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Wednesday, January 3, 2018

Charles Aznavour et les morts vivants d’Haïti

Charles Aznavour, du haut de ses 93 ans, a donné son 2è
concert en Haïti le 29 décembre 2017.                        

Par Max Dorismond

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir… » ! Une satire dans ce style aurait été, peut-être, prononcée avant que les pieds de Charles Aznavour ne touchent le sol d’Haïti. Rien n’est impossible dans ce pays de cocagne où tout est fumisterie et bluff. D’ailleurs, j’imagine, au gré des spéculations, qu’on aurait même demandé à des angelots de jeter des perles de roses sur le passage du célèbre chanteur pour confondre les effluves malodorants s’évaporant des rigoles engorgées. Tout serait déployé pour ne pas troubler la vue de l’invité. La pauvreté récurrente doit être située loin de son regard. Si on pouvait fixer un dôme opaque sur Jalousie, ce serait pour le meilleur des deux mondes. Il faut laisser, au chanteur, l’impression que tout baigne dans l’huile au paradis des nantis quisqueyens qui rament dans le beurre. Ce n’est pas pour rien qu’on l’a exilé dans les hauteurs où les gueux n’auront pas la force de gravir la montagne pour venir exposer leur ventre creux et leurs yeux hagards, rongés par toute la misère du monde.

Charles Aznavour à Tara's (Pétion-Ville) lors du concert
Photo (le Nouvelliste)
Charles Az, le chanteur à la voix rauque qui flirte avec les mots qu’il encapsule pour temporiser les maux de notre existence, fut mon chanteur de prédilection et celle de toute ma génération au temps de notre jeunesse. Son anthologie musicale peut renfermer l’histoire de la terre entière, qu’il colore dans des textes d’une rare lucidité qui décortiquent le quotidien de l’humain. On y trouve des perles indémodables, de la ballade au jazz, du Reggae au Samba, et des chansons sirupeuses à vous arracher une larme. Dans la pièce « Les Caraïbes  », au rythme chaloupé des tropiques, on croit déceler un peu de chez-nous. Le sujet nous entraîne vers le souvenir de la flibuste aux Antilles.

Mais, quand je pense à cette célébrité internationale, ce sont ses chansons engagées, telles que «  Pour toi Arménie », son pays d’origine, victime comme Haïti, d’un séisme en 1989, ou l’insoutenable « Je suis un mort vivant », qui, par leur puissance culpabilisante, semblent nous élever vers la rédemption. Quiconque est conscient des injustices de par le monde, de la sempiternelle lutte pour la liberté, ne peut passer à côté de ces titres qui décoiffent.

La question qui étrangle !
 Le jongleur des mots 
Ce n’est pas la première fois qu’Aznavour visite Haïti. En novembre 1974, il y a de cela 43 ans, invité par Jean-Claude Duvalier, il fut critiqué pour avoir fermé les yeux sur l’état de la situation de l’époque. Il avait soulevé la colère des riches spectateurs pour les avoir royalement ignorés en ne leur adressant pas la parole. Pas un « Bonsoir », pas un « Au revoir ». Il avait respecté son contrat, un point c’est tout. Était-il au courant après coup que c’étaient les rapaces de l’époque qui monnayaient son contrat ? Savait-il que des centaines de billets gratuits étaient distribués aux « Apparatchiks » du pouvoir, aux p’tits amis du régime,  à leurs enfants et à leurs maîtresses ? Ses réponses évasives avaient laissé tout le monde sur leur faim et alimenté la frustration.

Vue partielle des spectateurs à Tara's
(
Une courtoisie du Nouvelliste)
Aujourd’hui, fin 2017, la situation s’est terriblement dégradée. Le voilà encore dans nos murs, chantant les souvenirs des jours heureux pour les vrais chanceux de l’île. Je n’en disconviens point. À chacun sa chance sur cette terre. Nous ne pouvons les envier. Mais qui pouvait empêcher Aznavour de faire un tour dans les bas-fonds de Port-au-Prince, s’il le voulait bien, pour aller voir, de visu, que la misère n’est pas toujours rose au soleil ?

Comme dans sa chanson, «  Je suis un mort vivant », il aurait effectué une simple tournée dans les prisons de la capitale, à l’Hôpital Général de l’Université d’État pour découvrir ces malheureux, ces morts vivants,  « abandonnés de tous » et les entendre décrire une partie de leur calvaire :

On m’a pissé dessus, craché à la figure
Sur mes parties intimes on a mis le courant
Avec les rats crevés je dors dans la raclure
Malade et décharné je suis un mort vivant

Je rampe dans mon trou comme un rat sous la terre
Dans la crasse, l’oubli, dans la merde et le sang
Dans ce lieu où jamais un rayon de lumière
Ne caresse ma peau, je suis un mort vivant

Je bois des eaux usées, dieu sait ce que je mange
Revêtu de haillons, j’ai l’air d’un revenant
Subis des sévices et je vis dans la fange
Mais je sais qui je suis et ce que je défends… (1)

 Je suis un mort vivant - Charles Aznavour

Imagine ! Imagine !
Aznavour accueilli à l'aéroport de Port-au-Prince à son
arrivée par Olivier Martelly, l'un des sponsors du récital.
Charles Aznavour, un monument à lui seul, a connu toutes les facettes de la vie. Des p’tits meublés aux châteaux d’aujourd’hui, rien ne lui est étranger. La vie de bohème, la pénurie, le bonheur, comme le malheur, ont déjà été partie intégrante de son environnement qu’il se fait le devoir d’utiliser pour meubler ses oeuvres. Il ne serait pas insensible à cette vision de l’enfer. On va me conter que ce ne fut pas son mandat ! Je répondrai que l’artiste ou le poète ne dépend de personne, sauf de sa conscience. Il est un électron libre. Qu’on me répète, de préférence, que ses hôtes, ses promoteurs égoïstes n’en ont cure de la misère des gueux, qu’ils perçoivent comme une goutte d’eau de plus dans l’océan de l’indifférence. Ils n’avaient nul intérêt à exposer cette réalité au chanteur. Ce serait se tirer dans les pattes.

Inviter seulement Aznavour à visiter Port-au-Prince serait vraiment une idée moralement payante pour les laissés pour compte qui verraient en cette célébrité, une main secourable venue les aider à recoller les morceaux de leur âme brisée.  Comme le Pape Jean-Paul II, en mars 1989, il aurait fouetté la torpeur de ces déshérités de l’espoir, réveillé les sens atrophiés de ces zombis de la vie en déclarant, aussi, à la vue des vrais morts vivants de sa chanson, que « quelque chose devrait changer dans ce pays ».

La pauvreté - un effet collatéral de la corruption
Les pauvres n’ont jamais fait le choix de végéter au fonds du baril de la déchéance. Ils s’y trouvent par dépit. Ils rêvent tous de jours meilleurs. Duvalier, au début de son ère, avait construit un aéroport pour se débarrasser du colis encombrant des mal foutus d’autrefois, s’il ne les fusillait pas. Aujourd’hui, leur indigence détonne dans le décor, on les détourne vers le Brésil, le Chili. Mais, le jour n’est pas loin, où ces affamés vont retourner leurs chemises à l’envers pour demander des comptes à ces éternels prédateurs qui s’accaparent sans vergogne du bien collectif.   Avec l’instinct du tueur, ces négligés de la vie, ces morts vivants, prendront leur revanche, le moment venu. Et alors, l’île se verra au carrefour d’un choix : soit nous serons tous heureux collectivement, soit nous crèverons tous ensemble. Ce sera à pile ou face. Car, la parodie a assez duré : Haïti demeure une comédie pour les riches, une tragédie pour les pauvres.

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Max Dorismond 
Mx20005@yahoo.ca





Note (1): Partie du texte extrait de la chanson  « Je suis un mort vivant »   de C. Aznavour 

1 comment:

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