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Thursday, February 25, 2016

La ville de Saint-Marc et la marche du temps (Deuxième partie)

Saint-Marc... Aujourd'hui                                           
Un état des lieux 
Place Philippe Guerrier
Aujourd'hui, la ville craque sous toutes ses coutures. On n'y trouve aucune parcelle de terrain qui ne soit pas déjà squattée. La pression du nombre est on ne peut plus forte car les nouveaux arrivants déferlent régulièrement sur Saint-Marc à une cadence résolument soutenue. Et si l'on en croit les résidants, chaque crise naturelle, calamité,  appréhendée ou survenue effectivement ailleurs au pays (cyclone, inondation ou secousse sismique) suffit pour déclencher en direction de Saint-Marc une migration intérieure assez significative. C'est à se demander si la ville, malgré ses malheurs, n'est pas victime de ses succès d'antan sur le plan économique et de l'emploi. 

Et pour ajouter à son «heureux problème», l'éminent sismologue français Éric Calin, n'avait-il pas déclaré, dans la foulée du tremblement de terre  de janvier 2010 que «la ville de Saint-Marc est située dans la zone la plus sécuritaire en matière d'aléas sismiques en Haïti»? Pour des gens traumatisés par les horreurs de cette hécatombe et cherchant la sécurité, c'est du violon à leur oreille. Et le vase se remplit ainsi, exerçant de plus en plus de pressions sur le territoire urbain.

Étendue sur 545 km et avec environ 400 000 habitants
 Saint Marc est à 5 km de la région de la Côte des Ar-  
 cadins.                                                                    

Changeons de registre. La ville de Saint-Marc,  de  par sa configuration historique, n'est pas capable de recevoir autant de monde sur son territoire. L'absence de mesures adéquates étatiques et municipales complique la situation. À bien regarder, l'aire urbaine telle que nous le montre le plan de la ville, datant de 1785, n'a que peu changé depuis. La  petite ville de 9401 habitants d'après le recensement de 1950(8) a connu à partir des années 1970 une forte croissance démographique. Par la suite, au fil des décennies, la population s'est accrue de façon exponentielle avec une intensité variable selon les conjonctures, entraînant dans ses multiples conséquences une grave pénurie de logements. 

En l'absence de recensement récent, virevoltent  dans les conversations plusieurs estimations de la population de la ville qui nous paraissent assez  fantaisistes. Pour la circonstance, nous avons  plutôt choisi  celle de 400 000 habitants avancée par Rosmy  Parady  Millien ( in Zoom sur Saint-Marc, 16 mars 2013) l'estimant plus plausible.  Comment alors résister à cette force mouvante et toujours en progression?  Sous la pression de celle-ci, les parois de «la ville historique» éclatent, en même temps que se produit une implosion,  dispersant en tous sens cet imposant trop-plein de personnes vers la périphérie d'abord, ensuite vers les mornes et les hauteurs. L'étalement urbain s'accélère donc à un rythme débridé, se révélant à la fois agressif, désordonné et conquérant dans son déploiement. Levez la tête et regardez, entre autres, en direction du Morne La Vigie et du Morne Calvaire et vous vous rendrez compte que des «favelas», à l'instar de celles du Brésil, s'y implantent, offrant à la vue un spectacle dont on pourrait se passer.  

Par ailleurs, une autre situation qui horripile  les Saint-Marcois, les visiteurs et les  piétons, c'est l'extrême dangerosité de ses rues. Depuis plusieurs années déjà, celles-ci s'ajoutent à la liste des ennemis de leurs usagers car les meutes de motocyclettes et de bicyclettes  qui s'y affrontent quotidiennement dans les deux sens et dans tous les sens réduisent considérablement  l'espace individuel de mouvement  sécuritaire de ces derniers. Sans compter la présence de camions imposants  et des voitures avec lesquels l'infortuné piéton doit partager la chaussée, au risque continuel de mettre en danger son intégrité physique.

Parc Levelt de Saint-Marc
Mais le plus grave des dangers, et de loin le plus gros, qui guette la ville pour les prochaines années, c'est la réduction des surfaces cultivables. Le béton mène la vie dure aux terres agricoles. La plupart des beaux et verdoyants «jardins» que l'on connaissait autrefois, les champs de canne à sucre, de bananes, de patates, de maïs, etc. se trouvant en périphérie de la ville et au-delà de celle-ci  ont longtemps été lotis, vendus ou mis à la disposition d'éventuels acheteurs pour la construction  de maisons, d'imposantes maisons le plus souvent. Ainsi, la spéculation foncière roule  à plein régime, sans considération de «ni tè sèch,  ni de tè wouze». Propriétaires, acheteurs et intermédiaires de tout acabit participent activement à ce marché lucratif dans une sorte de vide réglementaire, de semblant d'absence  de normes, ou de mépris délibéré de ceux-ci. Selon des renseignements dignes de foi, de telles normes existent. C'est leur application . . . stricte qui n'est pas au rendez-vous. Pendant ce temps, les surfaces cultivables s'amenuisent.  

Dès que l'on parle de maïs mou
lu, Saint-Marc est sur toutes les
lèvres.                                    
L'insécurité alimentaire (la rareté alimentaire) de toute la population arrivera plus vite qu'on ne le pense, si l'on continue à ce rythme effréné de couvrir de béton les terres arables, les surfaces agricoles disponibles de la région. Il est absolument primordial et même vital  d'enrayer cet inimaginable gâchis  pendant qu'il est encore temps, bien que d'irréparables dégâts aient déjà été causés à ce chapitre. Qu'on se rappelle ceci: le béton ne produit pas de vivres alimentaires, le béton  ne donne pas à manger! Un «zonage agricole» ou son renforcement  s'impose avant qu'il ne soit trop tard. Seul un maire énergique, doté de vision, qui n'a pas froid aux yeux, intègre, entouré d'assesseurs tout aussi intègres, peut se colleter à cette tâche de mettre de l'ordre dans ce dossier d'extrême importance pour les lendemains de la ville. Ce sera un travail de longue haleine.

Pour ne pas conclure
Est-il possible de conclure sur l'histoire d'une ville qui continuera inexorablement son voyage  dans le temps? Impossible! En revanche, nous nous contenterons simplement de rappeler que Saint-Marc est aujourd'hui une ville densément peuplée, aux prises  avec de profondes transformations et de mutations de toute nature mais qui se prépare, en dépit de tout,  à célébrer son 300e anniversaire de fondation le 25 avril prochain. Jamais dans son histoire, elle n'avait connu, autant qu'aujourd'hui, de bouleversements aussi significatifs  sur le plan physique, structurel, social, résidentiel, culturel et démographique. Les villes, comme les humains, sont appelées à grandir, à changer de taille, à évoluer avec le temps. 

Le club Indigo sur la côte des Arcadins à
5 kilomètres de la ville de Saint-Marc.   
Mais ces évolutions ne doivent pas s'autoréguler. Il appartient donc aux gestionnaires, c'est-à-dire les élus, de concevoir des politiques qui répondent aux exigences modernes d'urbanisme et de la fourniture de services adéquats à la population. Les groupes de citoyens, les notables, les organisations citoyennes sont tout autant concernés  par cette prise en charge. Mais en dépit de tout, les Saint-Marcois adorent leur ville d'une passion maladive et ne la troqueraient pour aucune autre. C'est ce qui est nettement rassurant dans ce contexte particulier de transition. Toutefois,  nous souhaitons ardemment que le 300e anniversaire  soit un nouveau départ pour la ville  et que sa célébration soit aux dimensions de l'événement.

Sources et Références
1 Métellus, Jean, Haïti une nation pathétique, Maisonneuve & Larose, Paris, 2003, p. 92.
* Pour les détails, Cf. le livre suivant, aux pages 39-40-41-42.
2 Destin, Lemarec, La ville de Saint-Marc, histoire, économie, politique et société, des origines à 1971, Les Éditions DAMI, Montréal, mai 2011.
3 Ibid., p. 42.
4 Maubant, Christiane, «le traité de«traite» de Stanislas Foäche, du Havre, Historia, No 80, nov.,-déc., 2002.
5 Fouchard, Jean, Les marrons du syllabaire, Éd. Henri Deschamps, Port-au-Prince, 1953, p. 99.
6 Thésée, Françoise, «Répartition par paroisses des habitations en sucreries, indigoteries, cotonneries, caféteries, dans le quartier de Saint-Marc», d'après Moreau de Saint-Méry, Paris, 1958, tome II, p. 47., In Négociants bordelais et colons de Saint-Domingue, Société française d'Histoire d'Outre-Mer, Paris, 1972.
7 Auguste, B.,Marcel, La République d'Haïti et la Deuxième Guerre mondiale, Imp.,AGMV, Cap-Saint-Ignace, 1988, p. 152.
8 I.H.S., Analyse de quelques indicateurs démographiques tirés des recensements de 1950, 1971, 1975 et 1982, p. 8. 

      Par Lemarec Destin
Lemarec Destin



Une adaptation de Haïti Connexion Culture


1 comment:

  1. C'est pas du tout la ville dont j'ai connu quand j'etais enfant. En effet tu as bien dit. La population en est trop El la ville a perdu sa splendeur et beaute. De plus, la mechancete et k'injustice en sont tres rampants. Pour bien te dire j' en ai marre de tout cela. La plupart des gens ne sont pas honnete.

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