont enchantés de se revoir au grand air, à un barbecue, à une fiesta, après l’enfermement obligé. C’est l’époque aussi où certains frangins d’Haïti viennent faire leur tour, «aux frais de la reine», pour honorer le très cher visa reçu, ou pour se la couler douce avec la deuxième famille, ranimer au passage lopulent compte bancaire en réserve, se procurer un nouveau Condo à laisser en location, etc... Ces opportunistes, venus de loin et qui inspirent le mépris, nous arrivent parfois avec de fraîches nouvelles à émousser nos envies d’une belle échappée ou avec des sornettes à nous glacer le sang. 

Certains de ces vacanciers véreux, qui occupent ou avaient occupé un poste privilégié au pays, qui ont ou avaient un droit de regard sur les entrées et les sorties de leur institution, connaissent assez bien les secrètes pensées et les non-dits de la diaspora frustrée à propos de ces carriéristes prédateurs chevauchant le système des «Bêchons joyeux», incarnant lhypocrisie et laveuglement.  

 Souvent, au cours de ces festivités circonstancielles, ces hurluberlus, mal à l’aise dans leur peau, voulant se justifier, ne laisseront jamais la soirée écoulée sans se mettre en scène pour parler, en toute confidentialité, de leurs succès, de leurs réalisations saupoudrées de leur haute moralité. À les entendre, ils n’ont jamais volé un sou à l’État. Ils sont indépendants de fortune, étant entrepreneurs, disent-ils, depuis leur jeune âge (sic). Mais, dans la réalité, à cause de leur ignorance et de leur avarice, la misère hurle de partout. La populace est aux abois.

Le plus souvent, diplômés, disent-ils des grandes universités d’outre-mer, le doute à leur propos va en s’accentuant sur la véracité du document présenté à l’embauche, tellement le vernis de la connaissance a pris la poudre d’escampette une fois de retour en Haïti. À preuve, nous pourrons souligner à l’encre rouge la montée en puissance de la médiocrité triomphante au plus haut niveau de l’administration publique.

Franchement, ils sont tous indistinctement des acteurs oscarisables pour leur performance dans le rôle des anges de lumière bénis des dieux. À les écouter discourir sur leur carrière, sur leur passage au timon des affaires, à propos du sérieux de leurs collègues, à propos de leur honnêteté proverbiale, de leur compétence illimitée, on devrait regarder à deux fois pour entrevoir si, d’aventure, ils ne parlent pas d’Hawaï au lieu d’Haïti.

Max Dorismond


NOTE 

1 – « Zanno kay Sò Mansya » : Proverbe créole indiquant que chacun a une histoire bien cachée, pas trop belle à montrer.

 


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