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Tuesday, June 30, 2020

Quand tout un quartier de Jérémie dit adieu à Julio Gauthier

Par Branly Ogé
Pétionville, le 30 juin 2020
Julio Gauthier (1949-2020)
La mort a cette particularité qu'elle nous porte à remuer le passé afin d'y puiser les moments heureux qui ont jalonné notre vie. Et celle de l’inoubliable  Julio Gauthier ne fait pas exception à la règle. Ainsi, son départ pour l'Orient éternel m'a fait revivre en boucle certaines images que je croyais enfouies à jamais dans les méandres de mon passé et qui pourtant n'attendaient qu’un moment opportun pour refaire surface.

Fidèle au précédent aphorisme, je ne puis m’empêcher, dans le souci de redonner vie à la rue Mgr Beaugé et de partager quelques épisodes de la vie de Ti Jules, de remonter le fil du temps et du souvenir en logeant par la pensée les files de maisons qui bordaient notre rue. Je vais ainsi entreprendre le difficile exercice de ressusciter le souvenir des visages familiers qui ont bercé notre enfance et notre adolescence dans le quartier.

Ce faisant, je vais vus prendre par la main, à la manière d’un guide touristique qui aurait conservé son regard d’enfant et d’adolescent, pour parcourir avec vous les lieux de la mémoire des années 1960 et 1970 à Jérémie. Je vais donc, en l'espace de ces quelques lignes, vous prêter un pan de ma mémoire et utiliser ma personne, comme on le faisait à l'époque en revenant de Port-au-Prince ou à la veille d'un départ, pour évoquer le souvenir des riverains d'alors, dire bonjour aux vieux copains que le destin a éparpillés aux quatre vents.

Du coup, je vais m'arrêter virtuellement devant des maisons de mon ancienne rue et restituer, pas seulement le souvenir de toutes ces personnes disparues au fil du temps, mais aussi celui de tant d'autres égarées dans les dédales de la mémoire.

Orientée direction nord-sud, la rue Mgr Beaugé part de chez Yèyèl, côté nord-ouest, et finit sa course aux portes de l’ancienne la résidence de Fritz Allen et à la façade de l'école Frère Paulin.

Et c'est par un soir de décembre que, grâce aux soins attentifs de “Grann Danm”*, j’ai vu le jour, au numéro 50 de cette rue. J'étais encore à cette adresse quand, sept ans plus tard, Tante Chérisena, Marcus, Ti Jules, Nephta, Yannick et Ti Corinne investiront la maison de Mme Mathias. Si mes souvenirs sont exacts, à l'époque, Nephta était coiffé à la "Jean-cheveux-cirés", et ses chemises d'uniformes, repassées avec soin, étaient protégées par une bavette. Marcus et Ti Jules fréquentaient l'école nationale Noréline Marc, et leur sœur Yannick, l'école maternelle Catherine Flon.

Le décor étant planté, avec votre consentement, et surtout avec votre complicité, une complicité mêlée de tendresse, je vais, à pas mesurés et aussi à pas feutrés (par souci de ne point déranger les riverains qui nous ont précédés dans l'au-delà), retracer à la fois le plan des maisons de la rue Mgr Beaugé d'alors, ainsi que les couloirs de ce qui reste de notre mémoire, sélective par nature.

Le numéro 50 se trouvant du côté ouest de la rue, je vais, face à l'aurore, debout sur le perron de la maison de mes parents, le visage légèrement caressé par la brise matinale, descendre l'escalier, tourner à gauche, m'arrêter un instant sur le pas de certaines maisons de cette rue de mon enfance. J'en profiterai aussi pour saluer la mémoire des anciens locataires et propriétaires, leur annoncer le décès de Ti Jules, dire un dernier adieu à ceux d'entre eux qui nous ont précédés dans l'au-delà et leur proposer de former un comité d'accueil pour Julio.

En passant, je ferai également un clin d'œil à certains êtres chers du quartier et de l'époque partis pour le "peyi san chapo".

Le principe étant admis, effectuons, donc, à l'instant, notre visite dans les méandres du passé et du souvenir.

Adossée notre demeure, se trouvait celle que Grann Tinise, Mme Bassonor Pasquier, partageait avec ses filles Muriel, Odette, Marie-Marthe, Madeleine et la famille de cette dernière, Me Alphonse Bazile et leurs six enfants, Fanfan, Marie-Évie, Michèle, Paule, Andrée et Renée. Tout de suite après, il y avait les maisons de Mme Jules et des Viel.

À titre de rappel, chapeau style colonial vissé sur la tête, le juge Léonce Viel chaussait ses étriers et enfourchait majestueusement son cheval à chaque fois qu'il se devait se rendre à la campagne.

Après avoir dépassé l'appartement de Carélia, la mère d'Emilio Balthazar, nous nous arrêtons nous faisons quelques arrêts pour saluer Mande Chena, Gérard Beausoleil, Tante Clermosante, Boss Seremy et Léane. Philosophe à sa façon, Boss Seremy portait toujours des costumes kaki gris et aimait déclarer "bonbon timoun renmen, se ladan li lajan l fini".

Tout au bas de la rue, une fois saluée Tante Yaya, la mère de Rostand Gaubert, je traverse la rue pour dire un p'tit bonjour à Tante Aline Pierre-Louis, Tante Sephora, Yves César. Cela fait, pénétrons dans le "Gwo Lise" pour saluer Boss Ben, "Ti Ben pitit Boss Ben", Magella, Tante Liliane Jean et ses cinq filles.

Remontant la rue en direction sud, on rencontrait tour à tour, Mme Italien et sa famille, Tante Louise et Jules Duverneau, le parrain de Ti Jules, et la maison de Boss Cyriaque, éternellement vêtu de son costume de kaki beige.

Maintenant, nous voilà chez les époux Latendresse, et un salut spécial à deux de leurs enfants, le bouillant Manno, qui n'avait pas son pareil pour confectionner des cerfs-volants, ainsi que Nuella, sa sœur jumelle. Ils passeront mon bonjour à leurs ainés Jean et Jeanine.

Poursuivant la remontée vers "Sou Kare", visitons dans l'ordre, Me Louis Charles, le couple Albert et Yolande Charles, Sergent Lafleur, Tante Youyoute et famille, M.et Mme Bénier, Ti Fauché, la famille Civil,Mme Fauché, Grann Edmond, la famille Benoît Alcindor, Enone et sa famille, Léa et Fritz Laplanche, Mme Jean-Baptiste, Mme Clervius et famille, y compris Yves, Melle Eddie Saint-Louis, Me Émile Alexis; Me Barnave Gilbert, un éducateur-avocat reconnu de la Grand’Anse, Antoine Jean et famille.

Revenu sur le côté ouest de la rue, un rapide salut aux époux et enfants Mignon, Madeleine et Bébie Defay, Ti Mouton, Michel Roumer et leurs sœurs, Doudouille et le reste de la famille Brierre, Mme Mercius, "Tante Genn", Igénia Roland, la famille Verdiney, Mme David, "Tante Lolo" ( Laurence Jean-Denis), Tante Ultivia et Tètè, la famille Clément Laroque, Mme Luccéus, Walnès Benjamin, Grann Julie, Boss Thomas et famille, la famille Wèche, M. et Mme Erilus Gilbert, Boss Tima, Tante Estée, Yolande Pintro, Felix Pintro, Lilas Biron, Frankie, Jean-Antoine et Jean-Wilson Charles. Et nous voilà maintenant revenus à notre point de départ. 

Notre visite terminée, je ne saurais clore cette promenade dans la mémoire sans dire une courte prière pour les nombreux disparus qui nous ont encadrés et influencés durant notre prime jeunesse. Des figures telles que Fanfan, Jean-Claude Fignolé, Claude C. Pierre, Bobisson, Blanc Picard, Gisèle Mayas, Marthe Lubin, Chanlatte "Brimborion", Alix Félix, Tante Rénise, Tante Zulma, Tante Mamaille, Tante Odette (Bwa Dette), Mme Abner, Gè, Mme Siméon, Me Félix, Macula Félix, 'Granny" (Mme Ernest Lévêque), Boss Raymond Hilaire, Mme Ti Louis Moreau, Marraine Anna, député Son Étienne, Malou, Anotte, Tato Léonidas, Ti Mèt, Tonton Ivan, Manassé, Jean Pompée, Tante Yvonne Antoine, Tante Yvonne Auguste, Tante Émélène, Gérard C. Noël, Dr. Louis Laurent, Louinès Dégraff, Georges Chéry…

À Ti Jules et à vous tous, ces êtres chers appelés auprès du Père, c'est avec le cœur lourd, et aussi la certitude que vous avez marqué ma vie et laissé votre empreinte sur la ville de Jérémie, que je vous dis :
Reposez en Paix, très chers Amis,
Que la terre vous soit encore légère!


Branly Ogé



Note
*Grann Danm était la  matrone la plus connue et la plus vénérée de Jérémie sur la période allant des années 1930  aux années 1970. Elle a ainsi fait plusieurs milliers d'accouchements dans la région. Elle était à Jérémie l'équivalent de la matrone Madantizo qui, selon le documentaliste Arnold Antonin, a effectué plus de 20000 accouchements dans les environs de Jacmel.  Sure de son expérience et de sa technique, elle contredisait souvent les médecins et elle avait raison.

2 comments:

  1. Ce texte de Branly m'a pratiquement branlé, non pour me faire vaciller dans ma mémoire ni pour m'ébranler en quoi que ce soit, mais pour me donner des ailes, sortir de mon confinement, me transformer en oiseau, prendre les airs et faire un frou-frou d'ailes à la rue Mgr Beaugé ou naissaient, lui et moi, nos premières amours. La rue Mgr Beaugé, celle de nos beaux jeux.

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  2. En effet Julio fut un type qui BRILLAIT par son absence tant sa présence dans un cercle d’amis reflétait une sympathie dépourvue de toute exubérance hautaine. Il fut un type de bien autant que ma mémoire d’enfant me dit. En tant que l’un des représentants toujours vivants de la famille Gilbert qui vivait aussi pas trop loin de son quartier je me baisse respectueusement pour saluer La mémoire de Julio. Carl Gilbert, de Haiti Connexion Network

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