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Tuesday, July 25, 2017

Réparer les morts


Quand la mer entrouvre ses abysses, nos larmes sont légitimes. La mort semble poursuivre son intrigue en silence. Trois écrivains de la même génération sont emportés au même âge sur une cruelle toile de fond, l’un par une maladie neurologique dégénérative, l’autre par un cancer et le dernier, enfin, par un infarctus du cœur, au terme d’un long périple en avion. Peut-être sont-ils morts par empathie l’un pour l’autre. Ils étaient un même peuple, trois exilés d’une façon ou d’une autre, se reconnaissaient et se comprenaient quand bien même ils ne se furent jamais rencontrés auparavant. L’annonce de la mort de trois écrivains haïtiens, un creusement de l’instant, est une scène dramatique, dans laquelle se conjoignent la méchanceté d’une tyrannie, la disgrâce de l’exil sublimée par la résistance d’une génération d’artistes qui avait rêvé d’une narration fragmentaire, elliptique, allusive mais libre.


Adieu Claude Pierre. Pour le déjeuner littéraire que tu nous avais offert sous la véranda en compagnie d’écrivains québécois de passage en Haïti, Pierre Nepveu, Yvon Rivard et de ton cher Laënnec Hurbon, venu en voisin fidèle. « Je ne retournerai point sous la tiédeur des vérandas. » Je furetais dans ta bibliothèque érudite et passionnée. Je m’étais endormi à l’écart sur un banc du jardin, à l’ombre d’un arbre musicien. Ton épouse avait glissé un coussin sous ma tête. Je rêvais aux arbres chargés de cachimans d’un vert sombre. Tu t’inquiétais pour l’avenir de ta fille, celle qui avait fait des études de médecine à Cuba. Elle avait entrepris une spécialité à Ottawa. Tu t’inquiétais. Tu avais une belle âme de père. Claude Pierre, poète, éditeur, mentor d’une nouvelle pousse d’écrivains, était aussi un passeur de lettres vigilant et exigeant.

Adieu Serge Legagneur. Pour Glyphes, ton long poème énigmatique qui ne laissait aucun doute sur l’intention de la poésie. Reclus depuis des années, tu n’avais pas pardonné à ta mère de mourir. Tu avais veillé sur sa dépouille des nuits durant. L’instant s’était sans doute dilaté puis le temps s’était arrêté… Car le deuil d’une mère est interminable. Tu vivais entouré de la peinture de tes amis, les toiles accumulées ici, les sculptures là, sous la poussière. Tu te précipitais sans peur à l’assaut de la phrase comme un surfeur sur une vague, comme un poète. Il faudra cet égarement, ce dérèglement des sens rimbaldien pour garder intacte ta vision lucide et radicale de la place de l’art dans la société. « Il n’y a pas d’exil. » Lors du lancement de je ne sais quel livre, tu m’avais chuchoté avec une sorte d’admirable pudeur dans le regard, - « Ton fils te ressemble. » –. Oh, l’intense sensation de découvrir la vérité des choses et des êtres sous de petites phrases anodines. Ce fut notre dernière rencontre, oh… 

Adieu Jean-Claude Fignolé. Pour Les Possédés de la pleine lune, roman qui aura marqué la fin du duvaliérisme et dont la longue résonance tient au refus de tout surplomb de l’auteur sur les protagonistes et au charme de la phrase sans apprêt. Une longue conversation, seul à seul dans ton camion de brousse en route vers ton sanctuaire, est mon dernier viatique. Tu me confiais tout, absolument tout, du fait du huis clos que créait la cabine du véhicule. Il y avait dans ta voix quelque de chose de sanguin. Les Abricots, la mer, notre passion commune, les remarques discrètes sur le monde des écrivains, la courbure des vertèbres des négresses. Ou encore les amours de nos vies en y mettant tout notre cœur et en nous trompant. Au détour d’un morne, la malveillante spirale de la misère qui emporte l’horizon perdu ou inatteignable et que tu avais fini par haïr. Tu croyais, - tu y avais cru ta vie durant -, que la poésie était action, c’est-à-dire la persévérance de poser l’action poétique au cœur du réel. Aux citoyens eux-mêmes de faire émerger « un art de la démocratie ». Tel était ton éthique de l’intérêt général à notre arrivée aux abords des contrées saturées de la beauté bleue des Nippes. 

La disparition d’un écrivain, de trois écrivains réunis par leur destinée après la mort, convoque une multitude de réminiscences involontaires et confuses et peut même être considérée comme une méditation douloureuse sur la littérature haïtienne et de son rapport avec la littérature québécoise. En effet, si Serge Legagneur et Claude Pierre ont vécu, enseigné, publié au Québec et sont décédés en terre étrangère, Jean-Claude Fignolé, après avoir été édité au Seuil, avait fait paraître quelques-uns de ses livres au CIDHICA et chez Mémoire d’encrier à Montréal. Sous des dehors de coïncidence de leur mort ou de leur naissance commune à la Grand'Anse, patrie intime des lettres haïtiennes, nous ressentons obscurément une perte dont nous ne trouvons pas l’origine. La mort de ces trois écrivains est d’une évidence poétique, celle de scander la fin d’une épopée littéraire qui ne cessa d’exposer le manque de beauté dont pâtit le monde, d’en dénoncer la démence et d’exalter la noblesse de toute vie. « Il y a / que les peuples manquent de poésie / nous les poètes manquons aux peuples. » 

Grâce à une lecture politique de leurs œuvres, écrites dans les affres de l’exil intérieur, ces égarés de l’Histoire pourront alors redresser la tête pour s’entendre dire comme le vieux paysan vaincu par le gardien de la nouvelle de Kafka « Devant la loi » : « Ici nul autre que toi ne pouvait pénétrer, car cette entrée n'était faite que pour toi. Maintenant, je m'en vais et je ferme la porte. » 

Quand bien même ces écrivains eurent partagé leur vie avec des lecteurs, pour leurs proches, la perte est indicible, langage qui précède le langage, d’avant les mots et d’avant la grammaire, qui est peut-être l’autre nom de la douleur. 

Réparer les morts – il incombe au lecteur un travail d’inachèvement – comme si les émotions, les bribes et les pensées évoquées étaient revécues, restituées par les sensations d’avoir relu, les yeux fermés, quelques pages de leurs œuvres. Il n’y aurait donc pas de vie après la mort ? L’honneur d’avoir connu ces trois poètes, Claude Pierre, Serge Legagneur, Jean-Claude Fignolé, ce n’est peut-être finalement rien d’autre qu’une vie d’où la littérature, c’est-à-dire la vie, n’a pas été chassée. 

Par Joël Des Rosiers


Montréal, le 18 juillet 2017

Saturday, July 15, 2017

LES REMERCIEMENTS DE
ROSELINE PHILANTROPE LAROCHE


Roseline Philantrope Laroche
Lorsque j’ai pris la décision, longuement murie, de rédiger la mise au point du 8 juin 2017 sur l'exécution des 19 officiers, j’étais déterminée à tourner définitivement cette éprouvante page de ma vie. Je n’aspirais qu’à me replonger dans mon mutisme et à me consacrer exclusivement à ma vie d’arrière-grand-mère comblée de tendresse, à mes activités de militante catholique et communautaire et surtout à la prière. La rectification de M. Dupuis ayant confirmé mes dires, mon soulagement était parfait…

L’avalanche et la diversité des messages de solidarité, d’amitié et de sympathie que je reçois depuis le 8 juin dernier, ainsi que le nombre incroyable d’appels téléphoniques m’obligent à refaire surface, ne serait-ce que le temps d’un remerciement.

Merci à la belle équipe de Haiti Connexion Network, les frères Herve et Carl Gilbert qui ont distribué mon témoignage à plus de 130 000 lecteurs ou connectés, me lavant ainsi de toute responsabilité dans la mort de Serge Hilaire. Serge était le camarade de promotion de mon mari et un ami très proche de nous deux. Merci aussi à Max Dorismond qui a coiffé d’une très belle note la réponse de Charles Dupuy.

Merci à ma cousine Alexandra Philoctète qui a distribué l’article à des centaines de correspondants internautes, en y associant sa propre crédibilité.

Merci aux dizaines d’internautes qui ont tout de suite fait confiance à la sincérité de mon témoignage avant même que l’auteur de l’accusation ne se rétracte, après plus de dix ans, dans une note passée totalement inaperçue. Dans l’intervalle, le chapitre en question du « Coin de l’histoire » était périodiquement reproduit sur le Net. Avec crédulité ou méchanceté, peu importe!

Merci aussi à M. Dupuy qui aurait pu faire la sourde oreille, mais qui n’a pas tardé à réagir. Sa réponse apporte la seule confirmation publique que j’attendais pour me sentir définitivement lavée devant l’histoire. Je l’en remercie bien sincèrement, ainsi que pour ses généreuses pensées et pour la politesse de sa note. Dommage qu’il ait cru bon d’appeler à son secours le tristement célèbre Cardinal Talleyrand et Chancelier de Napoléon, dont la citation porte manifestement à faux : « En histoire, précise-t-il, ce qui est cru est plus important que ce qui est vrai. »

Merci aussi à tous ceux et celles qui ont compris mon point de vue et appuyé ma démarche.

Merci enfin à mon Dieu qui m’a fait vivre assez longtemps pour que, 50 ans après la perte de mon mari et la diffamation dont j’ai été victime, je connaisse la joie d’avoir vu triompher la vérité.

Je saisis cette occasion pour rappeler à mes compatriotes que cette année est celle du centenaire des apparitions de Notre Dame de Fatima. Je les exhorte à réciter régulièrement le Rosaire et à toujours avoir leur chapelet avec eux. Ils pourront ainsi vivre dans la paix du Seigneur et seront mieux armés pour affronter les temps durs que nous traversons.

Que Dieu vous bénisse tous!
Roseline P. Laroche
Miami, le 12 juillet  2017

Nos trois poètes jérémiens et l’inaccessible étoile


Par Max Dorismond
Ils étaient les trois mousquetaires de la plume, une trilogie d’étoiles accrochées au frontispice de l’amphithéâtre littéraire qu’est Jérémie, la ville qui avait bercé leur enfance avec des hymnes à la beauté et la mélodie des choses. Quand, dans leur jeunesse, le noir linceul recouvrait le pays de deuils, ils avaient pris leur courage à deux mains pour braver l’hydre aux cent têtes.  Des rêves pleins le chapeau, Claude Pierre, Serge Legagneur, et Jean-Claude Fignolé  se voyaient déjà en rédempteurs des âmes et des consciences pour remettre cette île à l’endroit et contribuer à l’édification d’une société égalitaire. De déception en déception, leur existence ne fut que luttes et désespoirs. En empruntant aux mots leurs secrets et leur puissance, ils ont tout tenté pour annihiler les effets du poison de la méchanceté humaine, pour convaincre les paumés et les orienter vers un brin d’humanité. Des poèmes, des romans, des nouvelles, du théâtre…tout a été essayé pour pacifier les cœurs et renverser l’ordre des choses. Malheureusement, le pays a vogué de drames en drames pour se ramasser avec des pleurs et des cauchemars à damner les plus endurcis.

Voilà maintenant le trio sur le chemin du ciel. Avec un rictus au coin des lèvres, ils vont faire rapport au Bon Dieu, tout en sachant déjà que la récolte ne fut pas abondante. Ils ont tout donné, tout tenté, mais le destin l’a voulu autrement. Sous leurs yeux, s’est produit l’effacement systématique de familles entières, des amis, des copains. Ils ont été spectateurs involontaires de la descente aux enfers de la nation. Acteurs impuissants, témoins  de la déchéance collective, leur dialectique ne pouvait renverser l’ordre établi. La force du verbe ne pouvait rivaliser avec les armes de guerre, avec les insinuations malveillantes, les regards inquisiteurs, la haine débridée et la terreur innommable qui alimentaient le quotidien. Le peuple à genoux criait famine. La face de la misère était indescriptible.

Dans leurs œuvres, à tous les trois, on détecte une poésie aux accents prophétiques, une sorte d’érotisme mystique, une source inépuisable de consolation à pouvoir de rêves. Avec intelligence et sensibilité, ils s’adressent souvent aux fossoyeurs de pays sous couvert de poètes sans illusion de l’espoir.  Hélas ! Tout a filé comme le sable entre leurs doigts. Leurs vis-à-vis n’avaient aucun sens de la vie. Ils se foutaient de l’existence de leurs semblables. C’était des humanoïdes.

Les voilà aujourd’hui de l’autre côté du miroir. Ils sont partis, pour répéter Jacques Brel, « handicapés de leurs rêves non exaucés ». Claude, Serge et Jean-Claude, ne vous en faites point. Arriver au bout du voyage sans la satisfaction du devoir accompli est vraiment rageant. Ce fut une mission impossible. Partez sans nul souci. Le ciel est indulgent. Les desseins de Dieu sont impénétrables. Pour la première fois, nous allons vivre nos chagrins sans vous. Tel est notre destin.  La cité entière vous salue en choeur et  joint sa voix à celle de Regnor C. Bernard, de regrettée mémoire, votre confrère jérémien, dans le poème « Altitude » pour vous dire, à chacun :

Cherche la donc enfin la route du soleil.
Et grandis ta souffrance à l’orgueil de ton rôle.
Nègre, l’horizon est immense qui t’appelle et te sollicite.
Elève-toi, élève-toi !
Et cueille toutes les étoiles qui fleurissent le champ bleu de la nuit.

2016-10-27
Max Dorismond 
Note : En cliquant sur les mots colorés (hyperliens), vous aurez l'avantage de découvrir ou de lire la tragédie jérémienne ou en l'occurence le drame haïtien qui a été le cheval de bataille de ces trois combattants.


Thursday, July 13, 2017

TEMOIGNAGE SUR LA VIE ET L’OEUVRE DE CLAUDE PIERRE

Claude Pierre, photo © Thor Burnham Port-au-Prince, mai 2002
Prononcé par Eddy Cavé
À la soirée culturelle d’adieu
Organisée par la famille Pierre
À Ottawa le vendredi 7 juillet 2017
Chers amis,
« On ne meurt bien qu’au village! ».
Le mot est de François Saint-Surin Manigat, l’ancien général de division et ministre de l’Intérieur du président Salomon alors accrédité à Paris comme ambassadeur et ministre plénipotentiaire d’Haïti. Le diplomate suivait ce jour-là le maigre cortège funèbre d’un compatriote décédé à Paris dans l’indifférence générale et il ne cessa de penser aux veillées mortuaires, diplomate s’était écrié dans un élan  de nostalgie mêlée aux funérailles et aux oraisons funéraires des pures traditions haïtiennes. Imaginant  l’événement qu’auraient été ces funérailles au pays, le diplomate s'était écrié dans un élan d’indignation :  

« On ne meurt bien qu’au village! »
Les choses ont bien changé depuis et il appartiendra à l’ambassadeur d’Haïti au Canada, M. Frantz Liautaud, ici présent avec son épouse, Mme Florence Saint-Lèger, de consigner pour la postérité le caractère grandiose des adieux à Claude C. Pierre. De consigner aussi l’atmosphère proche de la dévotion dans laquelle une salle bondée de parents, d’amis, d’anciens collègues, de camarades de promotion aura participé à cette soirée culturelle d’adieu.
Depuis que les terres d’accueil sont devenues des patries d’adoption  pour les compatriotes  fuyant les réflexes dictatoriaux de nos  dirigeants, les diasporas haïtiennes ont développé des traditions qui recréent le village et consolident les familles. De nos jours, l’Haïtien meurt bien partout où le destin l’amène, tant dans les grandes villes du Canada, de France ou des États-Unis que sur la terre natale. Comme les funérailles, les mariages, les baptêmes, les premières communions sont devenus partout où l’Haïtien met les pieds l’occasion de retrouvailles agréables ou émouvantes
selon le cas, mais toujours chaleureuses.

Vue partielle de la salle lors du témoignage d'Eddy
Eddy Simon, le cousin de Claude, me faisait remarquer ce matin que, dans le cas de Claude,  le village en entier s’était reconstitué dans la région d’Ottawa-Gatineau pour l’assister  et l’accompagner à sa dernière demeure. Si l’on tient compte de la grande famille créée avec les  Préval du Cap-Haitien, les Malval de Port-au-Prince, les Coulibali du Mali,  la famille d’Annick Miette, l’épouse de Ti-Claude, c’est un village planétaire qui encadre ce soir les ombres de l’ami disparu. Sans parler des nombreux amis accourus de partout dès qu’on a su que la médecine avait baissé les bras devant la gravité et la très faible fréquence du cas : May et Eddy Simon,  Laënec Hurbon sont alors précipitamment entrés d’Haïti; ainsi que Boulou Malebranche; Elizabeth et Lochard Noël, de la Floride; Bergman Fleury , Marie-Denise et Carl Brierre, de Montréal, ouvrant un interminable défilé d’amis et de parents qui se poursuit encore.
Devant la violence du choc qui a emporté Claude en quelques mois, il m’est extrêmement difficile  de déplorer  sa disparition soudaine sans essayer au moins de rappeler quelques-uns des  épisodes des dernières années que j’ai vécus à ses côtés.
J’étais en vacances  chez Claude et Jocelyne à Belle-Ville en février 2012 et nous faisons  tous les matins  une heure de marche en compagnie de deux amis de vieille date :  Gisèle Chassagne Théard et Laënec Hurbon. Un matin, Claude fut pris d’un soudain malaise qui nous obligea à rentrer à la maison. On pensa dans un premier temps qu’il s’agissait d’un problème cardiaque, ce  qui n’a jamais pu être confirmé. Puis ce furent des douleurs au dos de plus en plus tenaces et inquiétantes.  Ce seront ensuite des problèmes d’insomnie, des douleurs persistantes à la colonne vertébrale, le manque d’appétit, le vertige, des pertes de mémoire et ce dernier voyage à Ottawa.
Y a-t-il un lien entre ces divers problèmes et celui qui l’a finalement emporté ce samedi 24 juin écoulé. On ne tardera pas à le savoir. Mais quel que soit le diagnostic final, le plus sage pour les chrétiens que nous sommes sera de se conformer à la volonté divine et de dire : Merci Seigneur. Que ta volonté soit faite et non la mienne.
J’aimerais utiliser les quelques minutes qui me restent pour remercier publiquement Claude pour le soutien enthousiaste et désintéressé qu’il m’a accordé de mon entrée dans le monde des lettres jusqu’à son retrait définitif de la scène littéraire.
Pour finir, je vais vous lire un passage tiré de l’article  que j’ai publié ce matin sur le site internet d’Haiti Connexion Culture  sous le titre : « Les poètes: Claude C. Pierre et Serge Legagneur réunis pour de bon dans l'éternité ».  Je cite :
« En soulignant  la générosité de Claude, Lyonel Trouillot a évoqué un trait de caractère qui collait comme un gant à la peau de Serge Legagneur. Les deux ont œuvré avec un rare désintéressement pour l’épanouissement des jeunes talents et  pour l’excellence dans les lettres haïtiennes.
Pour avoir été un des grands bénéficiaires de l’expérience et du savoir-faire de l’un et de l’autre depuis mon entrée tardive dans le monde du livre, je suis bien placé pour attester de la générosité et de la grandeur d’âme de ces deux amis. Et ce n’est certainement pas un effet du hasard si leurs noms figurent,  l’un à côté de l’autre, dans les pages de remerciements de tous les livres que j’ai écrits.

Méthodique, méticuleux, pointilleux et doté d'un extraordinaire sens du détail, Claude a passé au peigne fin chacun des livres que j'ai publiés et il a préfacé le tome 1 de De mémoire de Jérémien. Nous nous complétions, lui et moi, et notre complicité dans l'écriture était parfaite par la finesse de son jugement, sa maîtrise des techniques d'écriture, sa probité intellectuelle et sa grandeur d'âme, il a grandement contribué à la réussite de mes projets d'écriture. Claude n'était pas seulement un poète. Il était aussi un communicateur, un technicien de la prose et par-dessus tout un adepte de mon dada, le langage claire et simple, Je lui dois une fière chandelle.
De portée plus générale, l’encadrement de Serge Legagneur m’a été tout aussi précieux. Poète jusqu’au bout des ongles, cérébral quand il devait l’être, Serge m’a assisté dans tous les aspects de mon travail d’écriture. Il a été à mes côtés  dans les moments d’euphori comme dans les nuits de détresse; quand j’étais emballé par mes souvenirs et mes anecdotes sur les notables de Jérémie ou quand l’ordinateur plantait au beau milieu d’une étape critique de travaux urgents. Serge connaissait à fond le monde canadien de l’édition, maîtrisait comme pas un la technologie moderne de l’information et il n’a jamais marchandé ses conseils. À lui aussi, je dois une fière chandelle. » Fin de la citation.
Maintenant que mon académicien et mes deux  poètes ont disparu du décor, les divers personnages qui m’habitent se trouvent soudain démunis et désorientés :  le voyageur a perdu un port d’accueil, le marin a perdu  sa boussole ; l’écrivain a perdu deux grammairiens et deux sources d’inspiration. Par-dessus-tout l’ami a perdu deux des compagnies les plus stimulantes, les plus rafraîchissantes  et les  plus enrichissantes qu’il ait jamais eues.
Que leurs âmes reposent en paix!

Par Eddy Cavé




Wednesday, July 12, 2017

Un autre mapou d’Haïti vient de tomber…

Jean-Claude Fignolé
24 mai 1941 - 11 juillet 2017
L’écrivain, le professeur, homme politique et philosophe, Jean-Claude Fignolé, né le 24 mai 1941 à Jérémie est décédé ce mardi 11 juillet, à l’âge de 76 ans des suites d’une complication cardiaque, avons-nous appris. Grande figure de la littérature haïtienne, Jean-Claude Fignolé a créé, avec René Philoctète et Franckétienne, le mouvement littéraire « Spiralisme ».
Jean Claude Fignolé parle de son rôle de fondateur  du spiralisme...
Essayiste et nouvelliste , Jean-Claude Fignolé aura encore longtemps marqué la littérature haïtienne contemporaine à travers  ses oeuvres  comme le célébrissime récit « Les possédés de la pleine lune (1987)  »,  et Aube tranquille (1990), considérés comme des œuvres majeures de la littérature haïtienne. Il a également écrit d’ autres romans comme : Une heure pour l’éternité, paru en 2008.

Après avoir suivi des études de droit, d’agronomie et d’économie, il devient critique d'art au Centre d'art de Port-au-Prince, journaliste – notamment au Petit samedi soir dans les années 1970 – critique littéraire, enseignant et co-fondateur du collège Jean Price Mars avec René Philoctète et Victor Benoît.

Vers  les années 1980, Jean-Claude Fignolé retourne à son petit village des Abricots dans la Grand'Anse où Il apporte une aide essentielle aux habitants de son bercail. Il les assiste dans un travail de développement de première nécessité (reboisement, éducation, santé, constructions routières, agriculture).

De 2007 à 2012, il est maire de ce village et est président de l’Association des maires de la Grand'Anse (AMAGA). De 1990 à 2000, on le retrouve observateur et commentateur dans le journal  Le Nouvelliste où il tient la rubrique « Rompre le silence » dont les analyses politiques font découvrir la laideur d'un pays cloué dans son échec. En 2010, après le séisme en Haïti, il vient en aide à des milliers de rescapés.  Il est membre  de la direction du collège Jean-Price Mars – qu'il a fondé avec René Philoctète et Victor Benoît –, participe au développement touristique de son île et prononce des conférences. 

Ces dernières semaines ont été particulièrement pénibles pour nous tous. Nous avons  perdu trois  grands écrivains de notre espace grand'anselais en un mois: Claude Pierre, Serge Legagneur et Jean-Claude Fignolé.

Nous conserverons précieusement l’ombre de ces mapous qui nous ont faussé compagnie à quelques jours d'intervalle.

En cette douloureuse circonstance, le staff d’Haïti Connexion Network  présente ses sincères condoléances à la famille Fignolé. Nos affectueuses pensées accompagnent ces chers disparus.

Pour HCN

Herve Gilbert

Friday, July 7, 2017

Les poètes Claude C. Pierre et Serge Legagneur réunis pour de bon dans l’éternité


Par Eddy Cavé eddycave@hotmail.com

Ottawa, le 6 juillet 2017


Moins d’une semaine après le départ de Claude, qui a été salué avec affection, admiration et respect dans les médias d’Haïti et les réseaux sociaux, c’est au tour de son grand ami Serge Legagneur  de nous fausser compagnie. Entre l’immortel de l’Académie du créole haïtien retourné au pays dans la tourmente de 1986 et le Montréalais d’adoption converti à l’informatique après avoir abandonné la poésie, il existait une pittoresque complicité que j’avais un grand bonheur à observer. 

Deux poètes issus du terroir de la Grand'Anse  et de la pépinière qui ont donné d’illustres noms qu’ils vénéraient tous d’eux, notamment :  Etzer Villaire, le grand oncle de Serge Fourcand, ancien professeur devenu un grand ami de Claude;  Edmond Laforest, le grand-père de Jean-Richard Laforest et alter ego de Serge; Timothé Paret, le grand-père de Syto Cavé resté jusqu’au bout un ami très proche de Claude  et comme un fils de Serge; Jean Brierre, que les trois adoraient; René Philoctète, que Serge tenta en vain de retenir au Canada dans les années 1960; René Bélance, à qui Claude vouait une affection sans bornes et que Serge admirait beaucoup. Tiga, l’artiste aux mille talents omniprésent dans nos souvenirs de jeunesse.

Parmi les amis communs, il y avait aussi Raymond Chassagne, de dix ans leur ainé, qui peu de temps avant sa mort traversait toute la ville de Montréal, seul au volant de son auto, pour apporter à Serge son dernier recueil et passer une soirée en sa compagnie. J’étais rentré d’Ottawa pour la circonstance, et cette soirée mémorable  aurait pu se terminer par un drame. Raymond eut en effet un inquiétant  malaise qu’il affirma être passager et il reprit la route pour son condo de la Rive-Sud. Il téléphonait 45 minutes plus tard pour dire qu’il était arrivé à bon port. La diversité des expériences vécues par nous trois et les différences d’âge s’étaient dissipées ce soir-là pour créer  une extraordinaire atmosphère de convivialité. Sans parler de la place qu’occupait la poésie au menu des conversations entre les deux poètes.  

Dans le cœur de Claude, comme dans celui de Serge, il n’y avait pas de place pour un régionalisme exclusif. L’un de ses meilleurs amis était son voisin à Belle-Ville, l’écrivain Laënec Hurbon qui, alerté par la gravité de la maladie, prit l’avion pour venir passer un moment avec lui ici à Ottawa; il  y avait aussi Lyonel Trouillot, dont l’hommage publié dans Le Nouvelliste nous a tous secoués. Quant à Serge, il ne cessa de parler jusqu’à son décès de son compère et Kavalye Polka Roland Morisseau et de son fils spirituel Davertige, de son vrai nom Villard Denis.

Les poètes grand’anselais dont j’ai parlé précédemment formaient une sorte de grande famille d’esprits, aujourd’hui disparue, que Claude et Serge ont rejoint à moins d’une semaine d’intervalle. Ils sont ainsi entrés ensemble de plain pied dans l’immortalité.

Depuis que les médecins ont posé pour Claude le diagnostic de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (1 cas sur 1 million de décès par année) et pour Serge celui d’un type très rare de cancer dont la fréquence est de 1 sur 1,46 million, je n’ai pas cessé de les rapprocher dans mon esprit ni de  remémorer les moments passés avec les deux séparément, puis ensemble.   Deux personnalités très différentes, mais tout aussi attachantes l’une que l’autre; deux modes de vie diamétralement opposés, mais qui correspondaient à leurs personnalités propres et à des choix personnels. Deux choix différents sur les questions de langue, de mode de vie, de port d’attache, mais aussi des ressemblances qu’on ne saurait passer sous silence. En soulignant  la générosité de Claude, Lyonel Trouillot a évoqué un trait de caractère qui collait comme un gant à la peau de Serge. Les deux ont œuvré avec un rare désintéressement pour l’épanouissement des jeunes talents et  pour l’excellence dans les lettres haïtiennes.

Pour avoir été un des grands bénéficiaires des compétences et du savoir-faire de l’un et de de l’autre depuis mon entrée, tardive, dans le monde du livre, je suis bien placé pour attester de la générosité et de la grandeur d’âme de ces deux devanciers. Ce n’est certainement pas un effet du hasard si leurs noms figurent, l'un à côté de l'autre, dans les pages de remerciements de tous mes livres, du Guide de rédaction écrit pour la Banque du Canada, paru en 1997, au tome 2 de De mémoire de Jérémien, sorti en 2016. 

Méthodique, méticuleux, pointilleux et doté d’un extraordinaire sens du détail, Claude a passé au peigne fin chacun des livres que j’ai publiés et il a préfacé le tome 1 de De mémoire de Jérémien. Nous nous complétions, lui et moi, et notre complicité dans l’écriture était parfaite. Par la finesse de son jugement, sa maîtrise des techniques d’écriture, sa probité intellectuelle et sa grandeur d’âme, il a grandement contribué à la réussite de mes projets d’écriture. Claude n’était pas seulement un poète. Il était aussi un communicateur, un technicien de la prose et par-dessus tout un adepte de mon dada, le langage clair et simple. Je lui dois une fière chandelle.

De portée plus générale, l’encadrement de Serge m’a été tout aussi précieux. Poète jusqu’au bout des ongles, cérébral quand il devait l’être, Serge m’a assisté dans tous les aspects de mon travail d’écriture. Il a été à mes côtés  dans les moments d’euphorie comme dans les nuits de détresse; quand j’étais emballé par mes souvenirs et mes anecdotes sur les notables de Jérémie ou quand l’ordinateur plantait au beau milieu d’une étape critique de la production. Serge connaissait à fond le monde canadien de l’édition, maîtrisait comme pas un la technologie moderne de l’information et il n’a jamais marchandé ses conseils. À lui aussi, je dois une fière chandelle.

Invité par Claude à animer une séance de travail avec ses étudiants en sémiotique à la Faculté de linguistique appliquée de Port-au-Prince en 2012, j’ai vu de près le travail qu’il effectuait pour combattre les penchants à la médiocrité qui menacent la société haïtienne et pour stimuler l’éclosion des jeunes talents. Cela me rappelait l’enthousiasme avec lequel Serge Legagneur a tenu par la main les jeunes poètes Serge Baguidy Gilbert et Davertige au début des années 1960.


Côté personnalité, Claude était plutôt renfermé, taciturne, flegmatique presque.  Serge était quant à lui flamboyant, exubérant, expansif. Tant Claude était austère, tant Serge pouvait être épicurien. Marié et père d’une famille de trois enfants, Claude était un vrai notable grand’anselais qui, marié à une Capoise issue elle aussi d’une famille nombreuse, s’est retrouvé à la tête de toute une tribu. Serge était quant à lui un célibataire né qui avec le temps s’était de plus en plus replié sur lui-même. Heureusement qu’il a eu une fille, Mme Annaïse Gagné, et quelques amis très proches comme Guy Cupidon et Patrick Cavé qui l’ont beaucoup assisté durant son calvaire. Amélie Roy a également été admirable dans les moments d’épreuves.

Côté littérature, ils avaient certes les mêmes idoles, les grands auteurs dont la fréquentation est une des conditions primordiales de l’apprentissage de l’écriture et l’enrichissement intellectuel. Mais pour avoir frayé davantage avec le surréalisme, Serge a pratiqué avec bonheur un certain hermétisme qu’on ne retrouve pas dans l’œuvre de Claude. Poète engagé, Claude a construit une œuvre subtilement orientée vers le combat idéologique, vers les recherches sur le langage et le dire, tandis que celle de Serge semble plus marquée par des considérations esthétiques et sa sensibilité à fleur de peau.

Quant au choix du port d’attache, il en dit beaucoup sur la vision non seulement de ces deux amis, mais aussi sur les déchirements qui forment le quotidien des diasporas du monde entier. Comme tous ceux et celles qui ont quitté Haïti durant les pires années du duvaliérisme, Claude et Serge, comme moi d’ailleurs, désiraient ardemment  retourner au pays une fois l’orage passé. Dans le cercle de mes proches, Claude Pierre a été  avec Claude Berthaud  les seuls à faire leurs valises à la chute de la dictature pour retourner s’installer  au pays. Sans jamais émettre, à ma connaissance du moins, le moindre jugement sur ceux qui avaient fait un choix contraire.

Quant à Serge, il est retourné au pays à trois reprises et a vite perdu ses illusions des années 1960. Il a alors  recréé l’atmosphère de Jérémie dans son appartement du boulevard Gouin qu’il n’a quitté définitivement que pour entrer à l’hôpital. Avec un balcon donnant sur le barrage hydroélectrique construit sur la rivière des Prairies entre Montréal et Laval, le poète n’avait qu’à fermer les yeux pour retrouver les bruits des vagues de Jérémie et ceux du nordé qui ont bercé son jeune âge.

Il est curieux de noter que ces deux hommes de la mer, ces deux frères de la cote partis pour l’aventure durant les nuits d’orage du duvaliérisme n’aient pas fini leurs jours dans le port d’attache regagné à la première accalmie. Claude avait retrouvé le goût des mers démontées, du doux siwa des cotes de la Grand’Anse, tandis que Serge s’était acclimaté aux changements de saison de la terre étrangère et opté pour la tranquillité d’esprit. Les deux sont en fin de compte partis pour l’éternité dans des hôpitaux de l’exil, l’un à Ottawa, l’autre à Montréal. Le bien triste destin qui attend la plupart d’entre nous. Moi le premier!

Sur la question de la langue aussi, les deux avaient des idées et des réflexes différents. Tandis que Claude a milité pour l’implantation du créole dès les années 1970 avec les frères Yves et Paul Dejean, donc bien avant la réforme Bernard de 1979, Serge n’a publié qu’en français. Il a toutefois vivement félicité Claude en ma présence pour ses réalisations et ses succès à ce chapitre.

Une autre grande différence entre ces deux poètes avait trait au mode de vie. Alors que Claude avait une vie rangée, des habitudes de vie saine, une heure pour se lever, une heure pour sa marche matinale et une heure pour s’endormir le soir, Serge travaillait très tard la nuit, souvent jusqu’à l’épuisement, et ne se réveillait jamais avant 1 heure de l’après-midi. Cette habitude s’est renforcée quand il s’est converti à l’informatique et qu’il avait toujours un casse-tête insoluble avec un de ses ordinateurs. Son jeune ami Gérard Campfort, décédé lui aussi, n’a jamais compris ce revirement du poète. Et il n’était pas le seul. Syto ne l’admettait pas non plus!

Cela dit, il convient de souligner la grande affection, l’estime mutuelle et l’évidente complicité qui existaient entre mes deux poètes. J’allais dire entre nous trois, eux et moi, mais il serait injuste de ne pas associer le nom de Syto Cavé à cette observation. Nous venions tous plus ou moins de l’ancien quartier de Nan Goudwon et nos sentiments mutuels remontaient aux années 1950. Serge était le filleul de Mme Elda Pierre, tante de Claude et directrice de l’école Edmée Rey, qui a exercé sur les deux une influence fort bénéfique.

J’habitais juste en face de Tante Elda, Serge un peu plus loin en allant vers le port, et Syto dans une rue perpendiculaire à la nôtre. Avec l’élection, en 1954,  de sa mère Lyse Paret Cavé, à la tête  de la mairie, à côté de l’école Edmée Rey, et la présence dans le quartier d’une jeune fille nommée Marie, Syto rodait continuellement dans les parages. Ainsi est née cette amitié qui n’a fait que se solidifier au fil des décennies.

Tandis que Claude et Serge se parlaient et se comprenaient à demi-mots, avec Syto les dialogues étaient toujours passionnés, les échanges intenses et les idées développées dans le moindre détail. Les seuls moments creux de nos rencontres, c’était quand Serge interrompait une conversation pour régler un de mes problèmes d’ordinateur. Syto allumait alors une cigarette et ne faisait aucun effort pour cacher son agacement. L’instant d’après, la conversation reprenait son cours.

Montage illustrant une vision idyllique prêtée à Haïti Littéraire
(De gauche à droite: Villar Denis, Anthony Phelps, Roland Morisseau, René Philoctète,    Serge Legagneur dans une Jeep représentant la Jeepster de Serge, v.1963)

Tandis que Claude acceptait le choix de Serge de s’isoler à Montréal et n’acceptait pas que ce grand poète soit complètement inconnu de la jeunesse haïtienne, Syto l’invitait sans cesse et le harcelait presque pour le ramener au pays. Curieusement, c’est par lui que j’ai appris la maladie de Serge à la fin d’avril dernier. Il m’appelait d’Haïti pour me demander d’aller Montréal m’informer sur place de la gravité du cas. Il en avait été informé par l’ami commun Anthony Phelps. Le choc fut terrible pour moi. En quelques mois, Serge avait perdu une trentaine de  livres ainsi que le goût et  l’appétit et il semblait déjà se laisser aller

En même temps, j’apprenais que la santé de Claude s’était considérablement détériorée en Haïti et que Gaby Préval, son beau-frère de passage en Haïti, revenait ici avec lui en attendant que Jocelyne les rejoigne. Et depuis, les mauvaises nouvelles se sont succédé en cascade : diagnostic fatal, transfert aux soins de longue durée du centre Elizabeth Bruyère, visites incessantes de parents et d’amis désespérés. Fort heureusement, ses cousins May et Eddy Simon, ainsi que ses amis Elizabeth et Lochard Noël ont eu le temps de rentrer respectivement d’Haïti et de la Floride pour assister la famille et la combler d’affection.

Dans la matinée du samedi 24 juin, jour de la Saint-Jean Baptiste au Québec, l’hôpital téléphonait à la famille pour dire que la fin était proche. À notre arrivée, l’irréparable était déjà fait.

De  Montréal,  le Dr Simphar Bontemps me téléphonait le lendemain pour un bref compte rendu d’une visite qu’il venait de rendre à Serge au centre d’hébergement Notre Dame-de-la-Merci en compagnie de Guy Cupidon. Bouleversé, Simphar me disait avoir retrouvé en Serge le héros du livre La dernière leçon de Mitch Albom,  Morrie Schwarts, qui l’avait profondément marqué. La sérénité de Serge, ses réflexions sur la vie, la mort, l’amitié resteront, me disait-il, à jamais gravées dans ma mémoire. Le vendredi suivant, Serge partait à son tour.

Je ne l’ai donc pas revu une dernière fois comme je me le proposais. Le vendredi 7 juillet de cette semaine, il y aura deux soirées d’adieu dans la diaspora haïtienne, l’une à Ottawa pour marquer le départ de Claude C. Pierre, l’autre à Montréal en souvenir de Serge Legagneur.

Que leurs âmes reposent en paix!