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Wednesday, June 6, 2018

Quand Daniel Rouzier essaie d’éteindre la mèche


Par Max Dorismond

Daniel Rouzier
Si Daniel-G. Rouzier, un distingué membre attitré de l’élite économique du pays, grimpe aujourd’hui dans les rideaux, il s’agit d’une autre preuve entre mille, que ça va mal, très mal, au pays des Alibaba. Et pourtant, Rouzier n’est pas le saint espéré.  Dans des articles sur la vente de black-out, on retrouve souvent le nom de E-Power, la compagnie qu’il chapeaute. Je fus l’un de ses détracteurs. En attendant de joindre l’utile à l’étonnement, faisons une halte critique sur l'esprit de son discours 1 et essayons de décortiquer la raison de cette historique interpellation d’un fils de la « haute » qui était censé se la couler douce avec les copains de son clan.

Tout d’abord, posons-nous la ou les questions, à savoir : quelle mouche a piqué notre lanceur d’alerte national pour le porter à aller laver le linge sale devant une étrangère, l’Ambassadrice américaine récemment débarquée, avec tout le curriculum du pays dans ses bagages? Existe-t-il une fissure au sein de cette caste tissée-serrée? Cela ne doit pas nous étonner. Malgré leur richesse démesurée, certains d’entre eux gardent les pieds sur terre et souffrent en leur for intérieur du dénuement de la masse. Y-aurait-t-il « panique dans le camp des Grecs » à la possible vision d’un peuple métamorphosé en chiens sauvages dévorant tout sur son passage dans un futur appréhendé, mais impossible à cibler?  Est-ce un sursaut de patriotisme ou un zeste de conscientisation humanitaire d’un esprit morcelé, concassé, face à la misère dégradante qui lui blesse les paupières et l’âme? Nous ne le saurons jamais. Cependant, une évolution s’observe par cette prise de conscience. L’interpellateur a le mérite d’avoir sonné le tocsin pour annoncer que le carnaval a trop duré. Ne lui tenons aucun grief!

Le petits amis au col blanc
Je peux me permettre d’ajouter dans ma réflexion que Rouzier est d'ascendance Jérémienne, la cité où les assoiffés de Duvalier avaient décapité quelques uns de ses riches parents, parmi les 26 mulâtres assassinés en 1964. Or son analyse factuelle de la situation d’Haïti, où une minorité, noire et claire, impose le tempo de la corruption, sans tenir compte de la souffrance provoquée et de l’inhumanité d’un tel brigandage, lui cogne la caboche et le captive.  Tout lui indique que les signes avant-coureurs des « Vêpres de Jérémie » sont présents, face à l’insolence des forfaits, face à cette délinquance en col blanc  qui confèrent à certains le droit de priver les pauvres de leur pain quotidien, des menus services, de l’instruction tout en regardant de haut les plus vulnérables, en les humiliant sans commune mesure. Devant ce sinistre tableau, le côté altruiste de Daniel Rouzier a peut-être eu le dessus, pour opérer ce détour à 180et interpeller ses semblables qui, grisés par l’appât du gain, semblent voler comme Icare, trop près du soleil.

En réalité, cette élite, à laquelle certains accolent les épithètes les plus saugrenues, les plus rébarbatives, n’est pas uniforme ou ne mérite pas précisément ce titre. En effet, la définition de cette expression,  attribuée à un groupe donné, devrait englober certains paramètres. L’élite devrait être l’épine dorsale supportant toute la structure économique et intellectuelle de la société. Pour répéter un sociologue, originaire de Jérémie, de surcroît : « De par ce pouvoir économique, elle (une élite) est censée marquer l’histoire à partir de ses prises de position et de l’idéologie qu’elle véhicule et qu’elle insuffle. Pour s’affirmer et se pérenniser, cette bourgeoisie doit être dynamique, compétente, instruite et disposée à assurer un minimum de prospérité et de bien-être à la communauté environnante ».

Est-ce le cas de notre élite, de notre bourgeoisie? Nous pouvons dire que non. Certes, elle compte quelques instruits, diplômés de bonnes universités d’outre-mer. Toutefois, la grosse majorité demeure un ramassis de parvenus qui ne jurent que par la grosseur de leur portefeuille, en préférant miser sur la bêtise humaine d’une fausse aristocratie plutôt que sur l’intelligence et la sensibilité. Quant à l’instruction, « Tout voum ce Hawayou (How are you) ». Ils ne savent pas plus loin que le bout de leur nez et ne jurent que par le paraître. Au delà, c’est le vide sidéral.

N’étant pas ethnocentrique, Daniel Rouzier a jugé nécessaire de ramener ses amis à la raison et a fait sien le plaidoyer de Voltaire dans son « Traité sur La Tolérance (1767) », à savoir : «  Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ».
           
Il était une fois les écuries d’Augias… - L’état de la situation -
Autrefois, quand Haïti avait une certaine structure étatique, les privilégiés offraient leur aide aux éventuels candidats à la présidence et s’attendaient naturellement à un retour d’ascenseur. D’autres, par des contacts discrets, moyennant un certain pourcentage, s’arrachaient tant bien que mal les faveurs de César. Mais, après 1986, la nature du jeu  a changé du jour au lendemain. Une fois, les Duvalier dehors à coup de pied, ne devient plus président qui veut. J.B. Aristide a goûté à la médecine des maîtres de céans qui avaient juré que « désormais, le pays leur appartient ». Ce slogan expressif a été mis en chanson par un de leurs obligés.  On le fredonnait innocemment, en riant, sans arrière-pensée de son réalisme délétère pour la santé de la nation. 

En effet, cette élite bourgeoise qui avait souffert dans sa chair la perte de ses privilèges ancestraux, est bien en selle maintenant et dirige le pays par petits chefs interposés : Président, Ministres, Parlementaires. Pour assurer ses arrières, elle a ordonné à Jovenel de remettre sur pied les Forces armées, (la FAD’H), malgré vents et marrées. Et tout va bien, Madame la marquise, toutes les marionnettes rythment la cadence des maîtres de la place, au doigt et à l’oeil.

Autrefois, le business marchait à petits pas pour les nantis. Maintenant, tout roule au galop. La contrebande est florissante. La fiscalité est obsolète. Les grosses redevances fiscales n’ont jamais été versées. Conséquemment, ce sont les plus pauvres qui sont pénalisés, oubliés, néantisés. Comme corollaire, tout le monde, du fonctionnaire au simple citoyen,  pratique le « deal » ou  la négociation des droits, pour flouer l’État.

Les franchises douanières aux commerçants entrepreneurs ressemblent à des cartes de vœux offertes à toutes les occasions. En veux-tu, en voilà! Les châteaux des mille et une nuits décorent les pentes verdoyantes des collines environnantes et les maisons secondaires enjolivent les bords de mer et des rivières. Les voitures rutilantes à 200 000,00$ ne sont pas rares sur les routes défoncées.

Le peuple qui n'a plus de larmes à verser.
L’envers de la médaille rivalise avec cette richesse arrogante et insolente. Et les séquelles de la prévarication disputent l’espace au désespoir de la masse des miséreux. Tous les services publics sont déficitaires et le peuple laissé à lui-même vit de prières et d’espérances. La prostitution juvénile devient fléau. Les hôpitaux publics ne sont que l’ombre de leur nom. La course aux soins médicaux demeure un sport olympique. Plusieurs malades, faute de médicaments, ont été remis à leurs parents, pour finir sur une natte dans la cour de ces institutions. Par carence électrique, certaines chirurgies se terminent à la lueur d’un téléphone cellulaire. Les déchets décorent les villes dans toute la république et leurs relents pestilentiels empoisonnent l’air. Les fonctionnaires ne savent à quels saints se vouer pour nourrir leurs proches. Ils crient famine. Plusieurs mois d’arriérés sont en attente de versement. 

A Port-au-Prince, les gens de la haute ville jettent des
ordures dans les égouts qui traversent la ville, quand il
pleut ces canaux débordent et inondent les quartiers
pauvres du bas de la ville. Triste réalité!                     
Une épée de Damoclès balance sur la tête des Port-au-Princiens depuis des lustres quand on pense aux égouts dysfonctionnels de la cité. Au niveau écologique, l’inorganisation spatiale qui résulte de l’incompétence, du népotisme et du manque de fonds dû à la corruption, laisse planer un danger récurrent sur la population à tout instant. Une capitale construite pour 300 000 personnes, se voit aujourd’hui encombrée de plus de 4 millions d’individus. Imaginez la catastrophe appréhendée face à la défécation de cette marée humaine dans des égouts entravés par des déchets domestiques. Je vous invite à lire l’article d’une chroniqueuse américaine, Rebecca Herscher : « You Probably Don't Want To Know About Haiti's Sewage Problems » ou «  Les problèmes d'égouts en Haïti ne vous empêchent pas de dormir 2!». À bien y penser, seuls les inconscients peuvent dormir sur leurs deux oreilles.  

Si vous comprenez l'Apocalysme, vous pouvez
comprendre ce dessein.                                  
La démographie est galopante. En 70 nous étions 6 millions, en 2018, nous représentons 12 millions. Selon les statistiques du FMI, plus de 3 millions de nos frères vont au lit le ventre vide. C’est le sauve qui peut. La jeunesse oisive fuit vers le Chili ou le Brésil avec comme objectif final : les États-Unis ou le Canada. C’est cette petite porte par où commence le voyage sans retour qui coince encore le détonateur de la bombe et l’empêche de sauter. Prions pour que ces deux nations ne la ferment pas, SVP!

Comment en sommes-nous arrivés à ce carrefour -  
En Haïti, tout est simple. La complication n’est pas leur tasse de café. Pour contrôler le pouvoir et ses ramifications, la clique des grandes fortunes investit directement dans la présidence et dans le Parlement. Elle achète les votants et le tour est joué. Pour les parlementaires, c’est le même procédé. Ces derniers s’arrangent pour graisser la patte des « bases » pour semer le chaos, assassiner quelques fanatiques de certains adversaires à titre d’avertissement et l’affaire est dans le sac.

Une fois le pouvoir acquis, toutes, « toutes les institutions étatiques sont vulgairement privatisées avec, à leur tête, deux ou trois grands bourgeois invisibles » qui avaient investi bien gros, dixit l'économiste Fritz Jean  3, ex-PDG de la Banque Nationale. Ils appliquent, une fois servis, les lois de complaisance promulguées pour eux, au gré de leurs business. Plusieurs affairistes connus jouent le jeu, mais les titrés du Parlement détiennent le record et ne s’en cachent point. Ces derniers réclament quelques directions qu’ils contrôlent par procuration, par parents, maîtresses ou amis intercalés. Les plus en verve obtiennent les ministères ou les directions les plus rentables. Rien ne se fait sous le sceau du secret. Tout se sait. Au contraire, le fait de les citer émousse leur égo et conforte leur position. « La veille Sabah », (vendredi), c’est l’expression consacrée, ils font le tour des boîtes pour collectionner leur rente.

Voilà en gros, une succincte vision de la situation. Il y a tellement à dire, à développer sur la gabegie haïtienne que mille petits articles ne sauraient suffire. Le conférencier Rouzier nous en avait mis plein les oreilles. Sans nul autre choix, nous sommes condamnés à soutenir tous ceux qui ont le mâle courage de dénoncer les faits. Même s’ils en sont des bénéficiaires. Un soupçon d’humanisme sommeille chez tout un chacun. C’est dans la nature de l’Hommes. S’il se réveille, ne l’éteignez pas. Au contraire, encourageons Daniel Rouzier, dans sa campagne de dénonciation du comportement inacceptable de ses pairs, à aborder la situation d’une manière plurielle. Il est du sérail. Faute de mieux, nous nous voyons dans l’obligation d’exaucer ce changement de paradigme en cours. Parfois, l’alliance des contraires provoque ses propres étincelles et contribue à alimenter le feu de l’espoir.

Max Dorismond
 

Note – 1 : Cliquez sur le lien pour lire le discours de Daniel Rouzier
Note - 2 : La traduction du titre est du rédacteur (MD). Mais l’article est en anglais, par contre.
Note – 3 : Cliquez sur le lien pour entendre l’économiste Fritz Jean, ex PDG de la BNRH

 

 


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