Jean-Robert Léonidas médecin et écrivain haïtien |
Surprises sur prise jérémienne
Avec un tel titre, vous avez déjà, sans doute, en tête, une vue en perspective de Jérémie, de la Grand’Anse habillée de sa verdure luxuriante, baignant dans ses flots bleus à nul autre pareils.
Mais non, détrompez-vous, je vous parle de préférence, de l’un des écrivains jérémiens, le plus lu en Europe en plein XXIe siècle. Il s’agit de notre Jean-Robert Léonidas.
Écrivain, journaliste, pianiste à ses heures, médecin-endocrinologue et professeur médical retraité. Un touche-à-tout, qui a fait carrière chez l’Oncle Sam, pour revenir déposer sa besace dans le coin qui l’a vu naître : Jérémie, cette cité presque oubliée à la pointe ouest de l’île d’Haïti.
Très bien connu au pays natal, mais la France s’en raffole, au point qu’il est rare de trouver une librairie de Paris qui n’offre une de ces nombreuses œuvres. Beaucoup d’articles de l’Hexagone parlent de ses écrits en long et en large. Il est l’une des coqueluches des foires internationales du livre de là-bas, au point d’y effectuer deux ou trois voyages par année.
Pour
de plus amples connaissances, je vous invite à lire ci-dessous l'interview de notre
compatriote, publié par « Lettres Capitales », sous le titre
de :
Max Dorismond
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Qui êtes-vous, où êtes-vous né, où habitez-vous?
Moi, Jean-Robert Léonidas, j’ai vu le jour un matin
de Juin, sous le soleil des tropiques, à Jérémie, une ville du Sud-Ouest
d’Haïti. Une petite maison de la rue Hortensius Merlet m’accueille. Elle est
coincée entre deux églises, la cathédrale Saint-Louis vêtue de parpaings rouges
et le temple adventiste qui jouxtait notre cour où croissaient les plantes
préférées de ma mère. À part le pourpier, le chiendent et le plantain à ras de
sol, il y avait un manguier, un arbre à pain, un oranger, un cerisier, une passiflore
qui grimpait sur une palissade et une vigne vagabondant sur son berceau de
bambou. Des rosiers, des glaïeuls, des pervenches. Ma mère, femme de maison
férue de latin d’église, faisait partie de la chorale des mères chrétiennes.
Mon père venait d’être élu maire de la ville. J’ai grandi à Jérémie face à la
mer. Depuis le balcon de chez ma grand-mère maternelle, j’épiais souvent le
soleil du matin et l’arrivée des bateaux venus de Port-au-Prince ou des îles
avoisinantes. Le soir, derrière les montagnes, en contre-haut du collège
Saint-Louis où je faisais mes humanités, le rouge euphorisant du ponant jouait
à cache-cache avec une ribambelle d’oiseaux.
Par la force des choses, j’ai dû laisser mon lieu de
naissance. Je suis parti pour étudier ailleurs, travailler, écrire. J’ai
bourlingué en plusieurs coins du monde. Désormais, comme en une sorte
d’épiphanie, j’éprouve un bonheur immense de pouvoir crawler à rebours,
remonter jusqu’à la source, et revenir vivre et écrire en terre
natale.
Vivez-vous du métier d’écrivain, sinon, quel métier
exercez-vous ?
À 17 ans, déjà épris de littérature, je laisse
Jérémie, pour la classe de philo au Collège Saint-Martial de Port-au-Prince. Je
m’inscris à un cours de littérature moderne prodigué à Saint-Martial par le Professeur
Ghislain Gouraige. L’année suivante, sur les conseils de mon père, j’entre en
médecine. Je deviens médecin à Port-au-Prince et endocrinologue à New York où
j’ai exercé et enseigné ma spécialité pendant des années. Parallèlement,
j’écris, je fais du journalisme. J’ai gagné ma vie grâce à la médecine qui a
fait la courte échelle à ma passion des mots et a même été un pied d’appel me
permettant de sauter irréversiblement dans l’univers littéraire.
Comment est née votre passion pour la littérature et
surtout pour l’écriture ?
Je ne puis pas déceler comment a germé en moi cette
passion. Elle m’est venue en douce. Tous les dimanches, après la sieste, ma
mère nous récitait des fables de La Fontaine ou des poèmes qu’elle avait appris
en primaire chez les Sœurs de la Sagesse. Elle nous faisait chanter des rondes
et exécuter des saynètes de son enfance. Je prêtais attention aux mots, aux
harmonies et aux rimes. Le paternel a également joué sa partition. Il lisait
toujours et consultait souvent son dictionnaire. Sur son bureau, il y avait
l’Histoire de la littérature haïtienne par Duraciné Vaval, un manuel de
Procédure Civile, un vieux manuel de Droit Romain, divers numéros de Selection
du Reader’s digest et de la revue Historia. C’est à son exemple que
j’étais devenu un habitué des feuilles roses du petit Larousse illustré. «
L’étude sérieuse et calme n’est-elle pas là, n’y a-t-il pas en elle un refuge,
une espérance et une carrière pour chacun de nous ? » Cette phrase m’était
dictée par mon père. Je l’ai écrite sur le tableau noir de chez moi et de façon
indélébile dans les replis de ma mémoire. C’était à Jérémie dont on dit qu’elle
est un épicentre littéraire, « la cité des poètes ». Je n’aime pas ce privilège
exclusif qui est de toute évidence un mythe, mais à coup sûr un mythe fondateur
pour plus d’un. Pour moi en tout cas.
Quel est l’auteur, quel est le livre qui vous a
marqué le plus dans la vie ?
Pendant mon adolescence j’ai lu ce qui était à ma
portée. j’ai pris contact avec quelques classiques des littératures française
et haïtienne. J’ai aimé les poètes jérémiens. J’ai lu Le caïman étoilé d’Emile
Roumer, Les dix hommes noirs d’Etzer Vilaire. Puis mon univers s’est élargi.
J’ai dessiné une carte du Tendre personnel avec Paul et Virginie de Bernardin
de Saint-Pierre, Le petit Chose d’Alphonse Daudet, Le petit Prince et Vol de
nuit de Saint-Exupéry, Journal d’un curé de Campagne de Bernanos, en y ajoutant
plus tard Climats d’André Maurois, Les Mémoires d’Hadrien de Marguerite
Yourcenar et Belle du Seigneur d’Albert Cohen. J’ai aimé tout cela. J’hésite à
le dire tant je suis omnivore, mais j’avoue que le roman d’Albert Cohen m’a
divinement bluffé.
Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie,
essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?
Dans les provinces de notre pays, il était question
de jardin créole, lieu de tous les produits de subsistance, pour le bien-être
général. La monoculture n’était pas de règle. La sagesse était de diversifier
et de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Belle métaphore pour
signifier une ouverture d’esprit quant à la chose littéraire. Il n’y a pas loin
de la culture à la littérature. J’ai donc développé une certaine polyvalence
vis à vis de l’écriture. Tous les genres ont leur saveur. La poésie, les
essais, le roman. Avec le temps, le roman s’est imposé dans mes habitudes comme
genre de prédilection.
Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des
reprises, à la première personne, à la troisième ?
Pour moi, écrire est un acte qui suit les mouvements
de la respiration et du cœur, témoignant d’une simplicité et d’une authenticité
qui me plaisent. Des fois cela arrive comme une sudation, une éructation.
La démarche reflète alors mon état d’âme, mes sautes d’humeur, ma joie, mes
souffrances. La structure des phrases en dépend, le montage des paragraphes
s’en ressent. Je savais écrire d’un trait dans le temps. Mais depuis un certain
temps, j’ai appris à m’arrêter pour lire, comme pour me ressourcer. Je me
relis. En me relisant, je remets souvent le pendule à l’heure. Je fais des
ajouts. J’en dis plus pour clarifier, si je juge le message un peu abscons ou
la confidence incomplète. Je caviarde, j’émonde, si le déballage me paraît trop
intime ou superfétatoire. J’avais toujours écrit à la troisième personne.
Marguerite Yourcenar m’a appris, cela fait un bail, à carburer sur le mode du «
Je ». Après avoir lu Les Mémoires d’Hadrien, où Yourcenar s’est mise dans la
peau d’un empereur du 2e siècle, j’ai compris que je pouvais faire de
même. Dans un de mes romans À chacun son big-bang, je me suis glissé dans
la peau d’une fillette qui écoute parler son grand-père dont elle nous transmet
l’histoire en première personne.
D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et
combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?
Le monde est la matière brute qui s’offre en pâture
au travail de l’écrivain. Quand je dis « le monde », j’entends moi-même, mon
environnement, la nature et les autres. Je sais plonger dans les strates
freudiennes de ma personnalité pour retrouver mes vérités profondes et en faire
sortir une histoire intimiste, à moitié camouflée. J’aime observer les autres
qui évoluent sur la terre et dans l’univers pour puiser comme un prédateur des
sujets à exploiter. Je peux me transformer tout aussi bien en pygmalion, jeter
ma canne à pêche dans l’océan de l’imaginaire pour tenter de réaliser, la
chance aidant, une œuvre acceptable. Le réel est la nourriture de l’écrivain
autant que le rêve. S’agissant du temps qu’il me prend pour accomplir une tâche
littéraire, à ce stade béni de mes rapports avec l’écriture, un tel facteur
revêt de moins en moins de pertinence. Pourtant, je l’ai déjà dit ailleurs et
je récidive. Il me faut à peu près 9 mois pour avoir l’essentiel d’un roman en
main. Une grossesse a besoin de 9 mois. Un bananier autant pour porter son
régime en triomphe. Il m’a fallu neuf semaines pour faire la cour à mon épouse,
9 jours pour visiter une belle ville, 9 heures pour apprécier la richesse d’un
musée… Je tiens mordicus à la magie du chiffre 9.
Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant
le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?
Dans mes démarches littéraires, surtout s’il s’agit
d’un voyage fictionnel, le titre au tout début est volontairement relégué au
strapontin. Il s’identifie et se matérialise mieux en fin de parcours.
Entretemps, c’est la trame de l’histoire qui prédomine. Le déroulé peut
emprunter des détours inattendus, éloignés du projet initial du romancier. Le
titre dérive donc de la nature des choses. C’est l’histoire qui détermine
l’intitulé et non point le contraire. Il m’arrive de changer de titre au beau
milieu du travail. Une fois, mon éditeur, après avoir lu et accepté un de mes
manuscrits, m’a gracieusement suggéré un nouveau titre. J’ai obtempéré sans
barguigner. Il avait raison, le nouveau titre collait beaucoup mieux au texte.
Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et
comment les inventez-vous ?
Je l’ai dit. Je suis un chasseur-cueilleur, un
amasseur de biens. J’invente également et je crée quand je peux. Les êtres qui
circulent dans ce que j’écris sont des personnages hybrides. Je m’y reconnais
parfois, J’y retrouve des proches, des gens que j’aime, ceux que j’aime moins,
des rencontres fortuites, des inconnus. Ces mêmes personnages peuvent à terme
présenter des traits de caractère que je ne leur connaissais pas. Ils font à
leur tête. Ils tendent des pièges au lecteur, à moi aussi leur créateur. Et
c’est là l’un des divers charmes de la littérature qui sait construire,
déconstruire le monde, pour y apporter de l’imprévisible et du neuf.
Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos
projets.
Ma dernière publication est un travail à deux.
L’impertinence du mot (Riveneuve éditions, Paris) en collaboration avec Hélène
Tirole. De quoi s’agit-il ? Une femme curieuse et déterminée, ayant
pénétré dans les jardins privés des auteurs qu’elle admire, interroge les
lettres, les mots, les phrases, la pensée, et donc la nature. Un écrivain tente
de répondre librement, à sa guise, en empruntant des chemins inattendus, pleins
de surprises et d’humour.
J’avais besoin d’une période de jachère, de repos
d’esprit. La covid s’est mêlée de la partie sans me toucher heureusement. J’en
ai profité pour jardiner, manier le clavier en amateur. J’ai lu beaucoup plus
que j’ai écrit, avec de petits articles çà et là. Je me suis donc régénéré. Et
alléluia, vacciné et en pleine forme, je suis en train de mettre la dernière
main dans un projet fictionnel où j’aborde les bienfaits et les méfaits de
l’adoption interraciale, dans un monde de déséquilibre où les frontières entre
les gens et les pays sont à la fois poreuses et infranchissables… À bientôt.
Louis Frantz Alcindor
ReplyDeleteBonne besogne Jean Robert, tu as fait bon chemin . Tu nous as donne un peu de fierete en depit des vepres jeremiennes..