Ils sont venus, ils sont tous là. Dès qu’ils ont entendu ce cri, elle va mourir,
la Mama… Non, vous ne vous êtes pas trompés d’histoire.
C’est bien le poème de Charles Aznavour, un emprunt circonstanciel pour Haïti,
au propre comme au figuré, relatif à l’agonie de la Mama, notre mère-patrie.
Néanmoins, les fils exilés sont revenus et
sont presque tous présents. Après avoir œuvré au pays des blancs, avec une tête
bien faite, pleine de rêves, bouillonnante d’idées et d’expériences ils débarquent
au bercail, au chevet de la Mama. Dans leur besace, le cliquetis de leur sobre
économie incite à l’envie. Comme le pays n’a rien à leur offrir, chacun,
écoutant la voix de sa conscience, investit dans la pierre manquante qui doit
restituer à Haïti la plénitude de sa dimension et faire tourner le vent de
l’histoire. C’est gratifiant! On n’oubliera jamais le trésor de leur présence
et de leur générosité. Toutefois, la fécondation nous a laissé un goût douteux et un
foisonnement d’Universités à donner le tournis.
Il me plaît de citer mon ami, le Dr Jérôme Dominique,
qui a écrit, en guise de réponse publiée dans la section commentaire de mon
dernier article, « Haïti, Parle-moi... », ces mots éclairants : … Loin de poser un jugement d’ordre éthique sur ce phénomène pour le
disqualifier du point de vue humain, nous affirmerons au contraire son
caractère sociologique positif en tant que mouvement social tendant, par son
action collective, non seulement à combler un vide institutionnel, mais encore
à constituer des prémices de partenariat institutionnel public-privé en Haïti.
C’est réaliste et j’en suis fort aise. D’ailleurs, sa note m’a inspiré
le présent titre. Cependant,, nous ne vivons plus au temps des cavernes. Après
avoir vu du pays, il serait déplaisant de revenir avec la formule du « Gad’on
kote. M’fè sa m’pito! 1 ». Non c’est fini, cette façon archaïque de voir les choses à
partir de notre lorgnette personnelle. À constater notre déchéance, on devrait
être interpellé, en posant le premier jalon, à penser au résultat final en
rapport aux attentes internationales, au cas où Haïti ne saurait absorber le
flot de diplômés émanant de cette gargote. Le monde est un village global. C’est
un minimum dans une étude de faisabilité, dans un plan d’affaires, d’en tenir
compte, pour viser un partenariat institutionnel et professionnel.
Et pourtant, ces bâtisseurs, ces sauveurs, ces commanditaires éclairés,
qui ont brillé sur la scène mondiale, dans les plus célèbres universités, sont
bardés de titres nominatifs, de titres de notoriété. Alors, pourquoi au moins
l’une de leurs fondations, n’est même pas reconnue parmi les 200 plus grandes
Universités du monde, selon le palmarès officiel de la société britannique Quacquarelli Symonds (QS) 2 en 2020?
Haïti est loin d’opérer avec une carence de cerveaux. Au contraire! La
solution proposée serait une idée salutaire et primordiale pour certains, mais
loufoque et fantaisiste pour les apôtres du gain facile, du prestige personnel
et de l’égoïsme crasse, qui se font complices de la médiocrité. Dans tous les
cas, il nous faudra une refonte des idéaux pour créer le mouvement social
bénéfique préconisé, en regroupant maintenant cette profusion des meilleurs
esprits, et fonder, comme le Québec, 4 à 5 universités privées avec d’éminents
professeurs, triés sur le volet, pour rencontrer les standards prescrits et
produire des diplômés de haut niveau, utiles à Haïti et ciblés par toutes les
instances internationales.
Il n’y a pas dix chemins à parcourir. C’est une des solutions parmi deux
ou trois. L’objectif doit être clair et sincère. À défourner trop de chômeurs semi-instruits
pour Haïti, c’est la paix du pays que vous venez d’hypothéquer. Nul ne cherche
à réitérer en Haïti, la crise de Mai 68 3 de la France. Cette
île en a marre de l’instabilité. Si vous êtes revenus chez-vous à la recherche d’une
paix bien méritée, c’est la tempête que vous allez récolter par votre façon de concocter
les choses. Mieux vaut retourner dans le stress des grandes capitales que vous
avez délaissées.
À remarquer dans le palmarès de Quacquarelli Symonds (QS), que deux institutions du Québec figurent, parmi les 200 meilleures Universités
du monde. Il s’agit de McGill University (35e) et l’Université de Montréal (137e).
C’est édifiant. En définitif, nous devons avoir à l’idée que, McGill est au
Canada, ce que Harvard est pour les USA, et Oxford pour l’Angleterre. Quand
vous cliquez sur Haïti dans la section Recherche du QS, c’est le vide
sidéral. Bien sûr, nos universités ont bien été analysées. Mais, devinez le
résultat!
Ce qu’il y a de paradoxal, c’est que ces deux universités québécoises,
classées dans le top 200, recèlent en leur sein de brillants professeurs
haïtiens qui ont, ou avaient, contribué à leur rayonnement. Nous pouvons citer,
entre autres, pour l’Université de Montréal, quelques étoiles quisquéyennes4, des professeurs
émérites, tels les Docteurs Samuel Pierre, Maître de thèse des doctorants en
génie, Vernet Felix en gestion aux HEC, Nathan Ménard en linguistique, Jean-Claude
Fouron en Cardio-Pédiatrie, Émerson Douyon et Daniel Élie en criminologie. À
McGill nous trouvons les Docteurs Dorsainville, en histoire, Bertrand et Alcindor
en médecine, etc…
De plus, certains Haïtiens, depuis des lustres, avaient obtenu leurs
lettres de noblesse de ces célèbres maisons d’enseignement. Le plus loin que je
puisse remonter, on trouve le Dr Rony Chenet Jr, diplômé de McGill
en 1948. Il fut nommé superviseur de district de la Sun Life du Canada5. Pour sa performance
universitaire, Il fut honoré par la Reine Élizabeth, et nommé Consul Britannique
honorifique 6.
Imaginez, un instant, Haïti changer de paradigme pour voir figurer son
nom sur la liste rêvée des 200 élues. Instantanément, cette ascendance aurait
un impact sur notre avenir, notre bien-être et le bonheur du pays tout entier.
Car, pour parvenir à ce stade, ces têtes expérimentées et bien faites seraient
déjà au service des dirigeants bornés que nous connaissons aujourd’hui, en
train de les conseiller, de les guider vers cet avenir exigeant et tentaculaire.
L’argent, les gros châteaux, les voitures haut de gamme, les harems fleuris et le bling-bling ne seraient plus, ni l’objectif final, ni l’obsession
débridée de chaque nominé à la gouverne de l’État. Aussi, le narcissisme
proverbial de l’Haïtien, deviendrait obsolète. En finalité, le pays cesserait
de patauger dans les fanges de la déraison.
Messieurs, ne soyez plus la risée du monde avec plus de 60 Universités inscrites
sur le web et plus de 100 autres méconnues, selon un camarade du milieu. Pour
un tiers d’île, à l’image et à la dimension d’une « tablette pistache 7 », c’en est trop!
Unissez-vous pour le meilleur aux fins d’éviter la disgrâce dans le naufrage
appréhendé. Maîtrisez vos pulsions et laissez à votre intelligence le soin
d’explorer cette possibilité. Néanmoins, pour ce faire, choisissez de
préférence la crème et laissez le « fresco8 » se dissoudre. Le
soleil de Thomas s’en chargera!
Max Dorismond
NOTE
Note – 1 : “
Gad’on kote. M’fè sa m’pito” : C’est un endroit de fun où je fais ce que
le cœur m’en dit
Note – 2 : La
société britannique Quacquarelli Symonds (QS), est une entreprise spécialisée
dans l’éducation supérieure. Elle vient de dévoiler son palmarès mondial de 2020
des meilleurs instituts universitaires.
Note – 3 :
Quisqueyen(ne): Nom des aborigènes de Quisqueya, ancien nom d’Haïti avant
l’arrivée de Colomb
Note – 4 : La crise sociale et politique de
mai 1968 a vu se succéder en France une série de violentes émeutes étudiantes,
qui ont débouché sur le mouvement de grève le plus important qu’ait connu un
pays industriel.
Note – 5 : Sun
Life du Canada - C’est une société canadienne de services financiers connue
principalement sous le nom de société d'assurance-vie. C'est l'une des plus
grandes compagnies d'assurance vie au monde, et aussi l'une des plus anciennes,
avec une histoire remontant à 1865
Note – 6 : Cité par Bernard Diederich dans son dernier ouvrage sur
Haïti « Bon Papa » 2008.
Note – 7 : « Tablette
pistache » : Une douceur antillaise composée d’arachides grillées
brassée dans du sucre
brun bouilli et caramélisé. Une fois refroidi
et étendu sur une surface plane, on la découpe en petit morceau
comme des hosties. C’est un délice pour le
palais
Note – 8 : Fresco : glace concassée
comme des flocons de neige, arrosée d’un sirop. Ce nom est une particularité d’Haïti employé dans un sens métaphorique. Sorte de crème glacée rudimentaire,
très efficace dans la chaleur tropicale.