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Friday, September 14, 2018

Une diaspora en butte à la paranoïa

Un collectif d'Haïtiens de la diaspora lors d'un colloque

Par Max Dorismond Mx20005@yahoo.ca
            
Selon l’adage connu, les voyages forment la jeunesse. Nous pouvons ajouter, les aînés aussi. En réalité, fin août-septembre 2018, durant mon actuelle tournée en Europe, du côté de l’Espagne et du Portugal, en passant par la France, j’ai eu l’occasion de rencontrer et de revoir quelques camarades, de jaser autour d’un verre. Sans ambages, comme tout Haïtien qui se respecte, les nouvelles de « Lakay » reviennent à chaque battement de cœur. On eut dit que le monde n’existe plus et que le temps s’est arrêté sur un seul point du globe : Haïti, dont je vous résume, à posteriori, une partie de nos réflexions en ces moments d’heureuses retrouvailles. Ce sujet, je pense, intéressera plus de 50% des lecteurs.

La perte de confiance en soi de la diaspora -
Rassemblement des Haïtiens (mai 2018) à Brooklyn (N.Y)
lors de la dénomination d'une rue par les autorités locales
en l'honneur de Toussaint Louverture
                              
Le sujet de l’heure ne planche pas sur la nostalgie mais, de préférence, sur nos appréhensions, nos craintes quant à la perception de l’Haïtien par ses contacts respectifs dans les pays d’adoption. Comment l’autre nous voit, nous regarde, nous considère chez lui quand les nouvelles d’Haïti colorent sans ambages les premières pages des quotidiens. Je pensais être le seul à vivre cette pression paranoïde, quand mon pays occupe la une des journaux du monde.

Non! Je peux respirer aisément. Car, la diaspora haïtienne d’Europe partage aussi la même phobie qui nous incite, en Amérique, à raser les murs, de crainte de braver ou de soutenir le regard des gens croisés sur notre chemin ou au travail, quand la température sociale fait sauter les couvercles là-bas, quand la corruption généralisée dépasse les bornes.

Face à la masse d’argent promise par plusieurs pays du monde, lors du terrible seisme de janvier 2010, pour venir à notre aide, plus de 11 milliards de dollars, on reste sidéré quant à l’usage de ce pactole, sans doute gaspillé, sans apporter un souffle nouveau pour les classes défavorisées de la nation.

Quand les médias étrangers se penchent sur cette gabegie, sur ces résultats suspicieux, nous n’avons pas de mots pour traduire notre mal-être, tant l’opacité de la gestion étonne. La seule chose qu’il nous reste à faire, c’est de prendre notre trou. Ces malencontreux revers m’avaient déjà porté à écrire une diatribe, intitulée : « On ne piétine pas deux fois les couilles de l'aveugle »; article résumée en ces mots : « En cas de résurgence, l’île restera un bloc de roches éparses, car nul, à l’avenir, ne lèvera le petit doigt. L’humanitaire n’est pas un bar ouvert ».

La rencontre de l’étranger et la torture psychologique -
Le plus navrant dans ce capharnaüm, c’est quand l’étranger commence son premier contact par : « J’ai été dans votre pays. J’ai adoré. Le soleil, la mer, le sable chaud, les gens… sont formidables ». On sait que la gentillesse personnifiée ou l’hypocrisie déguisée débute toujours son audience par la même chanson, la même sornette, sachant d’avance ce que nous voulons bien entendre et ne pas entendre. Mais, en notre for intérieur, le son des mots prend une toute autre connotation : la mer devient la merde, les gens s’entendent comme indigents, sable se métamorphose en sale, saleté, etc…

La diaspora en a assez d'être la vache à lait et la caisse de
résonance d'Haïti.                                                                  
En regardant autour, nous remarquons la propreté et l’organisation de la terre natale de notre interlocuteur, nous demeurons avec la triste certitude que les expressions malodorantes viendront tôt ou tard assaisonner sa conversation. On reste toujours sur ses gardes. Nul ne se réjouit jamais à l’idée d’entendre des bouches folles médire de son coin de paradis sans sourciller, sans ronger son frein. C’est tout à fait compréhensible. L’enfer n’est jamais invitant. Donc, nous sommes condamnés à entendre, le jour venu, ces rétroactions désagréables destinées à désarçonner le cheval et son cavalier.

Avec les réseaux sociaux qui remuent la plaie à longueur de jour, rien n’échappe à cette diaspora. La corruption endémique, qui devient programme national, intoxique les bonnes mœurs. La dilapidation des fonds de Petro Caribe interpelle le monde. Média-Part, un site d’information, type de journal d’enquête publié en trois langues, qui fait trembler les politiciens, soutient que « c’est le plus grand scandale politico-pétrolier dans les Caraïbes ». Le New-York Times en a fait ses choux gras.
Haïti : où est l'argent de Petrocaribe?
Une courtoisie de France 24

Les soubresauts stratégiques de certains politiciens, les appels incessants des récalcitrants et l’impatience des victimes de la populace, semblent ne froisser aucun poil des Petro Cari-beurres qui se la coulent douce dans ce pays créé sur mesure pour eux. À l’inverse, ces manifestations ne laissent point la diaspora indifférente. Ça met ses nerfs à vif.

Une immunité réglée au quart de tour -
En diaspora, nous savons que, dans ce pays à genou, l’expression « l’enquête se poursuit » est comme un rince-bouche. C’est-à-dire une note de musique à fredonner sous la douche, telle, par exemple, « Au clair de la lune mon ami Petro », un chant d‘espérance destiné à endormir les plus naïfs.

Nombreux sont ceux qui veulent retourner pour contribuer 
 à la reconstruction du pays.                                                           
Naturellement, on ne verra jamais les Petro Cari-beurre aller se cacher aux USA. Ils sont très intelligents. Ce sont des Docteurs-Es-Crocs. Aux États-Unis, avec une simple preuve, n’importe quel compatriote pourrait porter plainte contre eux dans le dossier de Chavez et leur perte serait comptabilisée en années derrière les barreaux. Donc, ils préfèrent élire domicile à Thomas, où leur lendemain est assuré pour l’éternité.  Même si de temps à autre quelques sursauts des victimes effarées et affamées viendront troubler l’onde de la marre aux crocodiles, cela ne les empêcherait point de faire des rêves bleus. C’est de la p’tite bouillie pour les chats. En achetant les « Baz » et en assassinant deux ou trois agités, l’affaire serait ketchup.

Dans ce pays, ils jouissent d’une immunité éternelle. La délinquance en col blanc est inconnue. C’est une question de clans. Les prédateurs d’Haïti évoluent en vase clos. Ce sont des intouchables.

Dans presque toutes les nations environnantes, de temps à autre, la presse nous rapporte l’arrestation et condamnation de deux ou trois futés aux doigts trop légers, un ministre, un magistrat, un haut fonctionnaire et même des présidents : Brésil, Argentine, Chili, USA, et plus près de nous, en Dominicanie, … s’il ne faut citer que ceux-là. Mais chez-nous, jamais! Au contraire, la gouvernance haïtienne agit à l’instar du  Vatican en rapport aux  prêtres pédophiles de l’Église catholique. Le contrevenant obtiendra un « promoveatur ut amoveatur », sorte de promotion ou nomination prestigieuse dans tous les sens du terme : augmentation de salaire, un grade supérieur et mutation dans une autre institution.

Pourquoi Haïti va-t-elle à l’envers malgré la profusion de PhD1 sur l’île ? -
La Diaspora est sans conteste le secteur économique le plus 
important du pays. Il injecte environ 2,3 milliards de dollars 
US par année dans l’économie du pays.  (Photo H. Gilbert )  
C’est bien vrai et c’est tout un paradoxe pour l’étranger qui jette un regard succinct sur Haïti. Un foisonnement de docteurs y rayonnent comme les étoiles au firmament. L’explication est cependant fort simple. La diaspora bardée de diplômes et d ‘expériences ne sera embauchée que sur recommandation exclusive. Ne rentre pas travailler en Haïti qui veut. La recommandation espérée, arrive toujours avec un titre de garantie, que le prospect a déjà fait amende honorable. Elle comprend dès le départ les rouages de la machine et accepte les conditions du « Pwenn fè pa2 ». Elle est donc déjà du clan bien avant son arrivée dans l’Île.  Au moment d’acheter son billet d’entrée, l’éthique est mise en berne, tout en faisant litière de ses visions idylliques, de ses connaissances. Elle est l’instrument de perpétuation des privilèges criards des élites qui lui étaient jusqu’à présent inaccessibles. Pour garantir sa fidélité, on lui refilera toutes les prostituées de luxe de la haute. Et il se voit déjà,… créant son harem de rêves. Elle participe à toutes les combines destinées à rapporter du fric et pratique le culte de « l’immédiateté ». Le narcissisme aidant, la voilà, enfin reconnue. C’est un être métamorphosé. L’anonymat de son dernier pays d’adoption n’est plus qu’un vain cauchemar. « Icit, en haut koninl, en ba koninl. Li pa gin okin pays li vin changé ».  
Petite mise en garde – L’intimidation n’est jamais trop loin -
La communauté haïtienne répondait en nombre imposant lors
du passage du président Martelly à Orlando le 14 juillet 2013.
(Photo - H, Gilbert)
Si par hasard vous effectuez une virée dans l’île pour des vacances, soyez prudents. Si cette ex-diaspora était un camarade d’université ou un collègue d’exil, ne courez pas le saluer trop vite, si elle est en « bonne compagnie » (sic). Vous serez déçu. Son clan vous est totalement étranger. Elle vous connaît trop bien et vous a déjà repéré de loin. Au fond, elle n’est pas heureuse, malgré les millions déjà engrangés. Certains sursauts de moralité, pour quelques secondes, la ramènent parfois sur terre. Certaines richesses sont parfois ingrates et peuvent décevoir leur propre maître.  
Prisonnière de ses calculs personnels, elle est toujours sur ses gardes, sachant déjà le fond de la pensée des anciens camarades laissés sur la touche au pays des neiges. Pour vous stopper net, elle va jouer la carte de l’inconnu en vous méprisant. Sa paranoïa la pousse à la fuite, à l’indécence, à une forme d’intimidation à l’haïtienne.
Ne confondez jamais Champs-Élysées et Champs-de-Mars. Restez sur vos positions. Sinon, vous allez croire que tous les hommes sont des monstres. Non! Cet ex-ami, en fait, en est un. C’est un cas classique de schizophrénie morbide. Il n’a plus de conscience sociale. C’est un être morcelé, concassé.

Finis les beaux discours de Madrid, de Lisbonne. Maintenant c’est à son tour de piller la nation. Vous n’êtes à ses yeux qu’un vulgaire emmerdeur, un Don Quichote qui lutte contre les moulins à vent, un rêveur invétéré. C’est comme dans la chanson de Gilbert Bécaud : Nathalie . « Fini le café de chez Pouchkine / c’était loin tout çà ».

Et pourtant, ces pick-pockets instruits n’ignorent point le tort qu’ils font aux camarades laissés au pays d’accueil. Ces derniers sont condamnés à subir ou à essuyer le mépris de tous ceux qui étaient émus aux larmes lors du séisme de 2010. Le Venezuela, en crise aujourd’hui, se mord les pouces d’avoir perdu la tête, en écoutant son cœur, pour jeter par la fenêtre près de 4 milliards de dollars, qui seraient aujourd’hui d’un sérieux apport pour son peuple en désarroi. La Dominicanie, qui avait reçu de Chavez près de 7 milliards de dollars, rit sous cape, de l’avantage que ses propres compagnies avaient pu dégager de la gargote haïtienne, tout en utilisant sa part avec discernement et patriotisme. À voir ses réalisations spectaculaires : Métro souterrain, Téléphérique, funiculaire, multiplication des hôpitaux, des universités et des écoles, de belles autoroutes, des édifices institutionnels dernier cri, des places publiques enchanteresses, on comprend leur fierté d’avoir tenu promesse, en assurant le futur de leurs congénères, tout en raillant d’un air dédaigneux les filous à l’ouest de la rivière des Pedernales. Applaudissons les Dominicains! 

Barcelone (Espagne) 10 sept.2018
Max Dorismond
sous l'aqueduc de  Gaudi
(Sept 2018)

Note – 1 : PhD est un sigle ou abréviation pour « Philosophiae doctor » ou littéralement Docteur en Philosophie.  Aujourd’hui le sigle est associé à tous ceux qui ont obtenu un doctorat dans le système  universitaire anglo-saxon ou Canadien francophone. Src : Wikipédia

Note – 2 : « Pwenn fè pa » : Littéralement : « Point de faire part ». Ne donner aucune chance aux nécessiteux.

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