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Robert Bobby Denis La mémoire vivante de la musique haïtienne |
Par Hervé Gilbert
Robert Denis, que tous appelaient tendrement Bobby, s’est
éteint le mardi 14 octobre 2025, comme s’achève une chanson au dernier souffle
du vent.
Fondateur d’Audiotek, ce sanctuaire du son où tant de voix haïtiennes ont
trouvé leur timbre éternel, Bobby laisse derrière lui un silence vibrant — un écho
suspendu entre mémoire et mélodie — celui d’un homme qui avait fait de chaque
note une prière et de chaque enregistrement une œuvre d’amour.
Mais Bobby Denis ne fut pas seulement un maître du son.
Président de Canal Bleu et de l’Association nationale des médias haïtiens
(ANMH), il a également marqué de son empreinte le paysage audiovisuel et
médiatique du pays. Par sa vision et son engagement, il a contribué à
professionnaliser la radiodiffusion haïtienne, à défendre la liberté de la
presse et à bâtir des institutions qui donnent voix à la culture et à la
vérité.
Discret mais essentiel, Robert Bobby Denis a façonné
pendant plus d’un demi-siècle la trame sonore de la musique haïtienne. Des
vinyles d’hier aux formats numériques d’aujourd’hui, il fut le témoin,
l’artisan et le passeur d’un patrimoine qui ne s’éteindra pas avec lui.
Il est des hommes qu’on ne voit jamais sur scène, mais
sans qui la musique ne respire pas. Dans l’ombre des projecteurs, ils tissent
le fil invisible qui relie les artistes à l’immortalité. Robert “Bobby” Denis
était de ceux-là — un alchimiste du son, un artisan de l’âme musicale
haïtienne, un maître silencieux dont la disparition laisse dans le milieu
culturel un vide à la fois immense et insonore.
Depuis les années des vinyles et des bandes magnétiques,
Bobby Denis a accompagné la grande aventure du "Konpa Dirèk", enregistrant,
mixant et produisant les voix qui allaient faire danser, rêver et pleurer
plusieurs générations. Il appartenait à cette famille d’ingénieurs du son et de
producteurs qui, sans jamais chercher la lumière, donnaient à chaque note sa
justesse, à chaque instrument sa place, à chaque artiste la possibilité d’être
entendu.
Dans son studio, le temps semblait suspendu. Il y régnait
un mélange de rigueur et de fraternité, de passion et de patience. Bobby Denis
n’enregistrait pas seulement des musiciens : il écoutait des histoires, des
âmes, des fragments de vie qu’il transformait en musique. Sa console devenait
une scène intime où se rejouait, encore et encore, le dialogue entre tradition
et modernité.
Son oreille, d’une précision presque légendaire, était sa
signature. Elle lui permettait de déceler, derrière une voix ou un accord, la
vérité émotionnelle qui fait la grandeur d’un morceau. Il savait que la musique
haïtienne, pour toucher le monde, devait d’abord être sincère, enracinée,
vibrante de cette humanité que seul un peuple blessé mais debout peut exprimer.
Au fil des décennies, il a vu défiler les modes, les
succès, les départs. Mais jamais il n’a cédé à la facilité. Fidèle à son
exigence, il rappelait aux jeunes artistes que la technique sans l’âme n’est
que bruit. Aujourd’hui, le milieu musical pleure un mentor, un ami, un repère. Ceux qui
ont eu la chance de travailler avec lui évoquent un homme calme, généreux,
rigoureux, dont la passion avait quelque chose de sacré.
Robert Bobby Denis s’en est allé, mais son empreinte
demeure dans les sillons de nos disques, dans les mémoires sonores du pays,
dans le cœur vibrant d’Haïti. Et tandis que ses mélodies continuent de voyager dans le temps, une question
demeure suspendue, comme un dernier écho dans le silence du studio :qui, demain, saura encore écouter le son… avec l’oreille du cœur ?
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Hervé Gilbert |
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