Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Saturday, December 8, 2018

La gangstérisation d’Haïti: A qui la faute?

Quand on vit en dehors du pays, il y a des paramètres que l’on prenne en compte dans ses analyses que nombre d’éléments qui vivent à l’interieur du pays ne considèrent pas. Certains croient que le phénomène du banditisme en Haïti est dû seulement à la précarité et à la pauvreté. Dans un certain sens, on peut dire oui, mais nous n’avons pas tout le tableau avec cette assertion. Faire partie d’un gang est un emploi, être gangster est un métier lucratif en Haïti. Les experts en sécurité publique en Haïti ne sont pas nombreux, mais il y a des hommes bien formés qui comprennent la dynamique de la gangstérisation qui est arrivée à son apogée aujourd’hui. Mes compatriotes parlent de banditisme, de gangs qui sèment la terreur dans certains quartiers de la capitale, mais ils oublient d’aborder les raisons d’existence de ces gangs armés. Ici dans ce texte, nous allons aborder cette question et éclairer la lanterne de nos compatriote sur la gangstérisation d’Haïti qui est une politique publique embrassée par des dirigeants de l’Etat et soutenue par la bourgeoisie. Pour bien cerner la question, nous pouvons dire que le processus de gangstérisation du pays a débuté immédiatement après le départ de Jean Claude Duvalier. Des groupes et des secteurs ont voulu avoir la mainmise sur les bidonvilles, ainsi, ils ont trouvé bon d’armer des jeunes et des chômeurs pour faire la répression au sein de ces bidonvilles. 

Certains croient que les bandits dans les quartiers populaires agissent seuls, mais ils ne comprennent pas la dynamique. Avec la démocratisation d’Haïti qui a été mal abordée puisque l’éducation de masse et l’éducation civique et morale du peuple qui devrait accompagnée ce processus n’a jamais été rendu possible, plusieurs individus très bien placés au sein de la société ont trouvé bon de fragmenter les bidonvilles pour les transformer en des zones de non-droit. Pour mieux appréhender la question de gangstérisation, c’est lors des élections qu’il faut observer. Ce sont ces mêmes bandits qui sèment la pagaille et intimident la population pour ne pas voter. Dans certaines communes quand il s’agit de voler les élections, ce sont ces bandits également qui interviennent. Là, nous sommes en plein dans le banditisme d’Etat. En deuxième année en travail social à la Faculté des Sciences Humaines, je savais fréquenter une association à Cité Soleil où j’ai eu la chance de travailler avec des jeunes qui faisaient partie des gangs de cette bidonville. J’ai pu comprendre comment fonctionnait les gangs et savoir de qui ils recevaient leurs armes et leurs munitions ainsi que l’argent pour faire rouler le gang. La plupart des soldats, comme on les appelle sont rémunérés et ils partagent entre eux les butins des braquages et des différents vols. 

En Haïti, le crime organisé existe et bien des rapports l’ont prouvé. Dans un rapport intitulé : Gang violence in Haiti publié par l’Université Catholique de Sao Polo du Brésil, il est dit que les gangs en Haïti sont armés et financés par la bourgeoisie d’affaire et les politiciens. Il est connu de tous que certains politiciens qui n’ont pas de profession établissent leurs gangs dans ces quartiers et les soldats rançonnent la population et ces politiciens vivent de ces actes de banditisme qui rapportent gros. En contrepartie, ils assurent la protection des bandits. Quand ils sont arrêtés par la police, ils interviennent pour les relâcher. Depuis la création de la Police Nationale d’Haïti, le service d’intelligence des commissariats se servent des chefs de gang dans les ghettos pour se renseigner sur les activités dans les bidonvilles. Chaque commissaire de police a un fond qui n’est pas budgétisé qu’il peut utiliser à volonté pour payer des bandits qui sont des informateurs liés au commissariat. Sur les gouvernements lavalas, les chefs d’Etat savaient intervenir en personne pour relâcher des bandits notoires. Les gangs qui font parler d’eux est un aspect du vaste phénomène de gangstérisation. Et on doit dire que le phénomène de gang n’est pas l’apanage des bidonvilles, même dans les quartiers huppés, il y a des gangs spécialisés. On retrouve des gangs de kidnappings, d’autres qui se lancent dans le trafic de la drogue, des gangs spécialisés dans l’exécution des gens. Vous vous souvenez bien du gang de Clifford Brand, Sonson Lafamilia et Renel Le Récif. 

C’est malheureux que certains partis politiques rentrent dans cette logique de s’associer à des gangs pour le gain électoral. Certains sénateurs et députés influents ont leur gang. Il arrive que des sénateurs et des députés soient des chefs de gang eux-mêmes. Ces faits sont connus de l’Ambassade Américaine, mais elle s’en fout puisque les victimes sont des Haïtiens. Les ambassades étrangères ne disent rien sur ce phénomène de gangstérisation parce qu’ils font leur affaire. Pour des raisons personnelles, je ne vais pas citer le nom de certains gangsters qui sont connus et qui arpentent des stations de radio de temps à autre pour faire leur sale besogne. D’après vous, pourquoi la bourgeoisie haïtienne ne se sent jamais inquiétée, malgré les revendications répétées du peuple haïtien. Tout simplement parce qu’ils arrivent à contrôler les chefs de gangs qui sont à leur service. Depuis plus d’un an, Cité Soleil est devenu une zone vivable grâce à l’effort de certains ONGs dont Viva Rio et des notables de la zone qui ont pu faciliter le dialogue. Aujourd’hui, les jeunes de Cité Soleil sont plus intéressés à apprendre un métier et à trouver un boulot. Les massacres répétés des chefs de gangs durant la transition 2004-2006 et durant l’administration de René Préval II les ont dissuadés également. 

Chers compatriotes, pensez-vous vraiment que la PNH n’a pas les moyens pour faire régner la paix à Village de Dieu, Ti Bois et Grand Ravine ? La Police Nationale d’Haïti peut neutraliser les bandits, mais elle ne le fera pas puisque le directeur général de la PNH reçoit ses ordres premièrement des ambassades, deuxièmement de la bourgeoisie d’affaires et ensuite des dirigeants au pouvoir. Tous ces groupes ont leur intérêt dans la gangstérisation. Imagine que ce peuple des bidonvilles pouvait penser et réfléchir sur ses conditions matérielles d’existence et qu’il n’y avait pas ces bandits pour semer la terreur, ne pensez-vous pas qu’ils se révolteraient. Le président de la République sait qu’il ne peut pas atterrir, alors il gagne du temps, il donne des distractions au peuple. Et l’opposition cherche à emmerder le gouvernement en poussant ces gangs à terroriser la population. Il y a un aspect lucratif de la gangstérisation qui est assez important. A la fin des années 90 et au début des années 2000, dans certaines zones comme la Plaine du Cul de Sac, des gangs étaient armés pour forcer certains propriétaires à laisser leurs maisons et pour vendre à vil prix leurs propriétés et leurs terrains. Il ne faut pas oublier que les bandits légaux au pouvoir veulent investir dans le centre-ville et tout le périmètre allant de la Saline à Martissant. A entretenir des gangs et semer la terreur, ils poussent la population à se réfugier ailleurs

Ce qui est lamentable dans tout cela, c’est qu’il y a des experts en sécurité publique qui détiennent ces informations, mais ils ne peuvent dire rien puisqu’ils ne veulent pas mettre leur vie en danger. Depuis une dizaine d’années, nous travaillons avec des policiers pour mieux appréhender le phénomène de gangstérisation. C’est triste de le dire, mais vous trouvez des policiers qui sont partie prenante des gangs également. Chaque jour, je reçois des vidéos de gangsters qui paradent avec des armes lourdes, d’après vous, où est-ce que ces jeunes trouvent ces armes de guerre ? Les munitions ne sont pas gratuites. Pour semer la terreur pendant toute une nuit de 6 à 8 heures de temps, il faut au moins 3 à 4 mille dollars américains pour les balles, d’où est-ce que les bandits trouvent cet argent ? Personne ne pipe mot sur les armes qui entrent en Haïti dans les wharfs privés en contrebande. Les responsables de sécurité publique n’ont jamais mené des enquêtes pour savoir qui achètent ces armes et à quelle fin. Voilà l’Haïti dans lequel nous vivons. Le crime et le banditisme sont très bien organisés au pays. Certains jeunes sont illusionnés et croient qu’ils peuvent changer le pays avec de beaux discours. Il y a assez d’armes dans le pays pour tuer tous les Haïtiens. Et ce climat de terreur que nous vivons un peu partout dans le pays, c’est un fait voulu, car les élites de ce pays vivent de sensation et de crimes. 

Quand vous avez des connaisseurs comme l’ancien gouverneur Fritz Jean, l’économiste Eddy Labossière, Philippe Vixamar, ancien cadre de la BNC, vous ne pensez pas que ces gens à eux seuls auraient pu proposer des idées pour revitaliser l’économie nationale ? Ce n’est pas sans raison que Fritz Jean qualifie l’économie haïtienne d’économie de rente et il sait pourquoi on ne peut pas transitionner vers un autre système économique où la compétition et l’innovation puissent régner en maitre. La classe d’affaire ne veut pas de la compétition et ils sont contre les investissements directs étrangers et les investissements de la diaspora. Alors, qu’est-ce qu’ils font pour dissuader les gens de venir investir en Haïti, ils arment des bandits, ils installent des gangs armés un peu partout et ils sèment la terreur. Ceux qui sont capables et qui ne veulent pas vivre dans ces conditions exécrables s’exilent, et d’autres qui sont attachés à la terre d’Haïti et qui ne veulent pas partir gardent le silence. Les gens sont terrorisés. On peut mourir à n’importe quel moment en Haïti du phénomène de banditisme et de ganstérisation généralisée. Je me garde de parler de révolution avec quiconque en Haïti, car je sais que c’est une utopie pour le moment. Il prendra du temps pour arriver à l’Haïti nouvelle, et ceci ne se fera pas sans heurts et sans casses. C’est dur de le dire, mais c’est une vérité de la palice. Je n’écris pas pour faire plaisir à des individus ; j’écris pour dire la vérité et porter les gens, surtout les jeunes à réfléchir. 

Depuis un bon bout de temps, on ne parle plus du trafic de la drogue, et pourtant il est florissant. A chaque fois que je vois un Haïtien qui vit en dehors du pays prendre la décision de faire une visite en Haïti, je me demande bien est-ce qu’il va retourner. Il y a des jeunes, fils et filles d’immigrants haïtiens qui s’intéressent au pays, mais comment vont-ils entrer dans ce pays pour investir leur argent quand il y a une mafia qui contrôle tout ? Nous ne devons pas être naïfs. J’apprécie la fougue de certains jeunes qui croient au changement et qui mettent tout leur poids dans la balance pour que ce changement arrive, mais des fois, ils oublient qui sont les véritables ennemis et comment fonctionne la société haïtienne. Même ceux qui établissent ce climat de terreur, ils ont peur parce qu’ils ne savent pas quand un gang rival va les attaquer. La bourgeoisie haïtienne elle-même qui a le monopole de la violence est fragmentée. C’est la guerre des gangs au sein même de cette bourgeoisie. Malheur à celui qui est naïf dans ce pays. Quand je pense à ces belles têtes qui faisaient partie de la PNH qui, aujourd’hui sont soit dans l’au-delà, soit à l’étranger, je me demande comment ce pays va-t-il se relever s’il n’y pas une force externe capable de bousculer les bandits légaux et de les neutraliser. Je sais qu’il y a des gens qui n’arrivent pas à saisir ce que j’écris, mais au fur et à mesure, ils finiront par comprendre. Tout jeune, j’avais le sens de l’observation. Je prends du temps pour apprendre et pour comprendre. Pour lutter en faveur des déshérités de ce pays, il faut bien avoir du fiel et de la résilience. 

Je vis avec l’idée qu’un jour tout ce que nous vivons comme terreur et comme situation exécrable ne seront plus. Il y aura une Haïti nouvelle. Les bien-pensants doivent lutter pour former la masse critique. Maintenant que nous avons les réseaux sociaux, nous pouvons former les jeunes et les moins jeunes qui devrons assumer la relève tôt ou tard. Ayiti nou vle a pap ka fèt ak blofè. Ayiti nou vle a pap ka fèt ak moun ki fè richès yo nan sistèm peze souse a. Quand un Haïtien te dit que tout va bien, il faut penser à deux choses, soit il est fou, soit il fait partie de ceux qui contrôlent les gangs armés. En attendant la gangstérisation continue. Ne crois pas aux interventions de saupoudrage de la Police Nationale d’Haïti à la recherche de bandits. Ils savent comment les appréhender ; la PNH sait comment protéger les vies et les biens même quand il y a un problème de ressources. Mais, les élites qui nous dirigent ne veulent pas la paix, ni la vie pour tous dans ce pays. Que c’est triste ! Les Haïtiens doivent apprendre à prendre en mains leur destin. Même quand les élections sont truquées, mais le vote est l’un des moyens de prendre contrôle de l’appareil politique pour structurer l’économique et le social. Nous ne baisserons pas les bras. Nous encourageons ceux qui s’investissent dans le futur de ce pays de rester vigilants et sur leur garde, car les prédateurs sont un peu partout. Il y en a même qui prennent la posture de mouton. Notre secours et notre espoir résident dans cette phrase, oh combien significative : l’union fait la force. Que vive Ayiti !

Kerlens Tilus 

Kerlens Tilus   11/04/2018
Futurologue/ Templier de Dieu/ Ecrivain
Snel76_2000@yahoo.com
Tel : 631-639-0844

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