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Sunday, February 7, 2016

« Le carnaval dure trois jours, la renommée de Liliane est pour l’éternité »


Liliane Pierre-Paul
Parce que le président de la République a osé s’en prendre à elle dans sa méringue carnavalesque en des termes à connotation sexuelle, un vibrant hommage a été rendu vendredi à la journaliste Liliane Pierre Paul, pour dire non à l’inacceptable, la vulgarité, l’insulte, l’inculture, oui à l’intelligence et à la dignité humaine, sous les yeux de patrons de médias, d’artistes, de politiques, de militants des droits humains…

L’ambiance est lourde dans la salle Catteleya de Karibe. Salves d’applaudissements. Le générique de son emblématique édition de nouvelles frédonnée. Emotions. Réminiscences. Robe marron, la tête nouée d'un foulard vert, Liliane, fidèle à son style, s’amène derrière le pupitre. Elle cherche le mot juste, elle qui s’est pourtant attelée sans succès à éluder tout ce concert de louanges, toutes ces apothéoses. Entre des « sentiments confus » et l’envie de dire un merci à la hauteur des hommages, la journaliste, icône de la presse haïtienne, glisse : « C’est du baume sur mon cœur endolori ! » Réapplaudissements nourris. Sourires. Ambiance plombée. Liliane Pierre Paul se lâche. Elle parle de ses expériences, de son vécu, comme un retour aux sources.

Liliane très émue pendant que Jean Jean Roosevelt lui
 chante la chanson qu'il a composée pour elle.              
« Je partage ce moment avec mon confrère Jean Monard Métellus », dit Liliane, soulignant que Jean Monard et lui viennent de vivre cinq ans de martyre sous le régime Tèt Kale. Et voilà, enchaîne-t-elle, pour boucler la boucle, il s’en prend à nous via son « carnaval fatras ». « Ça a une signification et la population réagit ». Justement, dans la méringue carnavalesque de Michel Martelly, chanteur de Sweet Micky et président, celui-ci s’attaque à la journaliste en des termes à connotation sexuelle. Liliane parle d’« une agression sans nom de la part du plus puissant de la République avec les moyens de l’Etat ». Le public retient son souffle. Elle fait des clins d’œil à feu Jean Léopold Dominique, son ancien patron de Radio Haïti Inter, celui qui lui a montré la voie dans le métier de journaliste vers les années 70-75.

Bien avant que Liliane ne revienne sur ses débuts, ses combats pour la démocratie, la liberté d’expression, Jean Jean Roosevelt, qui s’est fendu en début de semaine d’une chanson en son honneur, a chanté pour elle, sous ses yeux émus. Le phrasé de JeanJean a enveloppé la salle. L’assistance est émue. JeanJean chante, le sanglot dans la voix : « Reste debout, n’abandonne pas, ne change pas surtout… » On fredonne. On répète avec lui cet air qui cartonne sur la Toile. Liliane est émue. Des filets de larmes coulent sur ses joues. Ils s’embrassent. S'ensuivent encore des émotions...

Magalie Comeau Denis, ancienne ministre de la Culture, y est allée, elle, de ses mots, de sa verve.« Liliane resplendit. Elle est belle. Elle est belle de son engagement, de son indocilité, de ses combats pour la liberté, de son amour pour Haïti […] », a insisté Magalie Comeau Denis avec une force de caractère qui n’a d’équivalent qu’elle-même. A ses yeux, Liliane est « une femme dont la vie entière est dédiée à chasser les ténèbres ». « Droiture, sens de l’éthique, intégrité, tête haute. Alors elle fait peur, elle inquiète. Parce qu’elle est mue par ses convictions, elle ne peut être que porteuse de victoire », affirme-t-elle, avant de rappeler que « rendre cet hommage à Liliane c’est aussi célébrer les acquis démocratiques pour lesquels elle a payé d’elle-même ». Elle croit que Liliane est une résistante, une amoureuse de la liberté et ennemie du silence, qui a risqué sa vie et celle de sa famille.

Très en colère contre cette méringue qui, bizarrement, cartonne sur la Toile, Magalie Comeau Denis ne fait pas dans les détails, dans l’à-peu-près. « Ceux qui cultivent la haine, l’insulte, la vulgarité, la souillure ne sont que de pauvres esclaves impuissants, prisonniers de leurs passions tristes, totalement impuissants, entièrement dominés par des forces qui naissent de l’ignorance, de la misère, de l’inculture […] », assène-t-elle, avec emphase. Et d’ajouter : « Que peut un carnaval fatras ? Que retiendra l’histoire de son auteur ? Qu’en raconteront les livres aux enfants de ses enfants ? » Elle est applaudie. Silence. Comme une déclaration, une marque de révérence à Liliane, elle rajoute à son adresse : « Tu fais partie de ceux et celles qui contribuent à la beauté du monde… Quelle femme forte… Quel humanisme. »

Un artiste remettant à Liliane son portrait peint sur toile
(Photo: Le Nouvelliste)
Danielle Magloire, sociologue, militante des droits humains, indique que Liliane, par son souci de contextualiser les nouvelles, est une éducatrice. « Elle est une éducatrice pour les jeunes, pour nous aussi les personnes âgées, avec ses rappels, ses mises en contexte quand elle présente les infos », explique-t-elle, insistant sur le fait que « Lili », malgré l’exil, les turbulences, est un « cap toujours gardé et un engagement non atténué ». Danielle Magloire, elle qui a vécu la dictature dans toute sa férocité et qui en a fait les frais, explique que quand « nous disons Lili, c’est avec beaucoup d’affection, de respect ».

Danielle Magloire, qui estime que le travail de Liliane contribue à améliorer l’image des femmes dans toute la société haïtienne, est persuadée que le « carnaval fatras de Sweet Micky », comme elle l’appelle, ne peut aucunement ternir l’image de Liliane. « Pour ternir l’image de quelqu’un, encore aurait-il fallu en avoir la capacité », soutient-elle avant que Lyonel Trouillot n’en prenne le relais. Clope à portée de main, l’auteur de La belle amour humaine n’est pas du tout verbeux. « Notre Liliane, c’est celle qui a vécu sous les Duvalier. C’est celle qui a risqué sa jeunesse alors qu’elle aurait pu faire autre chose comme d’autres jeunes de sa génération », dit-il de sa voix grave. Liliane, croyant qu’avec ce carnaval le président Martelly s’est donné des « funérailles internationales », regarde. Elle écoute, hoche la tête par moments ; elle qui a pris des risques et voilà qu’aujourd’hui toute la société en bénéficie. 
Jean Jean Roosevelt "RESTE DEBOUT" 
Hommage à Liliane Pierre Paul
Le chroniqueur sportif Patrice Dumont pense que le travail de tous ceux qui s’engagent dans ce pays a un « sens philosophique parce que nous avons à nous battre tout le temps contre l’ « animalité pure ». Philosophe, il a plaidé pour l’émergence d’une autre personne humaine en Haïti. Pour y arriver, il invite à suivre Liliane dans une véritable profession de foi pour que chaque jour, «nou vi n pi moun jan nou te toujou moun nan e pou moun gen 1% moun lakay yo, vin gen 99% moun. » Pour Marvel Dandin, Lilianne est une personne très humble, très réservée, elle ne se sent pas à l’aise avec tout ce concert d’hommages. Il parle de « crime artistique » pour qualifier la méringue de Michel Martelly. Il a plaidé pour un « engagement de tous », pour une autre société. « Si nou pè, nou bannann », dit-il, sous une salve d’applaudissements et de rires.

Liliane Pierre-Paul posant avec Maître Gérard Gougue
(Photo Le Nouvelliste)
Gérard Gourgue, 90 ans, avec son naturel humour, exhibe son amour pour la femme haïtienne. « Je suis indigné et étonné de voir des gens, des néophytes dans la politique, qui ne connaissent pas ce pays, son histoire, qui ne connaissent que le tambour, se permettent d’opiner sur Liliane », s’exclame-t-il. Il croit que la femme haïtienne est une femme de courage, de dignité… « Le carnaval dure trois jours mais la renommée de Liliane dure pour l’éternité », soutient-il avec l’éloquence qu’on lui connaît avant que Liliane ne reçoive des fleurs, des plaques d’honneur et un portrait signé d’un jeune artiste haïtien qui a étalé toute son affection, tout son amour, à la présentatrice vedette de la très populaire édition de nouvelles « jounal 4è » Radio Kiskeya.
Yves Lafortune, l'organisateur de la journée d'hommage
 saluant Liliane Pierre Paul.                                         
Yves Lafortune, lui qui a piloté cette initiative citoyenne, a effleuré la contribution du personnage dans la construction de la démocratie en Haïti. Il a dressé un réquisitoire implacable des maux de notre pays. « Il nous faut retrouver notre dignité. Il nous faut de nouvelles élites », a-t-il dit, s’adressant à Liliane, objet de toutes les amours. Ce vendredi, à Karibe, le dos à la démagogique méringue de Martelly, Liliane est heureuse. Heureuse d’entendre les vers de James Noël, les diatribes de KEB contre le statu quo, bref, heureuse de voir cette brochette de personnalités lui témoigner leurs sympathies. Preuve qu’il y a encore en Haïti une minorité qualitative de gens qui croient dans la dignité, dans les vertus humaines… 

Source: Le Nouvelliste
Juno Jean Baptiste jjeanbaptiste@lenouvelliste.com

Hommage à Liliane Pierre Paul
Havana GuitarNight - partie1 
Poésie en background ( Jean L. Dominique )

Hommage à Liliane Pierre Paul
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