Pages

Pages

Friday, April 22, 2016

Quand la corruption déstabilise une nation (Part-1)

Par Max Dorismond
Max Dorismond
Un sage chinois, il y a de cela plusieurs siècles, conseiller de son Empereur, confia à ce dernier, « si vous voulez détruire un pays, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et coûter cher en vies humaines. Il suffit de détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption. Ensuite, il faut attendre vingt ans et vous aurez un pays constitué d’ignorants et dirigé par des voleurs. Il vous sera très facile de les vaincre ».

A méditer cet oracle, on se sent interpellé  en contemplant le tableau national  aujourd’hui : un morceau de l’enfer surpeuplé voguant à la dérive dans la mer des Antilles. La seule île de la zone, invisible la nuit, à vol d’oiseau, faute d’électricité. Une terre fossilisée, retournée à l’âge de pierre. Un sous-développement chronique sans équivalence dans le coin. Un peuple affamé qui ne produit presque rien et commande même son riz, son sucre et son café à l’extérieur… La liste est non-exhaustive.

La corruption, comme la prostitution, est un des travers de toute société en général, pauvre ou riche. Elle s’avère être une des tares du genre humain, c’est une évidence. Elle conduit des États fragiles tout droit à la déliquescence. Mais en Haïti, c’est à nul autre pareil. Elle est érigée en système, du privé au public. De tout temps, depuis la naissance du nouvel État, ce schème de malversation a toujours habillé le décor. D’ailleurs, c’est ce qui a coûté la vie à J.J. Desssalines, pour avoir osé réclamer des kidnappeurs de la nation quelques lopins de terre pour les frères nègres dont les pères sont restés en Afrique.
  
Une affaire de famille
Dans les lettres d’un ingénieur polonais, Josef A. Grekowicz, envoyé par une compagnie  française en Haïti en 1881 pour effectuer une étude sur une éventuelle installation de chemins de fer, on note ce sempiternel constat : « Ils (les haïtiens) sont insouciants au plus haut degré... Ainsi, par exemple, aujourd’hui il est haut fonctionnaire bien rétribué, il a l’occasion de s’approprier quelque fond public ou privé (c‘est ce qu’ils ne manquent jamais de faire)... Ils sont, sauf quelques exceptions, menteurs, voleurs et mendiants... Sur le rapport politique, ils se divisent en deux partis : les gouvernements et les aspirants à gouverner, ce qui signifie tout simplement : avoir la douane à sa disposition… Tous les généraux rêvent de devenir président et le reste veut devenir général ou employé de la douane. Et il paraît que  c’est le véritable motif de toutes les révolutions qu’ils font…  Je n’ai pas la prétention de connaître le pays, mais en jugeant par les choses qui me sont connues, je suis arrivé à la conviction qu’il est condamné à périr ». Triste annotation! En 1881 ou en 2016, rien n'a changé sous le ciel d'Haïti.

Cette mentalité de prédateurs puise sans doute son origine dans la culture du marronnage, corollaire de l’esclavage. En fait, l’esclave marron ou en fuite ne comptait que sur lui-même et sur son clan pour subsister. Il vivait de rapines et d’expédients, d’où sa propension à s’accaparer de tout, car son lendemain est hypothétique. Malgré tout, dans le marronnage sévissait un paradoxe : ce fut la solidarité, le partage et le sens du caractère. Ce qui est loin d’être l’apanage des pilleurs d’aujourd’hui. En dépit de tout, faut prendre en compte que l’esclave-soldat a fondé un pays neuf dans lequel il ne possédait rien. La paix venue, les meilleures propriétés ont été accaparées ou plutôt kidnappées par les généraux et les anciens libres, parfois avec de faux documents… etc. Les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. Donc, l'Haïtien a été à bonne école depuis le début. Il n’a pas su se délester de l’instinct du nègre marron. Il en est tributaire. Cette tendance s’est perpétuée dans le temps et le vice s’est fait chair. Est-ce vraiment la raison à l’origine de cet état de fait? Face à la démence, l’esprit se berce d’illusion. On ne sait à quelle logique se référer pour en déterminer la relation de cause à effet.

Quand, dans la vidéo, « Femmes de dictateurs - les grandes dépensières femmes », l’avocat  Jacques Salès expose, entre mille exemples, le chèque de 21 millions $ transféré à Michèle Bennett, quand, selon Radio Zénith et d’autres médias de chez-nous, les dribbles de Martelly et compagnie sur les terrains de foot rénovés leur permettent de sacrifier l’essentiel à l’insignifiant pour mieux empocher des dizaines de millions US, on est en droit de s’interroger sur la viabilité de ce pays. Et pourtant, ce même Martelly, en mai 2011, lors d’un dîner officiel avec Mme Clinton, alors secrétaire d’État des USA, avait juré que : « Sous mon gouvernement la corruption ne sera pas de mise… Je vous garantis les résultats ». (Lire mon texte de l’époque : « Corruption - Martelly a-t-il les moyens de ses ambitions »).  Personne n’ose interroger les contrevenants. A l’inverse, ces nombreux coups fumants et électrisants s’inscrivent au palmarès des braconniers comme une preuve de leur haute « intelligence ». Ils se congratulent et se félicitent de leurs superbes passes. Ils remuent ciel et terre, torpillent les élections, achètent le CEP au comptant pour que le nouvel élu soit l’un des leurs, question de garantir leur immunité. Les futurs présidents ou les futurs fonctionnaires  se voient déjà dans le coup. Ils se frottent  les mains. La recette du pasé pran-m, ma pasé pran- w a droit de cité. C’est un défi à relever. La concurrence oblige, ils sont condamnés à prouver plus tard qu’ils sont les meilleurs champions en empochant beaucoup plus que leurs devanciers. Cette mentalité de pharaons nous porte à penser que ces gens évoluent avec l’éternelle idée ou la secrète pensée qu’ils auront, le moment crucial venu, deux cercueils, l’un pour leur dépouille et l’autre pour leurs millions. Comme tel, ils érigeront une pyramide à la bêtise pour enfouir la fausse monnaie de leurs rêves. D’ailleurs, plusieurs de ces détrousseurs s’imaginent revenir un jour au pouvoir, car, ils  se voient déjà réincarnés.

Correction chez les autres
Pour répéter Robert Klitgaard, « la corruption commence dans une société, quand ce sont les gens sans vergogne qui triomphent,  lorsqu’on admire les méchants, lorsque les principes disparaissent et que seul règne l’opportunisme, lorsque les insolents gouvernent et que le peuple accepte cela,  quand tout se corrompt mais que la majorité se tait parce qu’elle attend sa part de gâteau ». Avec les médias sociaux le statu quo change de camp. De plus en plus de voix se réveillent. Plus près de nous, en Amérique latine, au Pérou, l’ex-président Fujimori est en prison pour corruption. Au Brésil, idem, l'ex président Lula risque d’être enfermé, la présidente actuelle Dilma Rousseff s’énerve. Elle est sur une pente descendante… Au Canada, en 2016, des ministres, des maires et d’autres ex-officiels piaffent d’inquiétude dans l’antichambre du cachot…etc. En Haïti, c’est le calme plat. On se la coule douce. Tout le monde roupille. Vive l’indifférence, c’est l’insouciance personnifiée. Très compréhensible, les nouveaux cleptomanes n’ont aucun intérêt à brasser la cage.  Qui adore  se tirer dans les pattes ? Ils sont condamnés à protéger leur futur. Nul ne peut compter sur eux pour enrayer ce fléau des mentalités.  (Lire la suite ici...)

Max Dorismond mx20005@yahoo.ca
20 Avril 2016

No comments:

Post a Comment