Par
Roseline Philantrope Laroche
Miami le 8 juin 2017
Le lieutenant Joseph Laroche (Année 1963)
Le 50e anniversaire de
l’exécution des 19 officiers à Fort Dimanche le 8 juin 1967 sous les ordres de
François Duvalier est pour moi une excellente occasion de sortir du mutisme
dans lequel je me suis enfermée depuis lors. C’est aussi et surtout l’occasion
pour moi de faire une mise au point sur une fausseté qui risque de devenir un
fait historique si on ne la dénonce pas pour rétablir la vérité. Il s’agit
d’une affirmation sans fondement formulée à la page 172 de la première édition
du tome II du Coin de l’histoire, publiée
par Charles Dupuis en 2003. Après discussion avec des membres de ma famille,
l’auteur avait promis de réexaminer la question et d’apporter à son récit les
correctifs appropriés, mais les nouvelles rééditions du livre ne comportent
aucun changement à ce chapitre.
Parlant des circonstances qui ont
précédé cette exécution, l’auteur écrit :
« Le cas le plus dramatique est celui du capitaine
Serge Hilaire qui, après avoir tapé la liste des condamnés, commit l’imprudence
d’avertir la femme du capitaine Joseph Laroche, laquelle se rendit en
catastrophe au Palais pour en savoir plus sur la liste secrète. Duvalier la
rassura habilement et lui demanda qui l’avait informée de l’existence d’une
telle liste. Le Capitaine Hilaire, une fois dénoncé par ceux-là mêmes qu’il
voulait protéger, plus rien ni personne ne pouvait le soustraire à la vindicte
présidentielle. Duvalier lui fit rajouter son nom à la fameuse liste et demeura
inflexible malgré l’intervention du père du Luc Hilaire, frère du capitaine et
aumonier du Palais national...»
Non seulement ce récit est en tous
points farfelu, les faits invoqués sont complètement faux :
i)
Le
caractère farfelu de l’affirmation
L’auteur raconte au paragraphe suivant
que le procès se déroula aux casernes Dessalines, que les officiers furent
« accusés de complot contre la sureté intérieure de l’État, de mutinerie,
de tentative d’assassinat du président de la publique, déchus de leurs grades
et condamnés à la peine capitale ». Cette affirmation est sans doute
juste, mais elle appelle des questions auxquelles l’auteur seul peut
répondre : si l’épouse du capitaine Laroche a eu cette conversation avec Duvalier,
pourquoi ce dernier s’est-il donné la peine d’intenter un procès, tout en se
réservant le privilège d’ajouter des noms à la liste des condamnés? En prenant
à la lettre le témoignage de M. Dupuis, il faut conclure que les suspects
ont été condamnés à mort et que Duvalier a ensuite appelé Serge Hilaire pour
lui demander d’ajouter son nom à la liste des officiers à exécuter. Le ridicule
de cette interprétation des faits est évident.
C’est un fait bien connu de tous que,
tout en s’accommodant sans fausse honte du titre de dictateur, le président-à-vie
aimait recouvrir ses actes les plus arbitraires d’un semblant de légitimité et
de légalité. De deux choses l’une : soit que l’auteur, pressé de diffuser
une fausseté inventée par le père Hilaire, qui voulait à tout prix faire porter
l’odieux du drame à un bouc émissaire et se faire une nouvelle virginité après
ses frasques bien connues, soit qu’il ait inventé de toutes pièces ce scénario
ridicule. La pratique des « fake news » aurait donc déjà commencé en
Haïti.
Il existe cependant une autre version des
faits bien connue dans les milieux informés. Dans l’atmosphère des luttes de
pouvoir et des intriques de palais dont l’ancien journaliste Jean Florival a
largement fait état dans La face cachée
de papa Doc, personne n’était à l’abri d’une dénonciation dans les
antichambres du Palais national. Comme l’a bien relaté Jean Florival, il y
avait, d’un côté, le duo France Saint-Victor – Gérard Daumec, et, de l’autre,
le clan des officiers regroupés autour de Max Dominique, qui venait d’épouser
Marie-Denise Duvalier. En tant qu’officier exécutif de la 33e
compagnie et ami personnel de Dominique, mon mari était pris entre deux feux. C’est
ainsi qu’il sera transféré à Hinche le 21 avril, tandis que les autres
officiers tombés également en disgrâce se retrouveront dans d’autres coins du
pays.
Toujours dans les milieux informés, il
se répète depuis maintenant 50 ans que Duvalier transmit une liste de
transferts au Grand Quartier général dans la nuit du 19 au 20 avril et que le
capitaine Hilaire en accusa réception. Quelques heures après, le lieutenant
Joseph Laforest, dont le nom figurait sur la liste des transferts, était
informé de la chose à Cabane Choucoune où Nemours Jean-Baptiste animait une
soirée dansante. Affolé par la nouvelle, il alla immédiatement en parler à son
patron et protecteur, le colonel Franck Romain, qui, à son tour, alerta
Luc-Albert Foucard, le gendre du
président et frère de France Saint-Victor. Insatisfait des promesses obtenues
et craignant le pire, le lieutenant Laforest se réfugia dans une ambassade
étrangère. Il n’en fallait pas plus pour que Serge Hilaire tombe à son tour en
disgrâce. Il ne s’agissait donc, pas d’une liste de condamnés, comme l’affirme
Charles Dupuis, mais d’une liste de transferts et je n’avais absolument rien à y
voir.
ii)
La
chronologie des événements
Pour l’histoire, je tiens à rappeler ici
la séquence des évènements qui ont précédé l’exécution de mon mari. Le 21
avril, il se rend à son nouveau poste à Hinche sans se soucier du danger qui le
guette. Le jeudi 18 mai suivant, il commande la parade militaire de ce
département et ne se doute de rien. Étant donné que le vendredi 19 est férié
également et que mes deux enfants ont congé au Kindergarden Jacqueline Turian, nous prenons tous les trois
l’autobus pour nous rendre à Hinche passer ces quatre jours avec Joseph. C’est
à partir de ce moment que les choses se corsent.
Le 19, Joseph reçoit un autre ordre de
transfert, avec pour instruction de se rendre au Grand Quartier Général pour
les suites nécessaires. Vu que nous sommes ensemble tous les quatre, je lui
suggère de traverser la frontière sans tarder, mais il clame son innocence et
refuse. Nous repartons donc pour Port-au-Prince par les transports publics, car
l’Armée ne peut pas ou ne veut pas mettre une de ses Jeep à notre disposition.
Par suite d’une panne du véhicule dans lequel nous nous trouvions, Joseph continue
seul dans un autre véhicule et sera accueilli à Cazeau par deux officiers amis,
Francis Charles et Willy Gaillard, qui lui demandent poliment de leur remettre
son pistolet. C’était le début de la fin. On connaît la suite :
internement au Pénitencier national, simulacre de jugement, condamnation,
exécution le 8 juin 1967… Grand Dieu, à quel moment a pu avoir lieu cette
prétendue visite au Palais national où le capitaine Hilaire a prétendument «
été dénoncé par ceux-là même qu’il voulait protéger »? Si l’auteur avait écrit
« par celle-là même qu’il voulait protéger », il y aurait un semblant
de logique dans son récit.
Joseph & Roseline Laroche (Année 1963) |
En résumé, cette conversation que
j’aurais eue avec François Duvalier n’est qu’une pure invention. De quel droit
aurais-je pu me présenter au Palais sans invitation pour soumettre le sort de
ma famille au président ou à son épouse? Par quelle porte la femme d’un jeune
lieutenant nouvellement promu capitaine ad
honores, suspecté de crime de haute trahison et de complot contre la sûreté
de l’État, serait passée pour entrer dans les habitations de la famille
présidentielle? Seuls les gens peu informés et les pseudo-journalistes ou
écrivains en quête de sensationnalisme peuvent raconter de pareilles
stupidités.
Comme toutes celles qui ont connu de
telles épreuves, j’ai connu des jours sombres après l’exécution de mon mari,
mais je me suis relevée par la grâce de Dieu et je n’ai jamais cessé de marcher
la tête haute. Duboisienne bien armée pour affronter les aléas de la vie, j’ai
ouvert par la suite un atelier de couture et de broderie et j’ai éduqué mes
deux enfants dans la dignité et l’esprit de pardon. Les deux ont fait leur
chemin et c’est une femme sereine qui, après avoir parcouru ce calvaire, a fait
ce témoignage avec le plus grand soulagement.
Roseline P. Laroche rorolaroche@yahoo.com |
C'EST triste et l'avenir dira le reste.
ReplyDeleteMadame Laroche
ReplyDeleteMerci de nous avoir raconté une histoire sans faute, j'ai tellement entendu et lu sur cette affaire la. Je suis ravi d'avoir prête une attention soutenue a tes écrits. Vous aviez bien élucidé pour les lecteurs et lectrices des faits qui nous ont toujours marqués pendant un demi siècle. Encore une fois , merci de nous avoir edifie.