Saint-Marc... Aujourd'hui
Un état des lieux
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Place Philippe Guerrier |
Aujourd'hui, la ville craque sous toutes ses coutures. On n'y trouve
aucune parcelle de terrain qui ne soit pas déjà squattée. La pression du nombre
est on ne peut plus forte car les nouveaux arrivants déferlent régulièrement
sur Saint-Marc à une cadence résolument soutenue.
Et si l'on en croit les résidants, chaque crise naturelle, calamité, appréhendée ou survenue effectivement ailleurs
au pays (cyclone, inondation ou secousse sismique) suffit pour déclencher en
direction de Saint-Marc une migration intérieure assez significative. C'est à
se demander si la ville, malgré ses malheurs, n'est pas victime de ses succès
d'antan sur le plan économique et de l'emploi.
Et pour ajouter à son «heureux
problème», l'éminent sismologue français Éric Calin, n'avait-il pas déclaré,
dans la foulée du tremblement de terre
de janvier 2010 que «la ville de Saint-Marc est située dans la zone la
plus sécuritaire en matière d'aléas sismiques en Haïti»? Pour des gens
traumatisés par les horreurs de cette hécatombe et cherchant la sécurité, c'est
du violon à leur oreille. Et le vase se remplit ainsi, exerçant de plus en plus
de pressions sur le territoire urbain.
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Étendue
sur 545 km et avec environ 400 000 habitants
Saint Marc est à 5 km de la région
de la Côte des Ar-
cadins.
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Changeons de registre. La ville de Saint-Marc, de par
sa configuration historique, n'est pas capable de recevoir autant de monde sur
son territoire. L'absence de mesures adéquates étatiques et municipales
complique la situation. À bien regarder, l'aire urbaine telle que nous le
montre le plan de la ville, datant de 1785, n'a que peu changé depuis. La petite ville de 9401 habitants d'après le
recensement de 1950(8) a connu à partir des années 1970 une forte croissance démographique.
Par la suite, au fil des décennies, la population s'est accrue de façon
exponentielle avec une intensité variable selon les conjonctures, entraînant
dans ses multiples conséquences une grave pénurie de logements.
En l'absence de
recensement récent, virevoltent dans les
conversations plusieurs estimations de la population de la ville qui nous
paraissent assez fantaisistes. Pour la
circonstance, nous avons plutôt choisi celle de 400 000 habitants avancée par
Rosmy Parady Millien ( in Zoom sur Saint-Marc, 16 mars
2013) l'estimant plus plausible. Comment
alors résister à cette force mouvante et toujours en progression? Sous la pression de celle-ci, les parois de
«la ville historique» éclatent, en même temps que se produit une implosion, dispersant en tous sens cet imposant
trop-plein de personnes vers la périphérie d'abord, ensuite vers les mornes et
les hauteurs. L'étalement urbain s'accélère donc à un rythme débridé, se
révélant à la fois agressif, désordonné et conquérant dans son déploiement.
Levez la tête et regardez, entre autres, en direction du Morne La Vigie et du
Morne Calvaire et vous vous rendrez compte que des «favelas», à l'instar de celles du Brésil, s'y
implantent, offrant à la vue un spectacle dont on pourrait se passer.
Par ailleurs, une autre situation qui horripile les Saint-Marcois, les visiteurs et les piétons, c'est l'extrême dangerosité de ses
rues. Depuis plusieurs années déjà, celles-ci s'ajoutent à la liste des ennemis
de leurs usagers car les meutes de motocyclettes et de bicyclettes qui s'y affrontent quotidiennement dans les
deux sens et dans tous les sens réduisent considérablement l'espace individuel de mouvement sécuritaire de ces derniers. Sans compter la
présence de camions imposants et des
voitures avec lesquels l'infortuné piéton doit partager la chaussée, au risque
continuel de mettre en danger son intégrité physique.
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Parc Levelt de Saint-Marc |
Mais le plus grave des dangers, et de loin le plus gros, qui guette la
ville pour les prochaines années, c'est la réduction des surfaces cultivables.
Le béton mène la vie dure aux terres agricoles. La plupart des beaux et
verdoyants «jardins» que l'on connaissait autrefois, les champs de canne à sucre,
de bananes, de patates, de maïs, etc. se trouvant en périphérie de la ville et
au-delà de celle-ci ont longtemps été
lotis, vendus ou mis à la disposition d'éventuels acheteurs pour la
construction de maisons, d'imposantes
maisons le plus souvent. Ainsi, la spéculation foncière roule à plein régime, sans considération de «ni tè sèch,
ni de tè wouze». Propriétaires, acheteurs et intermédiaires de tout
acabit participent activement à ce marché lucratif dans une sorte de vide
réglementaire, de semblant d'absence de
normes, ou de mépris délibéré de ceux-ci. Selon des renseignements dignes de
foi, de telles normes existent. C'est leur application . . . stricte qui n'est
pas au rendez-vous. Pendant ce temps, les surfaces cultivables s'amenuisent.
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Dès que l'on parle de maïs mou lu, Saint-Marc est sur toutes les lèvres. |
L'insécurité alimentaire (la rareté
alimentaire) de toute la population arrivera plus vite qu'on ne le pense, si
l'on continue à ce rythme effréné de couvrir de béton les terres arables, les
surfaces agricoles disponibles de la région. Il est absolument primordial et
même vital d'enrayer cet inimaginable
gâchis pendant qu'il est encore temps,
bien que d'irréparables dégâts aient déjà été causés à ce chapitre. Qu'on se
rappelle ceci: le béton ne produit pas de vivres alimentaires, le béton ne donne pas à manger! Un «zonage agricole» ou
son renforcement s'impose avant qu'il ne
soit trop tard. Seul un maire énergique, doté de vision, qui n'a pas froid aux
yeux, intègre, entouré d'assesseurs tout aussi intègres, peut se colleter à
cette tâche de mettre de l'ordre dans ce dossier d'extrême importance pour les
lendemains de la ville. Ce sera un travail de longue haleine.
Est-il possible de conclure sur l'histoire d'une ville qui continuera
inexorablement son voyage dans le temps?
Impossible! En revanche, nous nous contenterons simplement de rappeler que Saint-Marc
est aujourd'hui une ville densément peuplée, aux prises avec de profondes transformations et de
mutations de toute nature mais qui se prépare, en dépit de tout, à célébrer son 300e anniversaire de fondation
le 25 avril prochain. Jamais dans son histoire, elle n'avait connu, autant
qu'aujourd'hui, de bouleversements aussi significatifs sur le plan physique, structurel, social,
résidentiel, culturel et démographique. Les villes, comme les humains, sont
appelées à grandir, à changer de taille, à évoluer avec le temps.
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Le club Indigo sur la côte des Arcadins à 5 kilomètres de la ville de Saint-Marc. |
Mais ces
évolutions ne doivent pas s'autoréguler. Il appartient donc aux gestionnaires,
c'est-à-dire les élus, de concevoir des politiques qui répondent aux exigences
modernes d'urbanisme et de la fourniture de services adéquats à la population. Les
groupes de citoyens, les notables, les organisations citoyennes sont tout
autant concernés par cette prise en
charge. Mais en dépit de tout, les Saint-Marcois adorent leur ville d'une
passion maladive et ne la troqueraient pour aucune autre. C'est ce qui est
nettement rassurant dans ce contexte particulier de transition. Toutefois, nous souhaitons ardemment que le 300e
anniversaire soit un nouveau départ pour
la ville et que sa célébration soit aux
dimensions de l'événement.
Sources et Références
1 Métellus, Jean, Haïti une nation
pathétique, Maisonneuve & Larose, Paris, 2003, p. 92.
* Pour les détails, Cf. le livre suivant,
aux pages 39-40-41-42.
2 Destin, Lemarec, La ville de Saint-Marc,
histoire, économie, politique et société, des origines à 1971, Les Éditions
DAMI, Montréal, mai 2011.
3 Ibid., p. 42.
4 Maubant, Christiane, «le traité
de«traite» de Stanislas Foäche, du Havre, Historia, No 80, nov.,-déc., 2002.
5 Fouchard, Jean, Les marrons du
syllabaire, Éd. Henri Deschamps, Port-au-Prince, 1953, p. 99.
6 Thésée, Françoise, «Répartition par paroisses
des habitations en sucreries, indigoteries, cotonneries, caféteries, dans le
quartier de Saint-Marc», d'après Moreau de Saint-Méry, Paris, 1958, tome II, p.
47., In Négociants bordelais et colons de Saint-Domingue, Société française
d'Histoire d'Outre-Mer, Paris, 1972.
7 Auguste, B.,Marcel, La République
d'Haïti et la Deuxième Guerre mondiale, Imp.,AGMV, Cap-Saint-Ignace, 1988, p.
152.
8 I.H.S., Analyse de quelques
indicateurs démographiques tirés des recensements de 1950, 1971, 1975 et 1982,
p. 8.
Par Lemarec Destin