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Sunday, August 19, 2018

Le Fond Monétaire International (FMI), un pompier-pyromane ? (Part 2)

Une lecture à froid des émeutes du 06 au 08 juillet 2018
            

Par :Michelet Michel                                                            

                                                            Bilans 

Michelet Michel
Après les «golden sixties » des années 1960, la majorité des pays du Sud ont connu pendant la décennie 70 des problèmes économiques importants : dégradation des termes de l’échange, endettement croissant, chocs pétroliers, crise économique, mauvaise gestion et bureaucratie, financement de projets démesurés (les fameux « éléphants blancs »), détournements de fonds, fonctionnaires « prédateurs », instabilité et incuries politiques, affaiblissement progressif du rôle de l’Etat. Quels bilans ? 

En quelques années pendant la décennie 80, la majorité des PVD a dû accepter un PAS, condition sine qua non pour obtenir des liquidités, accéder aux prêts à taux préférentiel de la Banque Mondiale et aux autres prêts sur les marchés internationaux et privés. Ces 30 dernières années, la quasi-totalité des PVD a connu au moins un et souvent plusieurs programmes d’ajustement structurel (PAS) consécutifs. Malgré tout, depuis le début des années 1990, les crises systémiques se sont multipliées et se sont diffusées internationalement : 
       en 1994, tension sur les marchés obligataires ; 
       en décembre 1994 et février 1995, crise mexicaine ; 
       en février 1995, défaillance de la Barings Bank ou Barings ; 
       à l’automne 1997, crise asiatique ; 
       pendant l’été 1998, difficultés financières russes à la suite de la Chute du Mur de Berlin ; 
       de novembre 1998 à janvier 1999, crise brésilienne ; 
       en 2001 et 2002, crise turque et argentine d’une ampleur dramatique…

Dans la plupart des cas l'on a assisté à une sortie de capitaux supérieure à l'entrée de capitaux frais. Ainsi, en 1997, le FMI a prêté 105 milliards de dollars en Asie, 31 milliards en Turquie en 1999, 21 milliards en Argentine en 2001… qui sont immédiatement ressortis du pays en direction de leurs riches créanciers.
Or, nous ne saurions trop le souligner, les PAS imposés par les organismes financiers internationaux (FMI, Banque Mondiale) aux pays du Sud ont pour objet leur intégration dans l’économie du marché mondialisé. 

Cependant, leur application provoque des effets sociaux considérables, fruits du démantèlement des structures économiques locales et de l’affaiblissement de l’Etat. Ces effets se traduisent par une réduction drastique des politiques sociales, sanitaires et éducatives. En l’espèce Haïti, l’unique PMA des Amériques, est un « écolier modèle. ». C’est dans ces conditions d’austérité infligées aux populations les plus fragiles que les révoltes "du pain" éclatent. Pour mémoire, nous croyons judicieux de braquer les projecteurs sur quelques évènements majeurs, des dates-clés qui jalonnent notre histoire récente, ici en Haïti, ou ailleurs en Amériques centrale (Mexique) et du Sud (Brésil), par exemple :
 
       mai 2018, Brésil, pays producteur de pétrole : crise des routiers face à la nouvelle politique de prix pratiquée par l’entreprise publique Petrobras. Dans ce pays émergent (7ème économie mondiale) au sein des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), la démocratie vacille.

       avril 2018, Nicaragua : le Gouvernement du président Daniel Ortega,- père de la révolution sandiniste qui avait pris les rênes du pays le 19 juillet 1979 suite au renversement du dictateur Anastasio Somosa),- présente, sur la recommandation du Fonds Monétaire International (FMI), un projet de réforme du système des retraites qui augmente les cotisations et abaisse en même temps les pensions. Le pays s’embrase ! À date, plus de 280 morts et 2000 blessés, sont comptabilisés...

       06 janvier 2017, Mexique (pourtant pays producteur de pétrole) : émeutes et pillages après une hausse soudaine du prix de l’essence. Les manifestations qui ont dégénéré en scènes de chaos, plongent le pays dans la crise ;

       3 avril 2008, Haïti : « émeutes de la faim » (nous gran gou) sous le gouvernement Préval/Alexis: le mouvement démarre dans la ville des Cayes, puis s’étend rapidement à tout le pays : manifestations violentes, barricades de pneus enflammés, casses, jets de pierre, destructions diverses… Au moins cinq (5) personnes y trouvèrent la mort. Plusieurs centaines de blessés sont enregistrés. Ces manifestations ont été interprétées comme le rejet brutal, inconditionnel et sans compromis possible, la remise en cause intégrale des mesures économiques dictées au Gouvernement haïtien par les Institutions Financières Internationales (IFI) dont le FMI, estimant que celles-ci sont la cause première à avoir provoquer une 3ème augmentation du prix de l’essence en trois (3) mois, et la hausse vertigineuse des prix des denrées/produits alimentaires de base (riz, maïs, pois, sucre).   

Questionnements
Les PAS et leurs conditionnalités ont rencontré/rencontrent de vives critiques. Est-ce que par leurs conséquences sociales et culturelles, les PAS ne représentent pas une menace directe pour la cohésion des sociétés du Sud ? Est-ce que comme l’écrit Eduardo Galeano (in Les veines ouvertes de l’Amérique Latine, Plon, 1981), le « bombardement du Fonds Monétaire International (FMI) » ne contribue pas à faciliter « le débarquement des conquistadores » car il n’attaque pas les vraies causes de l’offre insuffisante de l’appareil de production nationale ? Que le FMI lance ses charges de cavalerie contre les conséquences, écrasant encore plus la maigre capacité du marché interne de consommation dans ces pays d’affamés ? Les témoignages recueillis et différentes études semblent confirmer la réalité de cette menace.

À l’analyse il ressort que pour une grande part ce sont ces mêmes mesures qui, aujourd’hui, sont proposées au Gouvernement et aux populations haïtiennes au risque d’allumer des « feux de forêts » dévastateurs. Dès lors, une question essentielle se pose : le FMI est-il l’opérateur des capitaux en vue de les faire fructifier sur le dos des citoyens ? Alors ? Pompier-pyromane ?

L’avers, l’envers et le revers du consensus de Washington et alliés
Dans le nouveau contexte de globalisation financière, les Institutions Financières Internationales (IFI) sont devenues des instruments contribuant à imposer, souvent avec la complicité tacite ou résignée des États nationaux, des politiques du Consensus de Washington de maîtrise des dépenses publiques et de réduction du rôle de l’État, de privatisations et de libéralisation du commerce, de déréglementation des marchés. En liaison étroite avec les Clubs de Paris et de Londres qui sont des rouages importants de l’ordre financier international, elles se sont muées, au fil des décennies, en des instruments à travers lesquels le capitalisme transnational impose aux pays dépendants et endettés, des préceptes d’organisation que recouvre le terme « ajustement structurel. » Ces politiques sont au cœur des programmes d’ajustement structurel (PAS) du FMI (ATTAC, Que faire du FMI et de la Banque mondial ? Editions Milles et Une Nuit, 2006).

L'action du FMI est aussi fortement dépendante de la volonté politique des gouvernements des pays qui subissent une situation de crise, et ce, à toutes les étapes de son intervention. Le FMI ne peut agir que quand les gouvernements en font la demande. Or, ceux-ci ne font souvent appel à l’institution que lorsque la situation apparaît impossible à maîtriser sans un soutien financier important.  Si d’un point de vue scientifique il est difficile de se forger une opinion objective, il est en tout cas évident que si les PAS ne sont pas les seuls responsables de l’ensemble des problèmes politiques, sociaux et économiques que vivent actuellement la grande majorité des PVD, il n’en demeure pas moins qu’ils constituent l’élément de trop, l’intervention qui provoque l’éclatement de sociétés déjà fragilisées par toute une série d’autres contraintes.

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, de nouvelles versions des programmes d’ajustement structurel des années quatre-vingt ont vu le jour. Aujourd’hui, l’appellation « ajustement structurel » a tendance à passer de mode.  De nouvelles terminologies sont apparues, comme les « Cadres Stratégiques de Lutte contre la Pauvreté » (CLSP). Mais, in fine, les conditionnalités imposées par le FMI et la Banque Mondiale sont toujours présentes et leurs effets sont renforcés par la mondialisation croissante. Or, la mondialisation, dans ses formes actuelles, exacerbe les conflits. Elle affaiblit la régulation publique et la capacité de correction des déséquilibres. Dans un monde globalement de plus en plus riche, la pauvreté augmente. Les inégalités prennent des proportions insoupçonnables. Les discriminations sont la règle. Dès lors, sur quels leviers s’appuyer pour imposer une économie au service des hommes et non du seul profit ? 

Comme le dit un « proverbe » de Wall-Street « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. » Les crises les plus fortes ne sont pas sans fond. Les PAS ont été remis en cause. La Banque mondiale essaye de les adapter. De nos jours, on voit se développer de plus en plus des réponses locales. Ce sont ces alternatives qui allient l’innovation sociale à la prise en compte des richesses culturelles spécifiques à nos sociétés actuellement en crise: banques pour les plus pauvres, nouveau rôle socio-économique de la femme, associations d’intérêt commun, coopératives d’épargne et de crédit (CEC), commerce équitable, économie « verte », etc. En cette espèce particulière, la lutte contre la pauvreté ne saurait remplacer le droit au développement. Il ne s’agit pas seulement de secourir les pauvres mais d’assurer l’accès pour tous aux services de base et à l’égalité des droits. Chez nous, en Haïti, la définition d’un nouveau modèle économique doit être à l’ordre du jour des politiques nationales. Il est souhaitable d’aller vers la création d’un FONDS NATIONAL D’INVESTISSEMENT (FNI) POUR LE DEVELOPPEMENT, chargé de financer les projets les plus urgents et d’approprier les nécessaires transferts de technologie.

Quelle conclusion ?
Dans le contexte socio-politique fragilisé et tourmenté issu des évènements qui se sont produits les 06, 07 et 08 juillet 2018, le Pouvoir exécutif ne doit ni ne peut pas attendre que sonnent les « trompettes sous les Murailles de Jéricho » pour agir, interagir et/ou réagir. La crise actuelle est profonde.  Multiforme. Plurielle. Polymorphique. Elle interpelle l’urgence de prendre certaines décisions stratégiques majeures par la mise en commun de toutes les compétences et de toutes les énergies, collectives et/ou individuelles, dans le but d’assurer la survie des populations et le sauvetage national dans un monde de plus en plus interdépendant et certainement beaucoup plus exigeant.

À bien les interpréter, les émeutes populaires récentes charrient un ras-le-bol massif. Un avertissement clair. Un signal. Ce doit être un déclic. L’occasion pour le Président Jovenel Moïse, ébranlé, « de réviser ses objectifs, de refaire ses devoirs » (Le Nouvelliste, No.40649, Samedi 28 et dimanche 29 juillet 2018). Déjà, le Parlement haïtien, crucifié par la vindicte publique, semble vouloir donner le ton avant d’être submergé. Par la voix de son Président, le « Grand corps » promet de chasser rapidement « les marchands du temple » par une réduction proportionnelle mais significative de certains privilèges économiques et financiers astronomiques, impensables et scandaleux, alors que les trois quarts de la population se noient dans un océan de pauvreté. Coupes budgétaires ? Mise en œuvre des mécanismes affectation/réaffectation des ressources inscrites dans la Loi des Finances (le Budget National)? Poker menteur ? Opération de charme ? Catharsis rituelle, expiatoire et propitiatoire? Paroles incantatoires pour exorciser les stigmates du « quand la nation demande des comptes ? » Quid du Palais national ? De la Primature ? Le Citoyen, vigilant, observe ! Prend note !
Au-delà des effets de mode, une véritable alternative politique est nécessaire pour réduire les inégalités des revenus et des richesses. Le développement durable n’est pas compatible avec le népotisme érigé en système de gouvernement,  les prébendes et la corruption avec comme soubassement la dictature du marché associée à la prédominance des intérêts privés et la domination égoïste des oligarchies. Un nouveau modèle de développement durable dans le long terme ne peut être économiquement efficace que s’il prend en compte les droits sociaux des populations (réduction des inégalités et de la pauvreté de masse, protection sociale, santé, éducation) et s’il respecte les normes écologiques contraignantes pour tous les peuples. Transcendant l’écueil du choix d’un nouveau Premier Ministre après la démission de Monsieur Jack Guy Lafontant, le samedi 14 juillet 2018, les problèmes auxquels le Président Jovenel Moïse fait face sont énormes et très compliqués. Pour les résoudre, il faut être prêt à prendre des mesures impopulaires. Elles ne seront pas toujours faciles, ni toujours agréables. Mais, elles existent. Peut-il réussir dans cette entreprise ? La réponse à cette question nous est fournie par Lee IACCOCA (IACOCCA, La success story d’un géant américain de l’industrrie automobile américaine, Robert Lafont S.A, Paris,1985) : « TOUTE ENTREPRISE EST GLORIEUSE, MÊME DANS L’ÉCHEC. »
Aujourd’hui, la mondialisation, ça ne marche pas. Ça ne marche pas pour les pauvres du monde. Ça ne marche pas pour l’environnement. Ça ne marche pas pour l’économie mondiale (Joseph E. Stigliz, Ibid).  Il faut des politiques de croissance durable, équitable et démocratique. Telle est la raison d’être du développement. Développer, ce n’est pas aider une poignée d’individus à s’enrichir. Développer, c’est transformer la société. Améliorer la vie des pauvres. Donner à chacun une chance de réussir, l’accès aux services de santé et d’éducation. Chez nous, en Haïti, ce développement-là n’aura pas lieu si seules quelques personnes dictent sa politique au pays. En conséquence de quoi, il devient urgent pour nos dirigeants de rejeter les vieilles recettes qui n’ont fait que LAMINER LES CLASSES MOYENNES, EXPLOITER LES PAUVRES, PAYER LES RICHES...



Michelet Michel, M. Sc. 
Gestionnaire Financier


 Date : 30 juillet 2018  


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