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Saturday, March 7, 2020

Hommage aux héroïnes oubliées de la guerre de l’Indépendance (Part 1)

Pour célébrer la Journée internationale de la femme

PAR Eddy Cavé eddycave@hotmail.com





La Journée internationale de la femme est pour moi l’occasion de sortir des oubliettes de notre histoire douze femmes hors du commun qui ont, par leur courage et leur ténacité exemplaires, contribué à modifier le cours de notre histoire. L’occasion, aussi et surtout, de rendre hommage à ces héroïnes de la guerre de l’Indépendance que le sexisme a presque  effacées de la mémoire collective.

Je limiterai cet hommage à des extraits de mon prochain livre intitulé Autour de la signature de l’Acte d’indépendance d’Haïti. À l’origine, ce livre devait porter sur la fin tragique des principaux signataires de ce document, mais, en prenant plus intensément conscience de certaines tares de notre société, dont le sexisme et les réflexes d’exclusion en général, j’ai décidé d’en élargir le cadre. C’est ainsi que j’y ai ajouté la section « À bas le sexisme, vive nos héroïnes » d’où j’ai tiré ces extraits.

1.      Zabeth, l’esclave rebelle inconnue
Le professeur Roger Petit-Frère décrit Zabeth comme « une esclave marronne irréductible, qu’on fouette et torture après une première fuite en marronnage, à qui on coupe une première oreille après sa seconde sortie et qui repart encore, à qui on coupe cette fois un bras quand elle est reprise à sa troisième fuite et qui récidive en repartant quand même une quatrième fois pour se voir couper finalement un jarret. »

Pour le professeur Charles-André Julien, Zabeth est « le cas individuel extrême de refus instinctif et indomptable de l’esclavage colonial, un cas d’insoumission native…»

2.      Victoria Montou, dite Toya, morte en 1805
Victoria Montou, morte en 1805
Connue sous le nom de Tante Toya dans le milieu des dépositaires de la tradition orale haïtienne, le nom Victoria Montou figure rarement dans les écrits des historiens traditionnels. Toya serait née au Dahomey où elle portait le nom d'Adbaraya Toya. C’est en arrivant à Saint-Domingue qu’elle a reçu celui de Toya Montou.

 Les historiens et documentalistes contemporains s’accordent pour dire que Toya était la mère adoptive de Dessalines et qu’elle a joué un rôle capital dans sa formation générale et son orientation militaire.  C’est elle qui lui aurait appris à manier le couteau, le sabre et le fusil. Quand, en juin 1805, Toya  tombe malade, Dessalines dira au médecin appelé à son chevet : « Cette femme est ma tante, soignez-la comme vous m'auriez soigné moi-même. »

 Le jour de la mort de Toya, Dessalines confie à sa femme : « Victoria est morte ! Je n’ai maintenant que vous, vous seule près de moi, ma chère Claire ». L’héroïne a eu droit à des funérailles nationales, et sa dépouille sera suivie de huit grenadiers et de l’impératrice Marie-Claire Heureuse.  
                               
Sanite Bélair (1781-1802)
Sanite Belair
Sanite Bélair était un lieutenant de l’armée de Toussaint Louverture, mais elle est surtout connue comme l’épouse du général Charles Bélair, neveu de Toussaint. Elle apparaît ainsi  comme une victime du sexisme de notre société et de la jalousie des généraux créoles qui enviaient leur sort. L’historien J.-C. Dorsainvil est allé jusqu’à affirmer que c’est elle qui, par ambition, a poussé son mari à la sédition.

Jusque dans la mort, Sanite Bélair sera victime du sexisme. La commission militaire qui écouta l’accusation portée contre le couple condamna Charles à être fusillé, Sanite à être décapité. Au moment de l’exécution, elle exhorta son mari en mourir en brave et refusa qu’on lui bande les yeux. S’opposant de toutes ses forces à ce que les bourreaux placent son cou sous la guillotine, Sanite obligea le commandant du peloton d’exécution à la faire fusiller elle aussi. Sa participation aux combats et le courage qu’elle a manifesté devant ses bourreaux et le peloton d’exécution  font d’elle une des plus grandes héroïnes de notre histoire.

4.      Euphémie Daguilh 
S’il fallait un seul exemple pour illustrer le sexisme avec lequel nos historiens traitent les femmes de cette époque, ce pourrait être celui d’Euphémie Daguilh. Présentée comme une concubine de Dessalines qui coûtait très cher à l’État, Euphémie Daguilh a plutôt été, dès le début de sa relation avec l’empereur, une sorte de garde-malade qui passa des nuits entières à son chevet durant une maladie survenue aux Cayes. Selon Guerdy Préval, il s’est développé par la suite,  entre les deux, une relation amoureuse qui a emmenée Euphémie Daguilh jusqu’aux portes de Santo Domingo avec l’Empereur durant la campagne de l’Est. On la verra alors soigner les blessés avec une compassion et un dévouement remarquables.

Si les apôtres de Jésus ont pu faire passer Marie Madeleine pour une ancienne prostituée jusqu’à ce que le Pape Jean-Paul II intervienne en personne, en 1969,  pour corriger les faits, il n’y a pas lieu de s’étonner de la sévérité des jugements formulés sur Euphémie.

5)      Marguerite Pageot 
 Connue sous le nom de Madame Pageot, Marguerite Pageot est la femme qui, au péril de sa vie, a évité à Dessalines le sort de Toussaint Louverture en octobre 1802. Madame Pageot était, alors la servante de l’abbé Videau, attaché à la paroisse de la Petite-Rivière de l’Artibonite. La tête du Général Dessalines avait été mise à prix et, de concert avec cet abbé, l’adjudant général Huin l’invita à déjeuner au presbytère pour l’emprisonner. Le scénario de l’arrestation projetée était identique à celui de l’arrestation de Toussaint par le général Brunet.

Ignorant tout du danger qui le guette, Dessalines se rend au rendez-vous et s’apprête à se mettre à table avec ses hôtes. Mais la servante qui a entendu toutes les conversations décide de lui sauveur la vie. Et la voilà qui, à force de signes et de regards chargés de sens, fait comprendre à Dessalines qu’il va être arrêté.

Dessalines se tourne alors brusquement, prétend avoir vu une fumée  dans la montagne, saute sur son cheval et se sauve. Se voyant perdu, il répond à l’invitation de Pétion et passe dans le camp de l’insurrection. C’est ainsi qu’il s’engagera à fond avec ce dernier dans la création de l’Armée indigène et  la guerre de l’Indépendance.

6)      Marie Claire-Heureuse Félicité Bonheur (1758-1858) 
Si, à la différence des héroïnes dont nous venons de parler, le nom Claire Heureuse est connu de toutes et de tous, cela ne tient ni à un rôle de combattant, ni à celui d’impératrice. Claire Heureuse est surtout connue comme une femme de cœur dont la grande sensibilité à la souffrance humaine a fait, selon le mot de Thomas Madiou, « la première infirmière connue de l’histoire.» Voici comment cet historien relate la présence de Claire-Heureuse au siège de Léogane en 1803 :

« Claire-Heureuse  tira de l'angoisse, de la mort, des centaines de vieillards, de femmes et d'enfants. Elle alluma le feu sous des trépieds improvisés, éplucha les légumes elle-même..., on la vit déballer des caisses de médicaments et panser, avec l'aide de ses amies de Léogane, de nombreux blessés de guerre ». 

À la mort de Dessalines,  Christophe et Pétion ne firent absolument rien pour aider l’ancienne impératrice à subvenir à ses besoins. Après l’annulation, par le Sénat en 1807, des contrats de fermage passés entre l’État haïtien et l’empereur, Claire Heureuse sombra dans la gêne. C’est seulement après la révolution de 1843 qu’elle reçut une pension de 100 gourdes par mois. Elle  vécut donc, jusqu’à son décès, de la générosité des âmes charitables de son entourage.

7. Marie-Jeanne Lamartinière 
Marie-Jeanne était  l’épouse de l’officier mulâtre et chef de brigade Lamartinière avec qui elle a laissé des souvenirs impérissables à la Crête-à-Pierrot. Durant le siège de cette place, qui a duré du 17 février au 24 mars 1802, elle a joué un rôle comparable à celui que Sanite Bélair aura dans son sillage aux côtés du général Charles Bélair.  Au sujet de sa participation aux opérations de défense du fort assiégé, Madiou a écrit sur elles ces paragraphes qui ne cessent de provoquer l’admiration :

« À la fois, lavandière, colporteuse, soldate et aide de camp de son mari, le chef de brigade Lamartinière, Marie-Jeanne « venait affronter la mort sur les remparts. Une ceinture d’acier, à laquelle était suspendu un sabre, entourait sa taille. Sous la pluie des projectiles, elle allait d’un bout à̀ l’autre des remparts, tantôt distribuant des cartouches, tantôt aidant à̀ charger les canons et encourageant les combattants de la voix. Et lorsque l’action devenait plus vive, crânement elle se précipitait au premier rang des soldats et jouait de la carabine avec un entrain endiablé.»

Sa mémoire a été vilipendée à partir de 1957 quand le candidat à la présidence François Duvalier s’est mis à appeler des Marie-Jeanne les plus enthousiastes de ses partisanes. Heureusement que, par la suite,  la population préféra appeler des fiyèt lalo les miliciennes en gros bleu qui la terrorisaient.

8) Catherine Flon
Chaque année, le nom de Catherine Flon est sur toutes les lèvres quand vient le temps de célébrer la création du Drapeau, puis il retombe dans l’oubli.  À part quelques articles de journaux et les beaux discours de circonstance des personnalités politiques du jour, personne ou presque ne parle vraiment du personnage. On se contente de souligner l’importance du geste qu’elle a posé en confectionnant le premier drapeau du pays. Qui était-elle? Qu’est-ce qu’elle a fait d’autre par la suite? De quoi et comment a-t- elle vécu? C’est bien triste à dire à dire. Cela intéresse très peu de gens,

Dans ses enquêtes  de terrain, le documentaliste Jacques René a eu la confirmation que Catherine Flon était la filleule de Dessalines et de la prêtresse Grann Gitonn. Elle était une modeste couturière et vivait dans le quartier défavorisé de Nan Mérotte où la famille existe encore. On ne connaît ni les dates de sa naissance et de sa mort ni le lieu de sa sépulture. Jacques René a pourtant retrouvé au cimetière de l’Arcahaïe le tombeau de Jacques Flon, frère de Catherine Flon.

Eddy Cavé eddycave@hotmail.com


1 comment:

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