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Wednesday, November 15, 2017

Célébrons la vie de l’ami Fanfan Bazile!

Dr. Frantz Bazile
19 avril 1947 - 2 octobre 2017
Par Eddy Cavé.

Ottawa, ce 9 novembre 2017

N’étant pas un catholique pratiquant, Fanfan n’avait pas voulu de funérailles traditionnelles et la famille a respecté ce choix. C’est donc la formule, très moderne, de la célébration de la vie qui va permettre de réunir pour un dernier hommage les membres de la famille et ses nombreux amis, collègues, patients et connaissances.

Soucieux ou triste à cet âge?
Je ne sais!
Une célébration de la vie de Fanfan.  Quelle meilleure occasion pour les sœurs, oncles et tantes qui l’ont bercé pendant son enfance à Jérémie et l’ont encadré avec amour jusqu’à ce qu’il commence à voler de ses propres ailes! Pour ses sœurs Marie-Évy, Renée, Andrée et Michelle qui  se remettent à peine du départ de Paule, ainsi que pour les autres membres de la famille immédiate et élargie! Pour les conjointes avec lesquelles il a partagé des tranches successives de sa vie d’adulte et pour ses six enfants brusquement orphelins!

Quelle meilleure occasion pour les vieux amis de la période allant de ses premières années à l’école Frère Paulin de Jérémie à son départ à la retraite à Miami au terme d’une fructueuse carrière de gynécologue!

Quelle meilleure occasion enfin pour les patients et collègues qui ont connu et apprécié cet attentionné disciple d’Esculape dont le diagnostic était sûr, les traitements efficaces, la disponibilité complète! Sans parler de son entregent ni des qualités de cœur qui le rendaient si attachant!

En réalité, Fanfan appartenait à cette catégorie d’âmes d’élite qui contribuent à illuminer la vie de ceux et celles que la nature met sur leur passage et dont le départ laisse l’entourage dans une sorte de désarroi. Rien de mieux que cette célébration de sa vie pour perpétuer sa mémoire et donner à tous ceux et celles qui l’ont pratiqué l’occasion d’exprimer leurs sentiments à son endroit, d’aller réconforter la famille et de l’aider à faire son deuil.

Je serai par la pensée seulement à Miami ce jour-là, mais je suis déjà en train de vivre intensément avec la famille et les amis cette grandiose célébration de la vie de Fanfan.

Me Alphonse Bazile (1960)
À la réflexion, je me rends compte qu’il m’est impossible de parler de Fanfan sans penser à son père, l’avocat Alphonse Bazile, et à sa mère Madeleine, née Pasquier, qui me vouaient tous les deux une grande affection. Un couple admirable qui a élevé ses enfants dans la tradition des valeurs morales les plus élevées, la valorisation de l’instruction, l’amour du travail, la solidarité avec les moins nantis, le respect de l’autorité parentale, etc. J’ai retrouvé dans mes tiroirs l’ébauche d’un article que j’avais titré « Alphonse Bazile, un authentique produit du terroir bouffé jérémien par les siens »  et que je n’ai malheureusement jamais pu terminer. Dans mon jeune âge, Mèt Alphonse, qui faisait déjà la promotion des coopératives dans la Grand'Anse, avait habité dans mon quartier et c’est avec admiration que j’entrais dans son cabinet chaque fois que je le pouvais.

Dans mon imaginaire d’enfant, les cartes géographiques qui ornaient les murs du cabinet apparaissaient comme d’impressionnants trophées de guerre. Je devais découvrir longtemps après que les petits drapeaux plantés çà et là indiquaient l’implantation de ses coopératives dans la Grand’Anse. À l’âge adulte, nous sommes alors devenus de bons amis, en plus d’être politiquement et idéologiquement très proches l’un de l’autre. J’étais en voyage d’études à l’étranger à l’époque de sa disparition, et j’ai tout naturellement reporté sur Fanfan et les autres membres de la famille l’affection que j’avais pour lui.

Entre Marie-Thérèse Beauboeuf et Mamaille Acide
(à Jérémie)                                                          
Durant un court séjour chez le couple Jeanine et Pierre Gilles à Gary, dans l’Indiana durant l’été 1977, je m’étais fait un devoir d’aller à Chicago  pour  revoir Madeleine et m’informer des nouvelles de la famille. Fanfan avait déjà terminé sa médecine en Belgique et pratiquait à Chicago. Il était de service à l’hôpital le jour de ma visite, mais j’avais eu le bonheur de revoir les jeune filles.

J’avais aussi profité de l’occasion pour visiter avec Branly Ogé le cercle des vieilles amies jérémiennes reconstitué à Chicago : Chérisna Gauthier, Simérine Ogé et sa fille Renée Pardeau, Germaine Justin et son fils Éric.  Quarante ans plus tard, je garde encore de ces rencontres un émouvant souvenir. Simérine m’avait alors comblé de cadeaux.

A Bruxelles avec Eddy Maurice et deux autres étudiants belges
Pour revenir à Fanfan, mon cadet de sept ans, je le revois encore arrivant en courant de l’école l’après-midi, les souliers recouverts de poussière après avoir joué au foot sur le chemin du retour  avec les copains de son âge. La famille habitant à l’étage du cabinet de la rue Monseigneur Beaugé,  Fanfan passait embrasser rapidement Papa Alphonse au rez-de-chaussée, nous serrait rapidement la main et escaladait l’escalier. Un garçonnet affectueux, studieux, aux yeux pétillants d’intelligence et déjà appelé à un bel avenir.

Fanfan a entretenu jusqu’à la fin de sa vie l’affection qu’il vouait déjà à l’époque aux  « grandes personnes du quartier », les amies de ses parents, qui dans une ville comme Jérémie contribuent à maintenir les enfants dans le droit chemin. Je le vois encore, en pantalon court, traversant la rue pour aller jouer aux dominos avec les enfants du quartier sur la longue galerie commune de Mme Ernest Lévêque, 101 ans aujourd’hui  à Montréal, de Macula, de Germaine Justin. J’étais déjà un jeune adulte au début des années 1960 et je les observais à partir de la galerie de Mamaille. Je vois dans la photo qui précède un bel hommage à la vie de quartier qui existait à Jérémie  dans les années 1950-1960.

Séduisant et séducteur
Parti de Jérémie en 1965, j’ai souvent parlé à Fanfan au téléphone, mais je ne l’ai revu en chair et en os qu’en 2004 à Jérémie durant une mémorable semaine de la  Saint-Louis.

Je l’ai alors retrouvé tel que je l’imaginais à partir de mes conversations avec les amis communs, dont Solon Balthazar qui garda avec lui un contact constant : calme, attentif, attentionné, chaleureux sous des dehors d’homme réservé, mais surtout  généreux, très sensible au dénuement de la population. Et pardessus tout, très réaliste dans l’évaluation des perspectives économiques et politiques du pays. L’avenir devait lui donner raison. 

Nous sommes allés à la plage à plusieurs reprises avec sa compagne Jennifer mais  nous n’avons pu réaliser un projet qui nous accrochait tous : rentrer à Port-au-Prince par la route côtière  passant par  Dame-Marie, Anse d’Hainault, Tiburon, Port-à-Piment, Les Cayes. Par suite du décès d’un membre de la famille, j’avais dû prendre le premier vol disponible vers Port-au-Prince et différer cette belle aventure. L’occasion ne s’est jamais plus présentée par la suite, et cette route semble être délaissée aujourd’hui.

Après ces retrouvailles à Jérémie, notre amitié s’est considérablement renforcée. Et nous avons gardé un contact téléphonique assez constant. Nous avions tant d’affinités, tant de souvenirs à partager, une vision commune de tant de choses…Chacun de mes voyages en Floride  était une occasion d’interminables conversations, de longs soupers au restaurant et d’échanges mutuellement enrichissants. J’ai peine à croire que je ne le reverrai plus.

À une soirée de retrouvailles à Miami avec le Père Le Thiez
(au centre), le couple Landry Jacob et Guy Cayemitte en 2009
Comme beaucoup de Jérémiens de notre génération, Fanfan est resté toute sa vie très fidèle aux amitiés de son enfance, comme en témoignent les photos prises avec les anciens condisciples du primaire et du secondaire. De la petite collection de photos recueillies des membres de la famille et du site de Haïti Connexion Network, j’ai retenu quelques-unes qui sont d’agréables souvenirs de ses amitiés et de sa contribution comme premier président du conseil d'administration de la Saint-Antoine Hospital Fund  (STAHF) de Miami.

Dans les conversations relatives à la personnalité de Fanfan et à l’homme qu’il a été, un des deux  mots qui reviennent le plus souvent est « générosité ». Tous ceux et celles qui l’ont connu dans le quotidien, dans le milieu de travail, dans les activités humanitaires ou caritatives s’accordent à dire que le Dr Frantz Bazile était un homme d’une générosité sans bornes. Les organisateurs et les habitués des collectes de fonds des associations de soutien à l’Hôpital de Jérémie, Jean-Marie Florestal en tête, ne cessent jamais de le dire : PLUS GÉNÉREUX QUE CELA, TU MEURS!

Entre Cheney Despeine et Guiton Dorimain à Jérémie
Un autre trait de caractère peu connu en dehors du cercle des proches : Fanfan était un pince-sans-rire et un comédien de grand talent. Je le connaissais assez bien pour m’en douter, mais j’en ai eu la preuve en visionnant sur You Tube un discours qu’il fit en 2012 à la première soirée annuelle de la STAHF. Ce soir-là, il fit rire aux éclats une assistance accrochée à ses lèvres et vendue à la cause.  Il commença par s’excuser de de devoir parler créole, la seule langue qu’il dominait. Vous voyez l’astuce. Les mains dans les poches, il fit sans papier une performance extraordinaire en créole sans jamais prononcer un seul mot anglais ni une seule phrase française. Un véritable exploit à mon sens pour quelqu’un qui avait quitté le pays depuis sa jeune vingtaine.

Ce soir-là, Fanfan raconta à l’auditoire, amusé au possible, qu’il jouait depuis plus de 20 ans à la loterie le vendredi soir dans l’espoir de gagner un jour le gros lot et de pouvoir ainsi reconstruire l’Hôpital Saint-Antoine de Jérémie. Que c’est après avoir perdu tout espoir de réussir tout seul qu’il joignit ses efforts à ceux de Jean-Marie Florestal, de Marc-Antoine Gauthier et des autres amis du groupe pour mettre l’organisation sur pieds avec eux la STAHF dont nous avons déjà parlé. Naturellement, personne ne le crut, mais le message était passé. Fanfan, ou terib!

Avec Pierre-Michel Smith et Alix Cédras
Outre sa généreuse contribution au succès de cette activité de financement, Frantz a posé ce soir-là un geste dont la portée sociale et politique n’a jamais été à mes yeux suffisamment soulignée. Nous sommes alors en 2012 et le créole n’a pas encore reçu les lettres de noblesse que lui apportera, deux ans plus tard, la création de l’Académie du créole haïtien. Et voici qu’un médecin formé en Europe et spécialisé aux États-Unis se présente devant un auditoire de lettrés pour prononcer un discours en créole.  Chapo ba Fanfan ! Mwen renmen w plis pou sa ankò !

Avec son beau-frère et ami d'enfance Marc-Antoine
Voilà donc, comme il l’était, l’ami Fanfan. Bon vivant, généreux, courageux, renversant des barrières sans faire de vagues ni de déclarations tapageuses, prêchant toujours par l’exemple. Sa sœur Michèle m’a raconté qu’il était toujours deuxième à l’école des Frères et que leur mère ne cessait de lui demander pourquoi il ne remportait jamais la première place. Il finit par lui avouer qu’il ne voulait absolument pas se pavaner dans les rues avec la médaille que le cher frère épinglait chaque dimanche à la chemise des premiers de classe.  Devant l’insistance de Madeleine, il avait répondu : « Si tu ne me crois pas, je te l’apporterai dimanche prochain, cette médaille dont je ne veux pas.»

Avec les six enfants qu'il laisse dans le deuil
Le dimanche prochain, le voyant arriver sans la médaille, Madeleine l’accueillit en disant : « Anhan, kot meday la? » Il la sortit alors de sa poche, précisant qu’il ne courait jamais après les honneurs.  Ce trait de caractère, Fanfan l’a conservé toute sa vie.  Et c’est sans doute ce penchant pour la simplicité et l’humilité qui l’animait quand il a prononcé en créole son superbe discours dans « un pays où les gens écrivent une langue qu’ils ne parlent pas et parlent une langue qu’ils n’écrivent pas ».

Fanfan, toi qui as fui les honneurs toute ta vie, tu peux aujourd’hui les récolter en toute quiétude.

Que ton âme repose en paix!
Et que la célébration commence!
Eddy Cavé



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