Juan Guaido salue ses partisans lors d'un rassemblement contre le gouvernement du président vénézuélien Nicolas Maduro, à Caracas, le 23 janvier 2019. |
La crise politique vénézuélienne, où
deux présidents se disputent désormais la légitimité du pouvoir, se propage au
sein de la communauté internationale. Alors que la majorité des pays
occidentaux, dont les États-Unis, le Canada et ceux de l'Union européenne (UE),
ont rapidement reconnu le président autoproclamé Juan Guaido, d'autres pays,
comme la Russie et la Chine, appuient le président en exercice Nicolas Maduro.
La crise a pris une tournure
internationale mercredi lorsque le président de l’Assemblée nationale
vénézuélienne, Juan Guaido, s’est déclaré
président par intérim du pays à la place du socialiste Nicolas Maduro
devant des dizaines de milliers de ses partisans en liesse à Caracas.
Le politicien de 35 ans a ensuite
disparu dans un lieu tenu secret, craignant une arrestation prochaine.
L'opposition considère que le mandat
de Nicolas Maduro, qui dirige le pays depuis la mort d'Hugo Chavez, est
illégitime, puisqu'il a été élu à la suite d'un scrutin
boycotté par ses adversaires et jugé frauduleux par ces derniers.
C'est le seul moyen de sauver le pays
de la dictature, a soutenu le leader de l'opposition Juan Guaido, défiant ainsi
le président Maduro, dont la réélection est également contestée par la
communauté internationale.
De son côté, le président Maduro a
dénoncé mercredi un coup d’État de l’opposition et a appelé l'armée à maintenir
« la discipline ». Il a aussi annoncé la rupture des relations
diplomatiques avec les États-Unis et a ordonné à tous les diplomates américains
de quitter le pays dans les 72 heures.
Accusant Washington d'inciter Juan
Guaido à perpétrer ce putsch, il a précisé jeudi devant la Cour suprême que le
Venezuela va fermer son ambassade et tous ses consulats aux États-Unis et
rappeler tout le personnel diplomatique qui y était déployé.
Le vice-président américain Mike Pence
a fait savoir plus tôt dans la journée que Washington n'a pas l'intention
d'obtempérer à l'ordre d'expulsion des diplomates américains, puisqu'il ne
reconnaît plus la légitimité de M. Maduro.
Dans une alerte de sécurité publiée en
fin de journée sur un site du département d'État américain, les États-Unis ont
cependant ordonné le départ du personnel « non essentiel » de leurs missions
diplomatiques au Venezuela.
Les mises en garde de Pompeo
Le secrétaire d’État américain, Mike
Pompeo, a mis en garde M. Maduro contre la tentation de recourir à la force
pour réprimer l’opposition au cours d’une réunion extraordinaire de
l’Organisation des États américains (OEA).
Il a prévenu le « régime illégitime »
de Nicolas Maduro contre « toute décision d'utiliser la violence pour
réprimer la transition démocratique pacifique », demandant aux forces de
sécurité vénézuéliennes de « protéger » Juan Guaido.
« Le temps du débat est terminé.
Le régime de l'ancien président Nicolas Maduro est illégitime. Son régime est
en état de faillite morale, incompétent en matière économique et profondément
corrompu et non démocratique. »
Le secrétaire d’État américain,
Mike Pompeo
M. Pompeo a également demandé à l’OEA
de lui emboîter le pas en reconnaissant M. Guaido comme le président légitime
du Venezuela.
De nombreux pays d’Amérique latine,
dont les voisins du Venezuela, appuient eux aussi ouvertement le geste du
président de l’Assemblée nationale Juan Guaido.
Le Brésil, la Colombie, l'Argentine,
le Paraguay, le Pérou, le Chili, le Guatemala, le Costa Rica, le Honduras et le
Panama réclament tous de nouvelles élections « dans les plus brefs délais,
avec la participation de tous les acteurs politiques et avec les garanties et
les normes internationales nécessaires à un processus démocratique ».
Ces 10 pays demandent également que
soient garantis « le respect de la règle de droit, les droits fondamentaux
de la population et la paix sociale ».
Tous ces pays sont membres, avec le
Canada et le Mexique, du groupe de Lima, dont la prochaine rencontre aura lieu
au Canada, a confirmé jeudi Affaires mondiales Canada.
Le Mexique, la Bolivie et Cuba ont
exprimé leur soutien à Nicolas Maduro. Le ministre mexicain des Affaires
étrangères a toutefois exhorté, ce matin, les deux parties à tenir des
pourparlers afin d’éviter une escalade de la violence.
L'ambassade canadienne fermée
Le personnel diplomatique canadien
demeure en place pour le moment à Caracas, mais l’ambassade est fermée pour la
journée. Les conditions de sécurité sont continuellement réévaluées afin de
décider d’une éventuelle réouverture.
Contrairement au personnel
diplomatique américain, dont le président Maduro a réclamé le départ hier, les
diplomates canadiens ont été épargnés par les mesures de représailles du
gouvernement vénézuélien.
Des créanciers inquiets
Nicolas Maduro lors de la cérémonie d’investiture de son deuxième mandat le 10 janvier dernier à Caracas. |
Moscou et Pékin – les deux
premiers créanciers du Venezuela, ravagé par une crise économique qui a conduit
le pays au seuil de la faillite – ont prévenu les pays occidentaux que le
président Nicolas Maduro demeurait, à leurs yeux, le président légitime du
pays.
La Russie
dénonce « l'usurpation de pouvoir » de l’opposition et
« l'ingérence étrangère » au Venezuela.
Le Kremlin prévient les États-Unis
qu’une intervention militaire – que le président américain n’a pas exclue
dans l’éventualité où le président Maduro écraserait la contestation par la
force – serait « très dangereuse ».
C'est une voie directe vers
l'arbitraire et le bain de sang.
Le ministère russe des Affaires
étrangères
« Nous appelons les hommes
politiques vénézuéliens sains d'esprit, opposés au gouvernement légitime de
Nicolas Maduro, à ne pas devenir les pions d'une partie d'échecs
étrangère », poursuit le communiqué du ministère russe des Affaires
étrangères.
De son côté, Pékin appuie
implicitement le président Maduro en se déclarant hostile à toute ingérence
étrangère dans les affaires du Venezuela. La Chine affirme également soutenir
les efforts de Caracas pour préserver son indépendance et sa stabilité.
L’ONU appelle au dialogue
Le secrétaire général de l'ONU,
Antonio Guterres, appelle les Vénézuéliens au « dialogue » afin
d’éviter un « désastre », en marge du Forum économique mondial de
Davos.
« Nous espérons que le dialogue
sera possible pour éviter une escalade menant à un conflit qui serait un
désastre pour la population du pays et pour la région », a dit M. Guterres
au cours d'une entrevue diffusée via Facebook.
« Des gouvernements souverains
ont la possibilité de décider ce qu'ils veulent sur la question de la
légitimité entre les deux présidents vénézuéliens », a dit le chef de
l'ONU.
La mission diplomatique des États-Unis
à l'ONU a officiellement demandé au Conseil de sécurité de tenir une réunion
d'urgence samedi afin de « discuter de la crise en cours au
Venezuela »
Washington doit obtenir l'approbation
de 9 des 15 membres du Conseil pour que cette rencontre se concrétise.
Le chef de l'armée derrière Maduro
Le ministre vénézuélien de la Défense Vladimir Padrino Lopez a réaffirmé la loyauté de l'armée envers le président Nicolas Maduro. |
La déclaration télévisée du ministre
Padrino Lopez, jeudi, constitue une démonstration de soutien militaire à Maduro
face à la reconnaissance internationale obtenue par son opposant, Juan Guaido.
M. Padrino Lopez a déclaré que
d’obscurs intérêts travaillent en marge de la constitution vénézuélienne,
enhardissant ainsi la montée de l'opposition. Il ajoute que ses soldats
seraient indignes de leur uniforme s'ils ne défendaient pas la Constitution. Un groupe de 27 militaires s'est
brièvement soulevé lundi dans une caserne située au nord de Caracas, en lançant
des appels à l'insurrection. Ils ont été arrêtés.
Présidence à deux têtes
L'autoproclamation de M. Guaido, élu
président de l'Assemblée nationale vénézuélienne au début du mois de janvier,
était écrite dans le ciel.
Au lendemain de l'assermentation de
Nicolas Maduro pour un second mandat de six ans, il avait dit être
prêt à remplacer M. Maduro à titre de président du pays, ouvrant la
voie à une nouvelle confrontation entre le pouvoir et l'opposition. Il avait
été brièvement détenudeux jours plus
tard.
M. Guaido avait toutefois prévenu
qu'il lui fallait obtenir l'appui du peuple vénézuélien, de l'armée et de la
communauté internationale pour réussir.
Composée de fidèles du président
Maduro, la Cour suprême du Venezuela a ordonné une enquête pénale contre les
membres de l'Assemblée nationale, en les accusant d'usurper les prérogatives du
président vénézuélien. Dominée par l’opposition, elle a été dépouillée
de tous ses pouvoirs par une Assemblée constituante contrôlée par des
partisans du président Maduro, élu à l’été 2017 au terme d’un vote
discrédité.
Le Venezuela est aujourd'hui un pays
exsangue que ses citoyens
fuient par centaines de milliers, en raison de la situation politique, mais
aussi des conditions économiques désastreuses, marquées par des pénuries de
produits de base.
Cette spirale a été accélérée par
l'effondrement des cours du pétrole, qui compte pour 95 % des revenus du pays.
Selon le Fonds monétaire
international, le PIB du Venezuela a chuté de 18 % l'an dernier et
l'inflation atteindra 10 000 000 % en 2019.
Sources combinées : avec les informations de Radio Canada, Agence France-Presse, Reuters et Associated Press