|
La carte de visite:3 lettres rouges et les clés dorées du paradis |
Par Max Dorismond
En suivant les
révélations du lanceur d’alerte
Pour comprendre, un tout
p’tit peu, la dilapidation des 4,3 milliards de dollars de Chavez, ou des 6,3
milliards de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH),
faisons corps avec les révélations de Bradley Birkenfeld, et replaçons-nous en
Haïti. Le scénario que nous allons élaborer pourrait s’appliquer pour tous les
paradis fiscaux ainsi connus : le Lichtenstein, les Bahamas, le Panama, la
Suisse, les Bermudes, l’Irlande, Singapour etc… Il y en a plus de trente à
travers le monde. Les secrets de la UBS*1 nous servent d’exutoire, simplement,
pour mieux cerner notre descente aux enfers.
Une fois la nouvelle de
cette manne providentielle arrivée aux oreilles des banquiers gloutons de ces
paradis, via les journaux ou leur ambassade ou d’autres contacts claniques, les
vacances en Haïti deviennent une affaire de grand luxe. Ces oiseaux de « bon
augure » (sic) ne lésinent point avec le confort et l’étalage. Le paraître est
un atout dans leur approche pour amadouer les éventuels clients.
Tous frais payés par leur
banque respective, ils voyagent en classe affaire ou en jets privés et
débarquent dans l’île où des anciens clients, déjà dans le circuit, se
chargeront, de leur publicité sournoise et discrète, de les présenter aux
nouveaux maîtres d’influence du moment : ministres, directeurs généraux,
contractants, affairistes néophytes, nouveaux riches, PDG de compagnies de
construction et jusqu’aux hommes du président ou le président lui-même.
Pourquoi surtout les serviteurs de l’État? Ces banquiers savent, selon le mot
de H.L.Mecken, « qu’un bon politicien est aussi impensable qu’un voleur honnête
».
À cette éclectique
galerie, le banquier, gérant de patrimoine, va ouvrir la parade et les inviter,
tous frais payés, à des soirées spéciales données dans les plus chics hôtels de
la capitale, des endroits où l’on s’épanouit dans la douceur de l’entre-soi, où
l’élite économique et politique vient causer entre copains-coquins.
Muni de la carte de
crédit la plus prestigieuse au monde, la « American Express Centurion card*2 »,
mieux connue sous le pseudonyme de « Black Amex », il invite les « amis » et
leurs accompagnateurs, par exemple, à une soirée de dégustation de vin raffiné,
accompagné de p’tites rissoles de volailles et du potage à la Conti sur
croûton, ou bien à un vernissage de peinture d’un des grands maîtres de la cité,
accompagné de vin de grands crûs, tel le « Domaine Leroy Chambertin- Grand cru,
Côte de nuit, France » à 4500,00$ la bouteille, toujours commandités par sa
banque.
À noter que, dans la
valse des milliards, il ne serait pas étonnant de voir un Black Amex entre les
mains de certains thuriféraires haïtiens. La vanité et la manie de se faire
voir, vont les aiguiller à exhiber de pareils bidules.
À ces soirées bien
arrosées, les contacts se multiplient et les cartes de visite avec le logo de
la banque en question sont distribuées à tout vent avec le subtil petit message
oral : « Si vous êtes de passage en Europe ou aux USA, quel que soit l’endroit,
donnez-moi un coup de fil, je passerai vous voir… ». Ces simples mots ne tombent
point dans l’oreille d’un sourd. Car, avoir la carte de visite d’un banquier
suisse entre les mains est déjà un passeport pour conforter certains, mais
aussi, un switch qui allume instantanément des ampoules dans la tête du futur
corrompu. D’ailleurs Voltaire l’avait déjà souligné : « Si vous voyez un
banquier suisse se jeter par la fenêtre, sautez derrière lui: vous pouvez être
sûr il y a quelques profits à prendre*3 ».
Entretemps, le contact
local se chargera de faire le suivi. À propos de cet « ami local »
providentiel, qui ne se trouve pas sur la route par un heureux hasard, il est
habituellement un ancien client du banquier avec des titres honorifiques, tels,
par exemple, « Consul Honoraire » de l’une de ces bourgades perdues de l’Europe
ou de l’Amérique du Sud, ou « VIP Investment, un vrai « bandit légal » à cravate! Des titres pompeux accordés pour mieux faire trotter la valise diplomatique. En
un mot, ce sont des rabatteurs, ou plutôt des « mules » de luxe.
Confortablement assuré
d’un relais étranger, le prospect, en position de s’enrichir, un de ces quatre
matins, décide de rentrer en contact avec le banquier du diable, qui l’assurera
de son service. En fin de compte, il l’invitera en Suisse, pour la première
fois, en vue de lui mettre plein la vue sur le côté sérieux et rassurant de son
institution, qui lui fera signer son premier compte à numéro. Si le montant à
transférer est énorme, un petit dépôt de bonne foi, de 200 000,00$ comme
amorce, fera l’affaire. Une valise diplomatique s’en chargera ou bien un chèque
sur mesure, tiré d’une banque complice de Port-au-Prince, facilitera le premier
déclic. Ensuite, dans un mois, il pourra effectuer des transferts en ligne (par
internet) pour grossir le magot sans aucune limite.
Ne vous étonnez point d’y
trouver des comptes d’Haïtiens dépassant les 50 à 100 millions de dollars et
plus. Le plus bizarre dans ce carnaval de dollars, le client, une fois signé
son premier dépôt, en personne, ne revient jamais en Suisse, pour éviter tout
soupçon. Il devient un adepte de l’internet.
Le fameux compte à numéro
est un piège, dont le client, trop content de déplacer l’argent volé hors du
pays, cherche rarement à comprendre la mécanique. Sur ce compte, la banque ne
remet pas un sou d’intérêt. L’identité du client ne figure nulle part. Seuls un
ordinateur et le banquier signataire retiennent son nom. En tant que
dépositaire, la maison prélève un 3% de commission. Par contre, si le client
donnait comme instruction de placer son argent, un autre 3% serait retenu, en
plus des frais de transaction. Peu importe, le déposant a le solde du compte
pour rêver, « remisé, au loin, sous son matelas étranger en acier ».
Ce n’est pas tout. Le
banquier lui offre le choix de bloquer ses dépôts pour un an ou plus. Si, par
malheur, il a un besoin d’argent pour une quelconque urgence, la banque se
chargera de lui prêter 90% de son propre capital*4, à un taux d’intérêt
attractif, dit-elle. Les 10% resteront dans le compte à titre de garantie. Même
ses retraits en ligne seront cumulés et classés comme prêts.
Le côté macabre de ces
fameux comptes mystérieux se révèle intéressant pour ces corporations lorsque
certains propriétaires décèdent sans révéler l’existence de ces comptes à
numéro à leurs héritiers. Habituellement, ce compte non réclamé devient la propriété
du dépositaire, c’est-à-dire la banque.
C’est ainsi que, 50 ans
après la seconde Grande Guerre, suite à un retentissant procès devant le
tribunal de Brooklyn, à New York, en 1995, le Congrès Juif Mondial avait, en
effet, intenté des poursuites contre les banques suisses pour réclamer la
restitution des sommes des victimes de l’holocauste restées en déshérence (sans
héritier) dans leurs coffres. Après 3 ans de dénégation et une dure bataille,
la Suisse s’est résignée à lâcher dans les goussets des héritiers, survivants
de l’Holocauste, la somme de 1,6 milliard de dollars après de puissantes
pressions*5.
En définitive, et le plus
surprenant, tout le monde joue à ce petit jeu de cache-cache. S’il faut en
croire Birkenfeld, il lui est arrivé un jour de recevoir deux clients italiens
qui voulaient faire un retrait de 100 000 dollars, chacun. Après les
vérifications d’usage et comparaison des indices, sans aucun nom, les Italiens
ont obtenu le feu vert pour le retrait. Après leur départ, le banquier, par curiosité,
muni des indices comparatifs, a vérifié leur dossier pour découvrir que c’était
deux prélats du Vatican*6
Voilà, en gros, comment
l’argent se déplace du point A au point B, sans que personne ne puisse le
déceler. Englouti dans les eaux boueuses de la corruption, il est
presqu’impossible de le remarquer. Sauf la comptabilité des banques du pays
victime peut lui fournir des indices du crime. Les cas de dénonciation à la
Birkenfeld sont extrêmement rares, malgré la somme astronomique qui lui a été
payée pour services rendus à l’Amérique. Car, ces établissements sont bien
protégés.
Encore, la complexité de
leur complicité est tellement perfectionnée, que les peanuts qu’ils vont payer
à titre de pénalité ne représentent qu’une goutte d’eau sur le dos d’un canard.
Les meilleurs avocats du monde sont à leur solde. Le système financier
international favorise intrinsèquement la criminalité par son opacité et sa
dérégulation. Les gouvernements victimes seront toujours complices pour laisser
le système évoluer dans toute sa splendeur. Ils pataugent tous dans un
capitalisme de connivence.
En effet, selon la Banque
Mondiale, les fonds volés à leur propre pays par les dictateurs et leurs
complices représentent entre 20 et 40 milliards de dollars par an*7. Juste à titre
d’exemple, malgré la bonne volonté et l’initiative du "Stolen Assets
Recovery (STAR)", (Recouvrement des Avoirs volés), bras armé de l’ONU et de la
Banque Mondiale pour combattre la corruption, personne n’a réussi à entamer une
procédure pénale pour obtenir de la Suisse la restitution des 7 petits millions
de dollars restants et gelés sur les comptes de la famille Duvalier. Allez voir
pour les milliards de Chavez.
Ce qui
prouve que l’ancien député helvétique, Jean Ziegler, avait raison d’écrire que
: « La Suisse lave plus blanc ». Son matelas d’acier est trop lourd pour aller
voir en dessous.
1
- UBS est une société de services
financiers dont les sièges sont à Zurich et à Bâle,
en Suisse C'est la plus grande banque
de gestion de fortune dans le
monde, avec 68000 employés et des actifs financiers investis de 3 607 milliards de
francs suisses en 2019. Ses activités principales sont les activités de banque
privée, banque d’investissement et de gestion de fortune.
2
– La « Black Amex » ne se demande pas. La compagnie (AE) l’offre au
mérite, en rapport à la
pertinence de votre fortune. Le plus grand
achat connu effectué avec la carte Centurion,(Black
Amex) est le tableau « Nu couché »
d'Amedeo Modigliani, que l'homme d'affaires Liu Yiqian a
acheté pour 170 405 000,00 dollars
US lors d'une vente aux enchères de Christie's à New-
York en 2015. Toutefois, il n’y en a pas
beaucoup en circulation. À peine un millier.
3
– Src. : Le journal Challenge’s - 30 Oct.2015
4
– Src. : « Le banquier de lucifer » de Bradley C. Birkenfeld - page
83
5
– Src. : Journal Belge : « Le Soir » 14 Août 1998.
6
– Src. : « Idem - page 62
7
– Src. : le journal Le Monde de Juin 2010