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Tuesday, February 27, 2018

Quand les nouvelles d’Haïti chiffonnent sa diaspora

Les poutres métalliques tordues sous le  feu ardent
Photo (Le Nouvelliste)


Réagissant au désastre ayant frappé les “petites marchandes” suite à l’incendie du Marché en Fer de Port-au-Prince, l’auteur de l'article publié ci-dessous, ne peut s'empêcher de dévoiler sa colère. Dans un style acerbe et rempli d'amertume, il fustige l'irresponsabilité des dirigeants haitiens qui, selon lui, sont en train de précipiter Haïti dans les abîmes.

Par Hervé Gilbert



Orlando, le 18 février 2018

À l’ère de l’internet où tout un chacun joue au reporter-maison, des « Fake news » s’il faut employer l’expression anglaise à la mode, inondent l’atmosphère, nous amusent et nous interpellent à la fois, assez souvent sous forme de documentaires qui arrivent en cascades sur What’s App, tantôt en vidéo, tantôt en audio. Certains d'entre eux ont la particularité de renfermer un peu d’humour pour amuser la galerie;  d’autres, par contre, sur la politique haïtienne, laissent à désirer. C’est du n’importe quoi à noircir Lucifer! Tout cela pour résumer qu’en de telles circonstances, lorsqu’on est loin du pays, le seul véhicule respectable sur lequel, on peut se permettre de surfer sur les vagues de la supposée réalité, demeure l’écoute ou la lecture des quelques médias de l’île et de la conclusion d’une prudente analyse d’un auteur doté d’un esprit indépendant ou objectif.

Une marchande qui crie sa douleur, on dirait
qu'elle vienne de perdre toute sa famille.     
Quelle ne fut notre surprise de recevoir des vidéos du « Marché en fer »  en feu, depuis 2 heures du matin du 13 février 2018, étalant la vive douleur de pauvres marchandes qui entrent en crise, hurlant leur rage à gorge déployée comme si elles viennent de perdre toute leur famille. C’est à arracher nos tripes. En fin de compte, elles pleuraient la perte de leurs marchandises stockées sans assurance et non encore payées; d’autres se demandaient, face à ce spectacle tragique, où étaient les pompiers, alors que 70% du marché avaient été presque totalement consumés.
           
Devant le doute, naturellement on s’abstient de porter des jugements de valeur, avant d’entendre ou de lire un organe officiel. En jetant un coup d’œil sur  les journaux du jour, je suis tombé à la renverse à la lecture de ce paragraphe ahurissant, sous la plume de Robenson Geffrard et Frantz Duval:

« Selon le constat du photographe du Nouvelliste, Casimir Veillard, les sapeurs-pompiers du camion de lutte contre-incendie, remarqués sur place, ont fait de leur mieux pour essayer de circonscrire le feu sans succès. Arrivé sur les lieux le camion n’avait pas d’eau et ce n’est qu’au fil des heures que d’autres véhicules de lutte contre-incendie ont renforcé la lutte contre le sinistre ».

Là, je viens de saisir l’état de la situation. Chers lecteurs : Avez-vous bien lu? À décoder la trame de cette tragédie, à visualiser dans notre imaginaire la raison de cet horrible désastre, on en vient à tomber dans les pommes. Le constat de ces journalistes nous a scié les deux jambes. Ce fut comme l’effet d’un coup de massue sur la gueule. Et nous en diaspora qui rêvions encore de ce si beau coin qui avait bercé nos premiers pas! Ce coin n’avait pas ce qu’il y avait de plus huppé, à dire vrai. Mais, il était plus ou moins vivable et surtout il était et demeure notre coin natal.

Marteen Boute
PDG de Digicel
Ce n’est pas tout! La surprise s’est révélée encore plus sidérante, plus pétrifiante lorsque le promoteur du « Marché en fer », celui qui avait attribué un sens, une nouvelle vie à ce monument historique, le PDG de Digicel1, Marteen Boute, a déclaré péremptoirement au micro de Radio Télé Guinin que « C’est l’irresponsabilité de l’état qui est le seul à blâmer pour l’incendie du Marché… Aussitôt informé, je les avait avisés qu’une « pile » de fatras et d’immondices brûlait près de la partie sud de l’édifice public en question… Digicel a estimé de son devoir d’avertir d’urgence, les autorités et les pompiers qui ne sont pas intervenus pour maîtriser les flammes ».

Revenons sur terre! Voilà bien le résultat de la gabegie, du nivellement par le bas, de la corruption folle , de la médiocrité en cravate! Un pays, un morceau de terre enclin aux catastrophes naturelles, dirigé par  des individus amorphes, incompétents, négligents, voleurs, inconscients qui n’ont d’yeux que pour une seule et unique chose : l’argent à piller. Il n’arrivent même pas à gérer un micro incident. Sans doute,  attendaient-ils l’aide des voisins, les Dominicains, les Américains et les autres. Or comme les voisins arrivent rarement les mains vides, l’heure du pillage avait carillonné au clocher des professionnels aux doigts croches et à l’esprit atrophié. Seigneur, vos enfants vous supplient, protégez-les de ces mécréants.

« Sur place, le feu brûlait encore en milieu de matinée à l’intérieur du marché »  soutient la journaliste Nancy Roc. « … Le feu était si puissant que les poutres en fer du toit ont été déformées par la chaleur ardente ».

Les "madan sara" sont aux abois et ne savent
plus à quel saint se vouer...                         
Voilà la nation dans laquelle des milliards et des milliards de dollars venant de bons samaritains internationaux ont été engloutis, et ceci en pure perte! Voilà le pays qui invite sa diaspora et les étrangers à le visiter et à y investir! Mais le ou les idiots qui caressent ce rêve de nous revoir, ont-ils une idée de la viabilité d’une nation organisée? C’est à croire qu’avec les circonstances entourant l’incendie du Marché en fer, n’importe quelle étincelle suffira pour faire disparaître Port-au-Prince ou n’importe quelle autre ville, l’espace d’un éclair. Imaginez l’explosion d’un char en plein carnaval! Ce sera la catastrophe propre à brûler vif des gens de toute une zone, vu que les escouades des pompiers sont quasi inexistantes et que leurs camions ou appareils sont vides d’EAU.

Lorsqu’on vole sans vergogne les milliards dédiés à extirper Haïti de la fange, lorsqu’on empoche sans une once de jugement et d’humanité, le salaire du pauvre fonctionnaire, du misérable employé, on se croit intelligent. Mais ce dernier, mon Dieu, « n’est pas égaré », comme le souligne l’adage. Pour nourrir ses enfants,  ne sachant à quel saint se vouer, il utilise l’arme de la ‘débrouillardise’,  vendant les pneus, les pièces, les couvertures des égouts, les moteurs des camions à incendie, les tuyaux d’eau de la ville, les robinets,  etc. Il vend tout aux plus offrants.  

Il n’y a eu aucune surprise dans le jeu du « pwenn fè pa ». Tout le monde le savait depuis longtemps. C’était un secret de Polichinelle. Les pompiers n’avaient qu’à faire semblant de venir. Et ils sont arrivés très tard, sirène hurlante, en jouant en dernier lieu, aux étonnés, aux idiots devant la citerne vide, et le marché en feu. Les services d’incendie dans toutes les villes [haïtiennes]  sont fantomatiques . C’est un simple nom, « Service des Incendies de… », inscrit sur une feuille de papier pour voter un budget, un stratagème pour mieux siphonner la caisse. Ce n’est pas le souci des édiles. « Pito nou lèd nou la! »  « Et nou pa ka pa la ». Des camions ont été bien commandés aux USA par l’Etat. Mais ils ont été revendus par la suite en cours du transfert ou de la  traversée et livrés à des compagnies privées siégeant en Haïti ou dans les Antilles.

Et arrive, après coup, malgré les accusations du PDG de Digicel, ce gouvernement d’imprévoyants, avec Jovenel Moise en tête, capitalisant sur le malheur des pauvres,  annonçant son programme de réhabilitation des pertes encourues. « Trouvez les noms de ces travailleurs, s’écrie Jovenel, nous allons tous les dédommager ». Et les idiots applaudissent…

Le marché coûtait plus de 18 millions pour sa construction
Ce scénario n’est pas nouveau. Ce n’est que de la poudre aux yeux pour se donner bonne conscience face aux victimes. Le 30 mai 2008, ce même « Marché en fer » ou « Marché Hyppolite » avait été  incendié. Le gouvernement d’alors avait répété exactement la même chose. Une liste de 600 noms avait été dressée. Mais aucune marchande de la place, les vraies victimes n’y figuraient. Les « listeurs » avaient inscrit les noms de leurs femme, de leurs filles, de leurs voisines, de leurs maîtresses, etc... Les pauvres marchandes n’avaient rien reçu... jusqu’à nos jours. Voilà comment chez-nous, on roule le petit peuple dans la farine.

Chers prédateurs, vous êtes intelligents, on n’en disconvient pas. Mais, un de ces quatre matins, vous risquez de mourir rôtis, les poches remplies de frics. Nous savons que ce ne sera jamais une leçon pour personne. Et la tradition continuera. Incidemment,  c’est la descente aux enfers d’Haïti. Et l’horloge du temps dans sa marche inexorable ne se fait point prier. D’ailleurs, une anecdote au Parlement dans les années 90 avait bien résumé cet état de fait. La voici :

Un jour d’avril, dans l’enceinte de la vénérable institution, quelques députés désoeuvrés, s’enguelaient, se chamaillaient entre eux. Mettant fin à l’altercation, un 1er déclara : « Je m’en va ». Un second lui demanda : « Mes zami où vons nous  ». Et un 3èm de rétorquer : « Nous vons de bîme en bîme, jiska la bîme final ». Et nous voilà arriver à bon port. Pour s’en sortir, il faudra embrayer en marche arrière. Qui osera? Qui osera poser ce geste! Fòm ta wè!

Hervé Gilbert 


Note – 1 : Digicel, je crois, est le seul citoyen corporatif à ciseler son nom sur un édifice en Haïti et à intégrer d’autres activités sociales. Tous les autres sont là pour piller, ne pas payer leur portion d’impôts et puis s’en vont. On doit se poser des questions.

Radio Francophonie Connexion

Saturday, February 24, 2018

GISÈLE MAYAS : UNE VIE AU SERVICE DES AUTRES

GISÈLE MAYAS  (2016)

Par Eddy Cavé,

Ottawa, le 23 février 2018

Il est des êtres qui entrent dans votre vie et qui en sortent en laissant derrière eux un souvenir qui s’estompe dès qu’ils ont tourné le dos.  Il s’agit là d’une catégorie de gens qui vivent pour eux-mêmes et pour leur famille et qui, en général, se soucient très peu du bien commun. À part les caractéristiques physiques qui influencent considérablement les souvenirs, la mémoire collective ne retient généralement que très peu de choses à leur sujet.

En revanche, certains autres survivent dans les mémoires collectives et individuelles très longtemps après leur départ pour une autre destination ou pour l’éternité. La particularité première de cette catégorie de gens, c’est leur amour pour les autres, leur désir constant de servir et la place qu’ils réservent pour les autres dans leur vie.  C’est à cette catégorie très spéciale qu’appartenait Gisèle Mayas. Une fois propagée la nouvelle de son décès, les appels téléphoniques, les courriels et autres témoignages de sympathie ont commencé à arriver de tous les coins du monde où elle avait des amitiés, et cela n’a pas cessé depuis.  

La raison du désarroi que ce départ complètement inattendu a provoqué parmi nous, c’est que Tate Gi  était un être très spécial. Une femme « grand format », qui vivait pour les autres et qui s’était fixé pour mission de combler tous les vides que les décès, l’émigration, les persécutions politiques créaient dans son entourage. Le genre de personnes qui entrent dans votre vie comme un voyageur inconnu que vous hébergez pour une nuit et qui s’installe avec tant de grâce dans votre quotidien que, vous-mêmes, vous refusez de le laisser partir. En plus de constituer une compagnie agréable, cet inconnu sait tout faire dans une maison, du jardinage à la vaisselle, en passant par le bricolage, les courses habituelles, etc. Et quand soudain ses obligations personnelles l’obligent à tirer sa révérence, c’est dans le déchirement que vous le voyez partir. Tate Gi était un de ces voyageurs qui laissent dans le deuil tous les foyers où il a mis les pieds; dans toutes les familles où il partagé son ardent désir d’aimer, d’aider, de servir; toutes les paroisses où il s’est agenouillé pour prier pour sa famille, ses proches, sa communauté, sa patrie en détresse. Ces personnes-là, on ne les rencontre pas à chaque coin de rue, surtout depuis que l’individualisme et le chacun-pour-soi se sont implantés dans nos sociétés pour faire de notre monde un véritable champ de bataille.

Gisèle, dans la trentaine
Octogénaire, Tate Gi nous a quittés à un bel âge, mais tous ceux et celles qui l’ont connue attendaient encore tellement de choses d’elle qu’elle semble avoir traversé leurs vies à la manière d’un météore. C’est le sentiment que j’ai ressenti ce mardi 13 février quand je me suis assis pour apaiser le violent vertige provoqué chez moi par ce coup de massue que la nouvelle de son départ a été pour moi. Et la machine des souvenirs s’est mise en branle, traversant  de seconde en seconde tous les quartiers, les villages, les villes, grandes et petites, où nous avons séjourné : Fond Augustin, Nan Goudwon, Mòn Goudwon, Anse d'Azur, La Voldrogue, Tessier, Marfranc, dans la région de Jérémie, Delmas, ruelle Jérémie, Canapé Vert, où est né Réginald, Bourdon, à Port-au-Prince. Enfin, à l’étranger, Ottawa, Montréal, New York, Paris, etc.

Dans cette cascade de souvenirs, je fais un arrêt sur image, comme si je visionnais un film. C’est le jour des funérailles de Georges Séraphin père à Jérémie, en mai 1956. Gisèle n’a pas encore 20 ans. Je la vois vêtue de noir, une longue mantille noire recouvrant son visage en larmes, majestueuse dans la douleur, désespérée devant l’ampleur du drame. Georges vient de disparaître dans la jeune trentaine, laissant une jeune veuve, Jeanine, et deux fillettes en bas âge, Marlène et Nilsa…  Dans un éloge funèbre qui retentit encore à mes oreilles, le professeur de sciences sociales Roger Jérôme s’exclame : « Le météore a passé. Georges Séraphin n’est plus! » Quand, quelques années plus tard, en 1964, Jeanine optait pour des études au Pérou et l’exil volontaire, l’espèce de prémonition qui a fait tant pleurer Tate Gi aux funérailles de Georges se réalisera. Après un mariage qui n’aura pas duré, elle deviendra par procuration la mère de ses deux adorables nièces.

Il est rigoureusement vrai que Georges Séraphin est passé comme un météore. Mais dans l’esprit de Réginald, de Marlène et de Nilsa, des Philogène et des nombreux membres de la fratrie des Mayas, des Cavé et des Martineau, la comparaison conserve toute sa pertinence : Tate Gi est passée comme un météore. Elle avait encore tant de projets pour chacun d’entre nous, tant d’amour à donner et tant à faire pour ses amis, protégés, parents et alliés et pour sa paroisse qu’il lui faudrait encore une autre vie pour achever sa mission. Avec cette œuvre inachevée, elle est, comme son beau-frère Georges, passée comme un météore  sur cette terre où tout s’efface, mais où bien des choses ne survivent que grâce aux prodiges de la mémoire. Comme notre cousine Michèle Cavé, fauchée à Port-au-Prince à 19 ans en 1959, ainsi que sa sœur Liliane partie en 1964. Cette année 1964 fut pour la famille l’année des grandes épreuves, ayant vu disparaître, coup sur coup, mon père Annibal Cavé, Tante Corancie Cavé, la mère de Gisèle, et son père Rotchild  Mayas.


Quels souvenirs allons-nous garder de cet être hors du commun qu’était Tate Gi? De cette femme qui n’avait pas d’âge et qui, jusqu’à son dernier souffle, personnifiait une incroyable jeunesse d’esprit et d’âme? De cette mère qui n’a donné naissance qu’une seule fois mais dont les enfants ne se comptent plus? D’abord, il faudra garder d’elle le souvenir d’une femme de devoir, d’un attachement sans bornes envers la famille et d’une extrême générosité envers les autres.  Du vivant de Dòk Mayas, nous l’appelions La Vice-Doyenne, puis à partir de 2001, elle est devenue La Doyenne, titre qu’elle a porté à la fois avec fierté et un sens admirable des responsabilités. Toute sa vie, Tate Gi a fait ses choix de maison ou d’appartement en pensant d’abord à l’espace nécessaire pour accueillir les neveux, nièces, cousins, cousines et amis de passage ou dans le besoin. Il nous incombera la lourde tâche de préserver cet héritage et l’obligation de suivre autant que possible la route qu’elle a tracée.

À Jérémie qu’elle a quittée en 1965, Mademoiselle Gisèle était déjà réputée pour ses compétences de jeune institutrice, son amour pour ses élèves, sa compassion et son sens de la justice. C’est ainsi qu’elle a laissé d’agréables souvenirs aux trois écoles où elle a enseigné : L’École des Sœurs, Pétion Laforest et Edmée Rey. Ses anciennes élèves lui vouent encore une grande dévotion. Elle appartient à la catégorie des Elda Pierre, Simone Germain, Eddie Saint-Louis, Jacqueline Allen, Paula Brierre, Andrée Guillard, Arnelle Desgraff Bontemps, Marlène Gilbert Joseph, etc. Durant son passage dans l'enseignement, elle bénéficie des conseils et de l'expérience de Barnave Gilbert, Inspecteur à l'enseignement primaire à Jérémie, et de Marcel Gilbert, ancien directeur du lycée Pétion à Port-au-Prince. Par une de ces curieuses coïncidences, elle est décédée durant la même semaine que Simone Briffaut Gilbert, la veuve de Marcel. Une génération qui s'éteint...
     


Il y a lieu de souligner aussi la personnalité fascinante de cette superbe femme aux yeux pétillants d’intelligence. Verve intarissable, sens particulier de l’humour, souvent plus portée à faire rire qu’à ménager l’ami ou le parent qu’elle veut taquiner, Tate Gi était une des compagnies les plus agréables que j’aie connues. À l’époque de la mode des robes queue de poisson et des talons aiguilles, elle faisait tourner toutes les têtes quand, mine de rien, elle longeait la nef de l’église Saint-Louis ou la grande allée du Ciné Fox à Jérémie. Et quand elle se lançait sur la piste de danse des clubs Versailles à l’entrée de la ville ou de Welcome à Buvette, c’était presque un évènement, et cela l’amusait énormément…

En quittant Jérémie, elle abandonne l’enseignement pour se lancer dans le secrétariat. Elle entre alors à l’Institut de développement agricole et industriel (IDAI) où elle se signale par son professionnalisme, son application au travail et son sens inné des relations interpersonnelles. Et dans cette Haïti qui offre de moins en moins d’opportunités à ses enfants, elle se sent de plus en plus à l’étroit et s’installe aux États-Unis pour préparer l’avenir de Réginald. Elle connaît alors les innombrables épreuves des expatriés et les surmonte pour réussir sa propre vie et assurer la réussite de Réginald et des jeunes parents qu’elle assiste à tour de rôle. Bref, une vie bien remplie, faite d’épreuves et de succès, de moments d’angoisse et de tristesse, mais aussi de grandes joies et de bonheur.

Les dernières années ont été particulièrement difficiles pour la famille, en particulier au lendemain du tremblement de terre de 2010. Heureusement que Tate Gi était à la barre pour mener à bon port la famille dramatiquement frappée et accueillir les neveux et nièces épargnés par miracle. Puis, il y a eu l’an dernier le départ de Lesly qui rappelait tant Dòk Mayas. Stoïque, elle encaissait sans broncher. Ces derniers mois, quand le genou a commencé à faiblir et qu’elle a pris appui sur une canne pour certains déplacements, elle l’a fait avec une telle élégance que cela semblait ajouter à la majesté naturelle de sa démarche.

Difficile de parler de Tate Gi et de revoir, même à vol d’oiseau, son impressionnant parcours sans la replacer dans l’environnement très jérémien qu’elle a retrouvé et agrémenté aux États-Unis. Avec des amis comme Yvonne et Solange Antoine, Jean Alcide, les Guillard, les Théano, la grande tribu des Cavé, Laforest, Louis, Glaude, Smith, et j’en passe, car je ne voudrais oublier personne…  Ensemble, nous avons assisté à je ne sais plus combien de mariages, de baptêmes, de premières communions, et à chaque occasion la conversation dérivait tout naturellement vers notre enfance à Jérémie, les soirées de clair de lune à La Pointe, les baignades à La Voldrogue, à l’Anse d’Azur… 
:
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer? »

Aujourd’hui, tout cela n’est que souvenir. Mais c’est précisément dans nos souvenirs que Tate Gi  va continuer à vivre : les magnifiques souvenirs qu’elle a gravés dans notre mémoire; les souvenirs des membres de la famille qu’elle est allée rejoindre et que nous entretenons par nos conversations quotidiennes, nos visites, même espacées, au cimetière. Dans nos collections de photos, les meilleurs garants de la préservation de la mémoire!  

Dans ma riche mais très incomplète collection, j’ai retrouvé ces photos de quelques uns des parents que Tate Gi est allée rejoindre et qui l’accompagnenet sans doute durant ce dernier voyage : notre grand-père Arthur Cavé, décédé durant le premier quart du 20e siècle; notre tante Lauréa Cavé, que nous appelions tous Marraine Lauréa; l’oncle Franck et Tante Yolande, chez qui nous avons tous séjourné à Port-au-Prince; mon père Babal, dentiste décédé en 1964. Dommage que nous n’ayons pas le culte de la photo et que nous en ayons si peu pour préserver au moins la mémoire de nos êtres les plus chers! Le départ de Tate Gi est l’occasion de se souvenir d’eux et de nous rappeler que la vie a beaucoup plus de sens quand, comme celle de Tate Gi, elle est mise au service des autres.

Que leurs âmes reposent en paix! 


Par : Eddy Cavé









Friday, February 23, 2018

QUI SONT CES FEMMES QUI SE SONT PROSTITUÉES POUR OXFAM ?

En février 2018, le Times, rapportait que des employés d’OXFAM Grande-Bretagne, en mission en Haïti, ont invité des prostituées à leurs résidences et à leurs chambres d’hôtel aux frais de sa Majesté. Les révélations du journal ont poussé Penny Lawrence, directrice générale adjointe de cette ONG, à faire son mea culpa et à démissionner. Mais qui sont ces Haïtiennes? Sont-elles vraiment des prostituées?
Corinna Csaky, dans Aucun recours, une enquête-terrain de Save the Children sur l’exploitation sexuelle des enfants par les travailleurs humanitaires, rappelle qu’au Cambodge, l’arrivée de l’aide internationale en 1992-1993 avait fait passer le nombre de prostituées de 6 000 à 25 000 personnes. Ces chiffres semblent indiquer, qu’avec l’aide internationale, avait débarquée une clientèle plus nantie que la population locale. Oui! Mais détrompez-vous.
Des clients potentiels ne font pas nécessairement augmenter le nombre de prostituées. Même si c’était le cas, ça ne suffit pas pour multiplier l’offre de service par 4 en moins de 13 mois. Devant une augmentation aussi spectaculaire, il était devenu évident, qu’au Cambodge, cette prostitution était organisée.
En fait, dans la mesure où les biens et les services fournis par les travailleurs humanitaires pouvaient être échangés contre des faveurs sexuelles, il en a résulté une prostitution circonstancielle, une vente de services sexuels conditionnée et accélérée par les besoins primaires… le besoin de survie.
Le Sexe de survie, c’est bien de ça qu’il s’agit, est une notion qui définit la réalité de toute personne qui échange des faveurs sexuelles pour de l’argent certes, mais surtout contre des biens, des services, un emploi ou une opportunité d’ascension sociale.
Dans les pays pauvres ou en conflit, ce système d’exploitation sexuelle est organisé et structuré pour répondre aux vices de ceux qui ont le devoir de porter assistance à personnes en danger. Il s’agit essentiellement d’hommes qui ont le pouvoir de vie ou de mort sur des vulnérables.
L’éducation, vous n’en doutez pas, est un puissant outil de survie et d’ascension sociale. Mais voilà que dans un rapport conjoint publié en 2002 par Save the Children et le Haut-Commissariat des Nations-Unions pour les réfugiés, on apprend que des professeurs à l’emploi d’ONG avaient fait coutumes d’exiger des faveurs sexuelles en échange de bourses d’études, de notes de passage et d’admission à des programmes de formation.
Je ne fais pas exprès, mais pour vous glacer le sang, sachez que Save the Children dit que des enfants âgés d’à peine 8 ans étaient au centre de ces trafics auxquels participaient des employés d’au moins 23 ONG.
Pour vous démontrer à quel point l’industrie de l’aide internationale est gangrénée, imaginez que Save the Children a découvert dans sa propre enquête qui visait à dénoncer les agresseurs sexuels qui sévissaient dans les ONG des autres, que parmi ces crapules, il y avait des employés de… Save the Children.
Au final, cette organisation a été forcée d’admettre que des fillettes étaient violées par des ordures à qui elle avait confié le mandat de protéger la vie et la dignité d’enfants pauvres, démunis et qui crevaient de faim.
Pour ajouter au tableau de chasses de ces fumiers, la BBC rapportait le 22 février 2002 qu’au Libéria, en Guinée et au Sierra Leone, il y avait 40 ONG qui alimentaient la machine du Sexe de survie en dépravés, en magouilleurs et en délinquants sexuels.
Ce n’est pas tout. D’autres rapports accablants, confirment que dans les camps de réfugiés, pour obtenir et garder un emploi, les femmes apprenaient à leur entrevue d’embauche, qu’elles devaient participer à la grande débauche. Pour un homme, la probabilité d’obtenir un emploi augmentait s’il avait une femme accommodante, une sœur indulgente ou, mieux encore, une fillette obéissante.
Tout ceci pour vous dire que ces Haïtiennes qui sont montées dans les chambres des employés d’OXFAM Grande-Bretagne ne sont pas des salopes, ni des putains encore moins des prostituées. Alors qui sont-elles? Tenez-vous bien!
Lors de la 59e session des Nations-Unies, a été déposé le document numéroté A/59/710 qui qualifie le Sexe de survie comme un rapport non-consensuel. Dans ces cas-là, conclut l’ONU, le choix de donner son corps est strictement poussé par le désespoir et non pas par le vice, l’immoralité ou une quelconque dépendance.
L’Assemblée générale de l’ONU est catégorique. Elle avance que dans les faits et sans l’ombre d’un doute, ce qui est observé dans les missions humanitaires doit être qualifié de viols déguisés en prostitution. Et voilà.
Quand des parents sont contraints d’offrir leurs fillettes à des pédophiles contre une platée de riz ou un emploi, c’est parce que face à eux, il y a un criminel qui a le pouvoir d’exiger que l’autre s’abaisse et s’avilisse.
Quand une femme haïtienne est condamnée à monter à la chambre d’un charognard pour se plier à ses caprices contre une jobine, elle ne se prostitue pas. Elle est tyrannisée, ligotée, bâillonnée et contrainte d’accepter de s’en faire mettre plein le baba.
Le recours aux services sexuels, les agressions sexuelles, les viols, les viols collectifs et les cas de pédophilie commis par des travailleurs humanitaires sont largement documentés. Ces crimes font partie de la culture de l’industrie de l’aide internationale. Cette culture est tellement bien implantée qu’elle est cautionnée par le silence complice et par une outrageuse impunité.
Puisque je ne finirai jamais de le répéter, de 2000 à 2005, j’étais régulièrement en Haïti pour superviser l’implantation du YMCA. J’ai écrit dans Au nom du peuple et du fric et du sain d’esprit, que j’ai vu des employés de l’ONU et de nombreuses ONG, s’arrêter à Pétionville à la fin de leur journée de travail pour ramasser, dans leur Nissan Patrol blanche, des prostituées mineures.  Le lendemain matin, ils les balançaient sans gêne et sans scrupule, avant de rentrer au bureau.
À plus tard mon bébé… Si j’ai vu, tout le monde a vu.
En 2008 j’étais Directeur général de Action contre la faim Canada. C’est à ce titre que je me suis retrouvé à Conakry. À mon retour, j’ai raconté que les travailleurs humanitaires, toutes ONG confondues, vivaient en apartheid et méprisaient les Nationaux. Le soir, ils se retiraient dans leurs quartiers cossus, le plus loin possible des Africains.
Mais, dans leurs résidences, leurs hôtels et leurs boites de nuit, pour alimenter leurs bamboulas, n’étaient admises que les plus belles et les plus aguichantes Guinéennes.
On se voit au bureau demain ma chérie… Si je l’ai constaté, d’autres peuvent le corroborer.
Justement, le cas d’OXFAM Grande-Bretagne n’a rien de singulier, rien de surprenant. Je l’ai expliqué dans Ferme les yeux, ouvre la bouche, avale. Dans ce merdier, les prostituées, les vraies, sont ceux qui se font complices par leur silence. Les putains sont ceux qui font semblant de ne rien voir pour ne rien avoir à raconter.
Si Penny Lawrence a démissionné, c’est parce qu’elle reconnait que OXFAM Grande-Bretagne a organisé en Haïti des expéditions de violeurs humanitaires qui ont profité d’un rapport de dépendance situationnelle pour, paradoxalement, pousser vers les bas-fonds de la misère abjecte, des femmes et des fillettes que l’ONG avait promis de sauver.
C’est bien ça. Effet pervers de la présence de pervers dans l’industrie de l’aide internationale, les femmes et les fillettes sont utilisées comme butins pour satisfaire les bas instincts de ces vauriens.
C’est bien de ça qu’il s’agit. Les Haïtiennes qui se sont retrouvées dans les résidences et les chambres d’hôtel des employés d’OXFAM Grande-Bretagne ont été forcées de le faire, forcées de passer à l’étage pour être violées.

Puisque l’inutilité et les effets néfastes de l’aide internationale ont largement été démontrés, puisque cette aide n’a permis de sortir aucun pays de la pauvreté et même si c’était le cas… pour nos sœurs, pour nos frères, pour le pays, pour la patrie, il serait plus que temps que Haïti se débarrasse de ces bambocheurs humanitaires, de ces massacreurs de la dignité humaine et de ces cambrioleurs d’enfance.

Par :Frédéric Boisrond

Wednesday, February 21, 2018

Le Marché Hyppolite en Feu: Apocalypse Again


Par Branly Ogé,






Port-au-Prince, le 17 février 2018

Je ne sais pas si Edvard Munch (1863-1944), le grand peintre et graveur norvégien, a jamais visité Haïti. Et je doute fort qu'il ait  pu être un tant soit peu inspiré par le vécu haïtien. Cependant, je suis convaincu que les deux principaux thèmes de son œuvre, l'angoisse et la difficulté de vivre, traduisent, à la perfection, notre réalité quotidienne. 

De toute évidence, la condition humaine est partout la même et, par-delà le temps, par-delà les frontières, elle semble quasi immuable. Elle vit les mêmes drames, elle traduit les mêmes émotions, les mêmes sentiments. En outre, elle reproduit les mêmes expressions artistiques à un point tel qu'on se demande parfois si la représentation artistique ne transpose pas le drame contemporain et nos travers quotidiens.  Ou si l'expression dramatique de nos émotions et de nos sentiments ne serait pas, de préférence, une pâle imitation de la création artistique. En témoignent les images de détresse engendrées par le sinistre qui a ravagé partiellement le Marché HyppoliteMarché, images commentées plus loin et qui rappellent étrangement les œuvre de Munch, Picasso, Dali et d'autres artistes expressionnistes et surréalistes.

Mardi, 13 février 2018, deuxième journée de carnaval. La nouvelle est tombée tel un couperet. « Mache Anba pran dife , yo met dife nan mache Anfe, yo boule Mache Hyppolite »1.

Sitôt informé par Jordan et Chancelie que ce joyau de notre patrimoine culturel a été la proie des flammes, ma réaction spontanée a été de repousser notre penchant à colporter rumeurs et accusations.

« A ce stade", leur dis-je,  il n'est que d'attendre. On ne peut ni affirmer l'origine criminelle de cet incendie, ni soutenir qu'il n'est pas accidentel. »  Seule une enquête permettra d'établir la vérité. Néanmoins, ce qui est certain, c'est que les pertes sont énormes ; et beaucoup de petites gens sont sinistrées.

Dans la demi-heure qui suit, la nouvelle se confirma, et les informations affluèrent de toutes parts. Des amis m'envoient, via les réseaux sociaux, des dépêches et des images poignantes soulignant l'ampleur de cette énième catastrophe venue frapper notre capitale tant de fois meurtrie, si souvent endolorie,  et sa population qui évolue  dans l’univers kafkaïen qu'est devenue notre chère Port-au-Prince. 

Le Cri (toile d'E.Munch)
Ici et là, la douleur, l'angoisse et le désespoir se lisent sur les visages et les expressions capturées par des photographes anonymes.


Sur une photo, sublime évocation de la variante féminine, de la mouture haïtienne du Cri, célèbre toile d'Edvard Munch, se remarque une femme chaussée d'une casquette, la tête tournée vers le ciel et poussant un immense cri d'angoisse et de désespoir.

Sur une autre photo, on y voit, comme dans une fresque d’El Greco, un homme qui, sous le regard médusé, choqué ou attristé de curieux présents sur le lieu du drame, console, réconforte deux femmes unies dans la douleur, deux sinistrées, unies dans une même détresse. Debout, les mains posées sur les épaules de ces deux femmes visiblement transfigurées par le désespoir, ce Samaritain apparaît à la fois  impuissant et majestueux à nos yeux et dans le viseur de l’appareil photo.

Et cette image poignante est devenue, comme sous la palette d’un Salvador Dali, une métamorphose du Christ Rédempteur qui trône majestueusement sur la baie de Rio de Janeiro.

La 3e  photo nous montre une femme inconsolable, cambrée vers l'arrière et soutenue par des amis, les bras levés vers le ciel et implorant un secours qui ne viendra pas.

Sur d'autres photos, on voit aussi brûler, tels d'immenses feux grégeois, certains pans de ce fleuron de notre patrimoine culturel et affectif.  Sur aucune des photos reçues, (images prises pendant et après ce sinistre), je n'ai remarqué des membres ou représentants du pouvoir central, du Parlement  ou des autorités locales. Je n'insinue point, par-là, qu'ils n'étaient pas présents sur les lieux du drame. Je dis tout simplement qu'ils n'étaient pas visibles sur les photos que j'ai reçues.


Toutefois les photos diffusées instantanément sur la toile présentent les mêmes scènes, reflètent les mêmes sentiments d'angoisse, de désespoir, de désolation, d'impuissance et de tristesse d'une population livrée à elle-même, une population abandonnée par des autorités préoccupées exclusivement, ce jour-là et à cette heure-là, par les festivités du carnaval.

En dépit des dégâts causés par cet incendie, certains faits, certains indices, portent à croire qu'à l'instar de la Nation, la détermination et la résilience des sinistrés leur permettront de surmonter la version haïtienne de « la difficulté de vivre ».  Le premier, c'est la solidarité, c'est l'empathie manifestée dans la foulée de ce sinistre par l'ensemble de nos compatriotes d'ici et de la Diaspora. Et j'appelle de mes vœux un Comité de Soutien destiné à indemniser ces déshérités du sort. 

Le second, et non le moindre, est symbolisé par les mots gravés, en-dessous des deux horloges, sur les deux façades et les quatre tours encore intactes du Marché en Fer. Ces mots : Hyppolite Président d'Haïti 1889  et plus loin Paix, Travail, Union, Progrès.

Et le Marché Hyppolite dans tout ça ! Sera-t-il à court terme reconstruit à l'identique? Je n’en suis pas sûr. Ce n'est indubitablement pas une priorité nationale. On se souviendra que c’est  la DIGICEL qui, au lendemain du tremblement du 12 janvier 2010, avait permis à ce monument de notre patrimoine culturel de renaître de ses décombres.

À présent, l'unique certitude c'est que, l'année prochaine, à pareille heure, de fortes sommes d'argent auront déjà été déboursées pour l'organisation et la tenue des festivités carnavalesques. 

Branly Ogé
Politologue,
Consultant Politique.