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Monday, February 22, 2016

La ville de Saint-Marc et la marche du temps (1ère partie)

Par Lemarec Destin lemarec_dest@yahoo.ca   
L'une des entrées de la ville de Saint-Marc
Depuis le temps qu'on en parle, ça y est maintenant! Poursuivant inlassablement son long voyage à travers le temps, la ville de Saint-Marc vient d'emprunter, au début de l'année 2016, la dernière ligne droite qui devra la conduire, le 25 avril prochain, au 300e anniversaire de sa fondation entreprise  pendant la période coloniale. Puisqu'elle en est issue, il me paraît utile d'effectuer un saut dans le passé, à l'époque pionnière (deuxième mouture) afin de revisiter le contexte dans lequel la ville a pris naissance et, au premier abord, dégager de la gangue d'oralité qui les enveloppe deux éléments fondamentaux fortement emblématiques de la naissance et de la personnalité de la ville: sa date de fondation et son nom. 

La cathédrale de Saint-Marc qui fête
son saint-patron chaque 25 avril....

 
Malheureusement, on remarque quand on s'y intéresse que ces deux éléments essentiels peinent à se sortir de ce magma de légendes dans lequel ils sont trop longtemps enfouis. Mais grâce aux recherches entreprises par des passionnés, grâce aux archives, grâce aux documents d'époque et de l'histoire comparative, des chercheurs et historiens chevronnés ont réussi à «restituer l'histoire réelle» aux différents publics. C'est ainsi que d'«admirables trésors de connaissance», insoupçonnés, ont été découverts  et publiés dans des textes et ouvrages  de grande diffusion pour le plus grand bien de tous, incluant les Saint-Marcoises et les Saint-Marcois. Certaines informations, dites  historiques,  fondées sur des mythes ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme des vérités susceptibles de validité. Celles-ci méritent alors d'être revisitées,  toutes les fois qu'il est possible et que les moyens pour le faire existent. Sous ce rapport, nous pensons que l'historien  et économiste britannique T.S. Ashton n'avait pas tort d'écrire, au milieu du siècle  dernier, qu'«il n'y a de pire eau que l'eau qui dort».

Le plan de la ville de Saint-Marc en 1785

Cela étant dit, réglons tout de go les deux problèmes ci-dessus mentionnés avant de prendre le large. Contrairement à une idée reçue, la ville de Saint-Marc a véritablement été fondée en 1716(1) (*) sous l'administration de Louis de Courbon, comte de Blénac. Celui-ci dirigea la colonie de 1714 à !717 en qualité de Gouverneur général et fut le premier d'une longue lignée de représentants royaux à porter désormais ce titre hautement prestigieux jusqu'en 1803.  Et de leur côté, les colons-développeurs qui prirent  l'heureuse initiative donnèrent au nouveau-né le nom de « Saint-Marc » et l'ont placé  ainsi sous le patronage de l'évangéliste du même nom. À cet égard, il est intéressant de rappeler que ce mode opératoire s'inscrivait dans la plus pure tradition française et espagnole de l'époque pionnière  de donner le nom d'un saint à une ville ou à une localité naissante ou, à défaut, placer celle-ci sous sa protection. Les villes d'Haïti (plusieurs d'entre elles portent le nom d'un Saint) et de la République Dominicaine peuvent nous en convaincre à ce chapitre. À cet égard, le cas du Québec--ancienne colonie française catholique en Amérique, mais rapetissée territorialement-- est particulièrement édifiant  sur le plan quantitatif. On a pu y dénombrer officiellement plus de 1000 municipalités portant, de nos jours encore, le nom de Saint. Des exemples de cette nature peuvent se multiplier encore, si nous traînons  notre curiosité dans d'autres pays ou territoires ayant connu la colonisation française ou espagnole.

Les débuts de la cité ---Les préalables
Vue panoramique de la ville de Saint-Marc
La nouvelle ville fut fondée sous d'heureux auspices. On dirait que les astres étaient alignés à cette période-là pour que soient réunies, en même temps, les conditions favorables à son expansion. Mais avant d'en arriver là, il y eut bien des terrains marécageux à traverser. Pour une meilleure compréhension de la suite, un effort d'explication s'impose. La politique de «la terre brûlée», incessante et de dévastation que pratiquaient les Espagnols---s'estimant être les véritables maîtres d'Hispaniola---  contre les établissements français  rendait incertaine  toute organisation durable et stable dans la colonie en devenir. Il est à noter à ce propos que cet état endémique de guerre larvée entre les belligérants en Europe et à Saint-Domingue freinait, et pour cause, les ardeurs des nouveaux aventuriers désireux de venir s'établir à Saint-Domingue. Et ceci, même si depuis des années déjà, la France, pour faire participer ses colonies à sa grandeur et à son rayonnement, avait mis en oeuvre pour celles-ci un audacieux programme de développement, articulé à une vigoureuse politique de peuplement.(2) Mais le blocage resta presque entier. Pour compliquer davantage la situation, la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697) éclata en Europe mettant aux prises la France, l'Espagne, les Provinces Unies et l'Angleterre. Guerre qui se termina par la signature du Traité de Ryswick en 1697, forçant ainsi l'Espagne à céder officiellement Saint-Domingue à la France. Ce qui mit un terme à la rivalité opposant Français et Espagnols dans la colonie.

La rue principale de la ville de Saint-Marc,
par où passe la route nationale No 1.         
«En fournissant une solide assise légale à l'existence de la colonie, le traité de Ryswick enleva du même coup l'hypothèque qui pesait sur le destin de Saint-Domingue. Désormais, les autorités coloniales françaises et les colons se sentaient en meilleure posture pour penser à l'établissement de structures stables sans s'inquiéter outre mesure»(3). Alors arrivèrent à Saint-Domingue, et de façon soutenue d'appréciables  groupes de colons dans la perspective d'améliorer leur situation et recommencer une nouvelle vie. Entre-temps, les administrateurs royaux demandaient à la Métropole d'encourager aussi la venue et l'installation d'hommes de métier dans la colonie. Répondirent à l'appel: tonneliers, maçons, forgerons, charpentiers, briquetiers, tanneurs, ainsi que des artisans tels que boulangers, cordonniers, tailleurs, sans compter des travailleurs agricoles. 

Le Tribunal de Paix abritant aussi l'office de l'Etat civil
Il importe de préciser que parallèlement à ce courant européen s'accélérait aussi, par vagues successives, l'arrivée des esclaves africains en contingents fort significatifs  à divers ports de la colonie. Il est à noter que ces nouvelles arrivées eurent l'effet  de permettre à la petite agglomération naissante d'acquérir une certaine« épaisseur démographique», élément indispensable au démarrage et à l'expansion  d'une ville. C'est donc dans ce contexte de conditions favorables, de disponibilité de forces productives  ---d'autres éléments devant y être aussi considérés--- que la nouvelle ville fut créée en 1716.

Les trente premières années qui suivirent la fondation de la ville furent des plus déterminantes. En effet, la jeune cité connut au cours de cette période un essor fulgurant qui étonna tant par son ampleur que par sa vigueur. Entre-temps, affluèrent à Saint-Marc  et s'y établirent, à des dates différentes cependant, des comptoirs de grandes maisons de France. Celles-ci étaient de Nantes, de Bordeaux, du Havre, de La Rochelle et de Saint-Malo. L'histoire de cette époque retient quelques noms de grandes maisons  et dynasties d'affaires établies à Saint-Marc telles: la famille Grou de Nantes vers 1720, la famille Bapst, la famille Reynaud, la famille Foäche avec les frères Martin et Stanislas qui ont établi un comptoir familial à la rue Dauphine(4), non loin de la zone dénommée Fort Bergerac (Fò Begirac), à la rue Christophe. Il est nécessaire d'indiquer ici,  en guise de complément d'information, que la rue Dauphine est l'actuelle rue appelée:« rue Tête cheval». Nos parents et quelques aînés gardaient néanmoins le nom de rue Dauphine.

Vue aérienne du port de Saint-Marc
La prospérité s'installe. L'activité portuaire était particulièrement intense car le commerce avec les villes de France citées plus haut se faisait directement dans les deux sens, à une cadence accélérée. Aussi la Métropole, sur recommandation de son administration coloniale, institua-t-elle à Saint-Marc un poste de Trésorier de la marine.(5) Le plus remarquable des fonctionnaires qui occupèrent cette fonction importante fut un certain M. Marty. Déjà, un peu après le milieu du XVIIIe siècle, Saint-Marc était déjà une grande ville (selon  les critères de l'époque dans la colonie) tant par la multiplication de ses habitations(6), de ses  établissements agricoles et industriels en périphérie et dans son hinterland que par le volume  de son commerce métropolitain. Aussi, dès 1759, nous apprend Moreau de Saint-Méry,  l'expression «quartier de l'Artibonite» fut remplacée par celle de «quartier de Saint-Marc», réunissant les quatre paroisses suivantes: Saint-Marc, Gonaïves, Verrettes et Petite-Rivière-de l'Artibonite avec Saint-Marc pour centre, selon une décision de l'Administration coloniale.

Quelques  grandes étapes du parcours
Grosse Roche, fait la fierté de Saint-Marc avec son eau
turquoise bordée de sable blanc. Elle est située sur le
littoral urbain et très fréquentée par les Saint-Marcois
La ville de Saint-Marc a généré au cours de ses trois siècles d'existence une histoire vaste, massive, peuplée de faits marquants, d'hommes politiques, de personnalités fortes, d'événements sociopolitiques et économiques de grande portée, d'hommes et de femmes d'action connus pour leur engagement, d'intellectuels de haut niveau, de juristes chevronnés, de citoyennes et de citoyens ordinaires remarquables, mais aussi de faits déchirants. Malheureusement, nous ne pouvons pas tous  les traiter  dans le cadre de cet article, même si l'envie de passer outre nous torture. En revanche, pour obvier à cet inconvénient, nous allons devoir procéder à quelques judicieux découpages qui  correspondraient, selon nos propres vues, à autant de haltes, d'événements  ou de faits  importants qui expliqueraient en accéléré l'histoire de la ville et de son évolution dans le temps. En voici ceux que nous avons retenus:

1779--Lieu de rassemblement et de départ du contingent de 1500 Affranchis pour participer à la Guerre de l'indépendance américaine à Savannah(Géorgie) et à Yorktown(Virginie).

Mars-Avril 1790-- Ville-hôte de l'Assemblée de Saint-Marc (212 députés) qui ébranla et fragilisa irrémédiablement les structures sociopolitiques et économiques de la colonie.

Début 1793-avril 1798--Les Anglais occupent pendant cinq ans la ville de Saint-Marc.

Saint-Marc et le XIXe siècle
1er janvier 1804--Fin de la prépondérance de Saint-Marc comme ville-centre du «quartier de Saint-Marc» (équivalent du département de l'Artibonite) acquise en 1759 au profit des Gonaïves.

De 1804 à 1900--Un siècle de turbulence politique. Saint-Marc s'inscrivit très tôt dans cette dynamique et devint même l'une des villes les plus actives à ce chapitre. Quand elle n'était pas l'instigatrice, elle s'invitait. Ce n'était pas toujours rose. Elle a aussi perdu nombre de ses fils par des exécutions sommaires.

Saint-Marc au XXe siècle
Hôtel de Ville de Saint-Marc
1913-- Mesure économique majeure: la signature par le gouvernement du président Antoine Simon avec un consortium d'intérêts financiers américains dirigé par MM. Roger Farnham et James P. McDonald des contrats dits McDonald. Ces contrats visaient la construction  de la ligne de chemin de fer du Nord et l'exploitation à grande échelle de la figue-banane. Les deux contrats apportaient beaucoup d'emplois  à Saint-Marc et ses environs.

1934-- Fondation du premier et seul lycée de la ville de Saint-Marc, grâce au dévouement et à la grande vision du Dr Clément Lanier. L'institution, portant le nom Lycée Sténio Vincent, ouvrit ses portes le 23 octobre 1934 et contribua à assurer une formation de niveau secondaire à la jeunesse.

Amani-y les bains - Les riverains sont gâtés par la
beauté de son sable blanc et le bleu d'azur de sa mer 
25 février 1935--Signature de contrat du gouvernement de Sténio Vincent avec la Standard Fruit and Steamship Co., accordant à la multinationale le privilège exclusif de l'achat de la figue-banane sur tout le territoire national. Ce contrat laissa dans la mémoire de la population saint-marcoise et de l'Artibonite une empreinte indélébile.

1942 et 1944--Mise sous séquestre, nationalisation et vente de l'Usine oléifère Saint-André à Saint-Marc appartenant à l'industriel allemand Reinbold. «... cette entreprise, écrit Marcel B. Auguste, soutenait, avec La Standard Fruit, toute l'économie de l'Artibonite et de Saint-Marc.(7)»

1956--Électrification de la ville, à la toute fin du gouvernement du président Paul-Eugène Magloire.

1963--Fermeture et démantèlement de la Compagnie nationale des chemins de fer, des Ateliers de Freycineau et tout le pillage qui s'ensuivit.

Années 60-- Fin de l'activité portuaire si florissante autrefois--- Transfert du Tribunal terrien à Port-au-Prince--- Démantèlement de l'usine de citrons-- Début de l'exode des familles saint-marcoises  vers Port-au-Prince d'abord et ensuite vers l'étranger.  Une véritable saignée. Saint-Marc  en paie durement le prix jusqu'à aujourd'hui.

par: Lemarec Destin
lemarec_dest@yahoo.ca 
Lemarec Destin













Une adaptation de Haïti Connexion Culture
                                         Lire la deuxième partie ici...                    



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