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Monday, January 22, 2018

Qui sont mes vrais ennemis ?


Richarson Dorvil
C’est surprenant qu’un homme, un président d’un si grand pays ait tourné le vent de la rancœur contre lui, et ce, à tous les niveaux. Le monde inquiet, plus que jamais, se sent trahi et ignore comment demain sera fait. Chacun y va de ses complaintes pour éradiquer la malveillance de l’homme de service à la Maison Blanche.

Plusieurs textes enflammés, l’un plus touchant que l’autre, ont été pondus pour exprimer l’excès d’exaspération de leur auteur. Nous avons eu l’insigne honneur de publier quelques uns.

Aujourd’hui, nous voilà avec un nouveau venu, photographe de son état et commentateur prolifique, sur les frasques de Trump. Il s’agit de Richarson Dorvil. Dans une réflexion imprégnée de regrets pour les « fines fleurs de la nation », selon ses expressions, qui s’en vont, à reculons, s’échiner sur la terre étrangère, il distribue les torts avec l’espoir de voir nos gouvernants corriger la trajectoire et sauver Haïti d’une déliquescence annoncée dans un article éclairant, par cette brûlante interrogation: Qui sont mes vrais ennemis?
          
Bonne lecture

Max Dorismond
Pour HCN.
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Par Richarson Dorvil
Entre la lueur de la vie et les ténèbres de la mort mon pavillon chancelle, ne sachant sur quelle rive s’accoster. Je suis à un cil de ma réalité, douce ou amère, pourtant le bateau de mon existence est pourvu de cap, sa destination demeure jusqu’ici inconnue. Dans le lugubre concert du silence, c’est  la voix du griot des années 90, Antoine Emmanuel  Serge Beaulieu, qui surgit de mes plus lointains souvenirs, pour me susurrer: «Cedras n’est pas le problème et Aristide n’est pas la solution».  Probablement une phrase suggérée par la Providence pour me garder en vie, cette nuit où la mort m’a longuement  caressé et les pompes funèbres m’ont habilement courtisé.

L’indignation, la frustration, la haine, la rage, l’envie de tuer même… Voilà un bref aperçu de ce qui a traversé les pensées de tout haïtien quand Donald Trump s’est arrogé le droit de traiter le pays-éclaireur de la liberté  de « trou à merde ».

Cette absinthe, nous la buvons à grandes gorgées  depuis 1804 et nous savons que c’est le prix de notre choix d’être libres, la rançon de l’indépendance, la réplique pour avoir mis en déroute les plus puissantes armées du monde. Oui, nous sommes au courant et nous nous attendons à bien pire. Ce clown, qui ne vaut rien sans les milliards qu’il a hérité, qui a été élevé comme un sauvage, sans lecture ni écriture n’est qu’un maillon de la chaîne des malheurs du monde africain, d’Haïti en particulier.

Nous avons déjà connu les assauts d’autres  marionnettes du système, venus d’autres horizons, certes,  mais avec les mêmes objectifs, détruire les noirs, humilier les haïtiens.

Malheureusement pour ces derniers, notre énergie est inépuisable, notre soif de vivre est trop grande, notre fierté de «nègre» dépasse leur méchanceté de racistes  et nous continuerons à résister, à marcher de victoire en victoire sans répondre par la violence qu’ils veulent nous imposer. Nous sommes des enfants de l’amour, issus des villages de l’Afrique chérie, des « lakou » d’Haïti, nés bons et nous le demeurerons.

Nous ne sommes pas des produits de la technologie, nous sommes encore humains et comptons le rester. A la place du gain, nous favorisons l’humain. Nos critères de sélection ne s’érigent pas sur les couleurs, mais sur les valeurs.

A des lieues de l’émotion qui m’avait traversé à la suite de la profération de ton insulte, j’ai pitié de toi Donald, quand je constate que tu as été te salir dans la boue comme n’importe quel vulgaire pourceau, mais d’un autre côté, je te félicite car tu es ce qui pouvait arriver de mieux  à ton pays, tu défends ses intérêts envers et contre tous. Pour moi, tu n’es pas un ennemi. 

Mes ennemis, je les connais et ils se connaissent. Ils ne m’aiment pas et ils savent très bien que c’est réciproque. Sur la liste de ceux que je déteste et que j’aimerais bien voir à six pieds sous terre, il y a ces politiques qui ne méritent pas de la patrie, qui ont ravagé, pillé, dépouillé, violé Haïti, jusqu’à le laisser en lambeaux et permettre à n’importe quel imbécile, importe peu son titre, son opulence, le traiter de « twou kaka ».

Mes ennemis, ce sont mes compatriotes qui ne pensent plus pays, qui ne rêvent plus d’avenir, qui ont baissé les bras et ont engendré une génération « timoun-granmoun », jouissant de tous les droits, mais qui n’ont aucun respect du devoir. Une postérité, habituée à la facilité, donc toujours prête à tuer, kidnapper… tous les moyens sont bons pour s’accaparer des biens d’autrui, donc, à quoi bon travailler?

Des enfants élevés dans la fumée de la nicotine, qui grandissent avec un joint à la main et qui périssent avec une balle à la tête. Dès leurs premiers jours, ils ont été conçus, entraînés pour devenir gangsters.  Je ne saurais  rendre Donald Trump responsable de la dépravation de mes garnements, si je les éduque au son du « rabòday » et des insanités de certains musiciens peu talentueux, mais tellement aimés, soutenus, promus… 
Une vue en perspective de Labadie (Haïti)
Photo: Richarson Dorvil
Non, ce serait un péché de pointer du doigt ce cancre, qui n’a rien à voir avec l’insalubrité des rues de Port-au-Prince. «Kòm si ak je nou, nou wè Donald Trump vini jete fatra nan Bwa’d chèn»? C’est nous les responsables de la merde qu’il a décrit. Depuis que le Ministère de l’Éducation Nationale s’est transformé en bordel et que les manuels de civisme et d’hygiène ont été retirés du cursus scolaire, nous avons perdu tout bon sens et rien ne nous interpelle, pour nous rappeler que nous sommes des humains et qu’il y a une façon de vivre. Avant que le système nous aie imposé une structure composée de maires et de voleurs, ne disposions-nous pas de moyens, de techniques pour gérer nos ordures ?

Nos ennemis c’est nous ! Gagner les rues et protester contre Donald Trump ou quiconque ne fera pas d’Haïti le pays de rêve qu’il fut jadis. Nous sommes en train de gaspiller beaucoup d’énergie pour rien, énergie qu’on pouvait utiliser pour  réparer nos erreurs. «Tan ke nou kontinye chita mal, yap toujou gad anba’n ».

Conan O'Brien  sur l'une des plages
d'Haïti lors de sa  récente tournée .
C’est bien et beau d’accueillir un grand comédien en Haïti et tourner les projecteurs et les caméras du monde sur la face cachée d’Haïti, que personnellement je présente quotidiennement… Mais, après la diffusion de cette émission tant attendue, le visage de Port-au-Prince ne sera-t-il le même ? Jalouzi, Site Solèy, Gran Ravinn, Solino, Nan Tokyo, Site Letènèl, Lasalinn, Sinkyèm avni… seront-ils assainis, sécurisés, illuminés, drainés, dotés d’espaces verts, de vraies infrastructures scolaires et sanitaires?

Ann pa bay tèt nou manti, ni fè wont sèvi kolè. Si vraiment nous souhaitons nous éviter ces propos dégradants, nous devons commencer par être sincères envers nous-mêmes, identifier nos vrais ennemis, ce qui serait très facile, car nous n’aurions qu’à jeter un regard dans le miroir.

En 2018, une grande partie de la fine fleur d’Haïti, espoir de toute une nation fait office d’ouvriers dans les hôtels de la République Dominicaine,  les chantiers du Chili, les champs des États-Unis d’Amérique, les manufactures du Canada… Une considérable tranche de la jeunesse haïtienne constitue aujourd’hui le lot des esclaves modernes du monde. Et je le jure sur le reste de mes jours, Trump n’en est pas responsable, c’est nous qui avions fait de mauvais choix et puisque nous persistons dans nos erreurs, la fuite va continuer. Déjà,  plusieurs pays, conscients de cette main-d’œuvre bon marché, scandent à qui veut l’entendre  que les ressortissants haïtiens sont exempts de visa pour les visiter. Vous m’en donnerez des nouvelles dans quelques mois.

Déjà,  plusieurs pays, conscients de cette main-d’œuvre bon marché, scandent à qui veut l’entendre  que les ressortissants haïtiens sont exempts de visa pour les visiter. Vous m’en donnerez des nouvelles dans quelques mois.

Auteur: Richarson Dorvil
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