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Saturday, March 21, 2020

Hommage aux héroïnes oubliées de la guerre de l’Indépendance (Part 2)

Pour célébrer la Journée internationale de la femme
Anacaona, première grande figure féminine de notre histoire

PAR Eddy Cavé eddycave@hotmail.com

DEUXIÈME PARTIE
Dans cette deuxième partie, nous rendons hommage à quatre autres héroïnes oubliées de notre histoire : Madame Veuve Abel, Henriette Saint-Marc, Henriette Saint-Marc, Défilée-la-Folle. La conclusion est consacrée à Anacaona.

Madame veuve Abel
Contrairement à une idée encore très répandue, les Haïtiennes d’autrefois ne se contentaient pas de vivre dans l’ombre de leurs maris. On raconte que c’est Madame Veuve Abel, une sœur du général de division Nicolas Geffrard et en même temps la belle-sœur du ministre de la Guerre, le général Gérin, qui força presque ce dernier à participer à la conspiration contre Dessalines. Selon la petite histoire, la population des Cayes avait la conviction que le général Geffrard, mort subitement le 31 mai 1805, avait été empoisonné sur ordre de Dessalines, qui croyait dur comme fer que ce général conspirait contre lui avec Christophe.

On raconte que Gérin était très réticent à sauter dans le train en marche quand Madame Abel l’apostropha chez elle un soir en disant : « Général Gérin, si vous ne vous sentez plus le courage de combattre avec vos frères, donnez-moi votre habit, vos épaulettes et votre épée, je marcherai à votre place.»

À court d’arguments, Gérin serait passé à la conspiration. On pourra toujours objecter que Veuve Abel a mis sa force de caractère au service d’une mauvaise cause, mais cela n’enlève rien à son courage de fanm vanyan (femme de grand courage).

……10). Henriette Saint-Marc (17xx-1802)
Les oubliées de l'histoire
Parmi les héroïnes oubliées de notre histoire, il convient de mentionner ici Henriette Saint-Marc qui a été, avant la lettre, la Mata Hari de la guerre de l’Indépendance d’Haïti. Fille d’une esclave noire et d’un fonctionnaire blanc, elle était, selon les témoignages de ses détracteurs, une prostituée de luxe exécutée en 1802 pour complicité avec les insurgés. Il est en effet admis qu’aujourd’hui qu’elle a mis au service de Toussaint Louverture, puis de Dessalines, ses charmes, ses talents et ses relations privilégiées avec les officiers français..

Selon certaines sources, elle entraînait souvent dans des endroits reculés certains soldats et officiers de l’armée française qui ne revenaient jamais à leurs campements. On pense qu’elle les faisait achever par des complices après les avoir mis hors d’état de se défendre. Elle sera finalement découverte, jugée et condamnée à la peine de mort. Thomas Madiou qui résume en ces termes les derniers moments de sa vie au Cap : « Arrachée de la prison, elle fut placée entre deux pelotons de carabiniers européens, et conduite, suivie de son cercueil, sur la place du marché, vis-à-vis de l'église […] Elle monta sur l'échafaud avec courage. Quand son cadavre se balança dans l'air, un cri lugubre, des sanglots éclatèrent dans la foule. Les femmes abandonnèrent le marché, saisies d'horreur…»

Cécile Fatiman (v.1775-1887)
Cécile Fatiman 
Une autre figure féminine occultée de la résistance et de la politique haïtiennes est sans conteste celle de la Cécile Fatiman, la prêtresse vaudou qui anima, aux côtés de Boukman, la cérémonie du Bois-Caïman. S’agit-il d’un oubli involontaire ou d’une opération délibérée de matraquage des esprits? Le fait est qu’aucun de nos manuels scolaires ne précise l’identité de ce personnage qui a joué un rôle essentiel dans l’acte fondateur qu’a été cette cérémonie.

La vérité est maintenant connue. Voici ce qu’a écrit le Dr Étienne Charlier au sujet de cette héroïne :

« Cécile FATIMAN, femme de Louis Michel PIERROT, qui commanda un bataillon indigène à Vertières et devint plus tard Président d'Haïti, participa à la cérémonie du Bois-Caïman: elle était une mambo. Fille d'une Négresse africaine et d'un Prince corse, Cécile FATIMAN était une Mulâtresse aux yeux verts et à longue chevelure noire et soyeuse et avait été vendue avec sa mère à Saint-Domingue. La mère avait également deux fils qui disparurent au hasard de la traite, sans laisser de traces. Cécile FATIMAN vécut au Cap jusqu'à l'âge de 112 ans, en pleine possession de ses facultés. »

Défilée-la-folle
Dédé Bazile  ou Défilé-la-folle
Par une de ces révoltantes injustices, l’histoire d’Haïti n’a retenu deux choses de la vie de Dédé Bazile : le fait qu’elle était folle et qu’elle posa un acte de grande générosité en ramassant les restes épars du corps de Dessalines pour les transporter au cimetière des « Trousses-Côtes », qui était alors le seul de la ville.

De sa vie d’avant la folie et de son passé de combattante, on ne dit généralement rien. Au terme de patientes recherches, l’ancien professeur d’histoire Octave Petit conclut que Défilée est née au Cap-Français vers 1736 et qu’elle est morte sous Pétion en 1816. Elle aurait perdu la raison en apprenant la mort de deux frères et de trois fils tombés au front durant un des combats sanglants de la guerre de l’Indépendance. Voici ce qu’a écrit à son sujet Me Cadet Jérémie :

Les femmes esclaves
« Pendant la guerre qui devait briser la chaîne de l'esclavage à Saint-Domingue [Défilée] a poussé au plus haut degré l'esprit de sacrifice. Elle appartenait à cette légion de femmes qui, depuis Toussaint-Louverture, suivaient partout l'armée, mettaient la marmite au feu au bord de la première source, et passaient, au besoin, la cartouche libératrice. Elles étaient courageuses ces vivandières d'une armée sans solde, toujours en guenilles. Elles donnaient leurs frères, leurs époux et leurs fils à la Mort.

Ces femmes innommées sont les premières soldates de la Liberté. Elles avaient le souci d'assurer le pot-au-feu et de soutenir la bravoure. En traversant les champs qui étaient à tous puisque c'était la sueur de l'esclavage, en grattant les radicelles pour savoir si le manioc était à point, ces femmes préparaient l'attaque prochaine…»

Au sujet du nom de Défilée, Cadet Jérémie apporte une explication assez convaincante en écrivant :

[…] Ce qu'il y a de particulier chez l'esclave dont nous racontons la vie, c'est l'obsession de la lutte pour la Liberté. Cette idée fixe dirigera toutes ses actions. Ce n'était plus qu'une ombre attachée au pas des héros. Le son du tambour l'entraînait. Chaque fois que l'Armée s'arrêtait quelque part, elle levait sa canne : DE—FI-LEZ ! Ce mot de commandement deviendra son nom et c'est sous ce nom qu'elle s’emparera de l'Histoire.

EN GUISE DE CONCLUSION
Anacaona
Anacaona, la reine guerrière des Taïnos fut pendue...
En cette journée internationale de la femme, je ne puis me résoudre à clore cet hommage à nos héroïnes sans dire un mot d’Anacaona, première grande figure féminine de notre histoire. Chantée par nos poètes et nos musiciens, honorée par nos historiens et nos romanciers, Anacaona habite aujourd’hui encore la mémoire des femmes et des hommes de l’ancien caciquat du Xaragua. Sœur du cacique Bohéchio et épouse de Caonabo, elle appartenait à la célèbre dynastie des Tainos, objets du premier génocide de notre histoire.

Le baron Émile Nau a reconstitué dans son Histoire des Caciques d’Haïti, parue en 1855, le mode de vie des caciquats et leur fin tragique. Il y souligne la beauté, la grâce, l’élégance et l’intelligence d’Anacaona. Dans le compte rendu de la réception qu’elle a offerte à Barthélemy Colomb en 1496, Nau écrit : « Anacaona, portée en litière, suivait immédiatement ces filles d’élite. Elle était vêtue de sa plus belle tunique. Elle avait la tête ornée d’une espèce de tiare plaquée d’or, et d’une guirlande de fleurs fraîchement cueillies et de toutes couleurs […] qui, après avoir fait plusieurs fois le tour de ses trempes et de son front, se répandaient sur ses épaules et sur ses seins nus. La plupart des hymnes qu’on chantait étaient de sa composition. »

En 1503, c’était au tour de Nicolas Ovando d’accueillir la souveraine. La réception, pourtant bien commencée, « se changea soudain en un horrible carnage ». Tous les spectateurs furent massacrés sans pitié, y compris les caciques invités. Seule Anacaona fut épargnée. Après s’être débarrassée, en 1504, de tous les autres caciques de l’île, Ovando repartit pour Santo Domingo avec elle, « liée et garrottée », et la fit juger et condamner à mort pour rébellion. « La gracieuse reine, l’illustre poète […] fut ainsi ignominieusement pendue. »
F I N _____-

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