Par Eddy Cavé
Ottawa,
le 1er août 2018
Dans la masse des articles et commentaires
diffusés dans les médias depuis l’éclatement de la crise actuelle, il y a sans
doute beaucoup d’inepties et d’idées farfelues, mais il y a aussi et surtout
d’excellentes observations. Les éditoriaux de Frantz Duval et de Roberson
Alphonse par exemple, ainsi que les articles comme ceux d’Erno Renoncourt (« Un
État fossoyeur jusqu'au bout de l'indigence») sont la preuve qu’il y a au
chevet du malade un grand nombre de médecins dont le diagnostic est sûr, mais qui
n’ont aucun pouvoir de décision. Le drame est qu’ils sont comme des voisins
accourus à la nouvelle d’une agonie et qui ont seulement un droit de parole.
À cet égard, le courriel anonyme suivant, que
j’ai reçu récemment en anglais et que je me suis permis de faire traduire, est
un modèle de perspicacité. Dans la brutalité du commentaire et la simplicité du
raisonnement, l’auteur écrit :
« Trop de véhicules qui se déplacent pour
rien. Arrêtez le financement sans mise de fonds qu’offrent de nombreux
concessionnaires automobiles. Trop d'articles de luxe dans ce pays pauvre, ce
qui ne fait qu'augmenter la consommation de carburant et nos importations de pétrole.
[…].
Les Haïtiens veulent s'identifier à la valeur
de leurs véhicules, du linge qu'ils portent, au lieu d'essayer de mettre sur
pied des industries. Bill Gates conduit une voiture américaine et ne la change
pas chaque année. Il est temps pour les Haïtiens d'adopter des comportements
intelligents et de faire travailler leurs méninges. […] Il existe des moyens de
mettre fin à ces absurdités.
Tout le pays paie le prix du comportement des
petits idiots riches qui sont suivis par d'autres stupides à la recherche d'une
identité et d'un statut social inconnus. Nous voulons consommer les marques
chères produites dans le monde, tandis que nous n'avons même pas un emploi. […].
Faisons comme les Chinois, avec notre main
d'œuvre abondante et bon marché et lançons-nous dans les échanges
internationaux. Nous sommes à la porte de certains des plus grands marchés du
monde et, Dieu merci, la Nature nous a pris sous ses ailes. Mais, l'État
central a le devoir de donner le ton. Sinon, le bateau coulera avec nous tous.
Il est grand temps pour nous de prendre nos responsabilités. »
Ces observations faites, l’auteur conclut sur
le ton sentencieux du spécialiste qui parle avec autorité :
« Bloquez pendant un certain temps
l'importation de certains articles non nécessaires comme les véhicules
automobiles et comme le riz [qui entre au pays sous un régime concurrentiel
mortel pour la production locale]. Vous verrez comment le taux de change du
dollar va diminuer ».
La sonnette d’alarme est tirée et elle appelle
à une prise de conscience radicale. Pas moyen d’écarter du revers de la main un
tel diagnostic, pourtant très incomplet.
Malheureusement, les choses sont beaucoup plus compliquées qu’elles ne
paraissent, et les solutions sont sur plusieurs fronts.
D’abord, la bataille
de la gourde est
l’affaire de tous : les autorités monétaires, l’ensemble des secteurs
public et privé, la société civile, les syndicats, les intellectuels, la presse, etc. Ensuite,
elle ne peut être gagnée si l’on ne s’attaque en même temps à la corruption, la
mauvaise gouvernance, l’instrument de propagande que sont devenus les
carnavals, le rara, la diffusion des matches de football, l’utilisation des
postes diplomatiques comme arme de négociation avec les parlementaires ; bref,
la vision la plus malsaine qui soit de l’État-providence.
En outre, il y a tout le volet des politiques
fiscale et budgétaire qu’il faut maîtriser et mettre à contribution dans une
optique de transparence, d’efficience, de
justice sociale. Autant de conditions impossibles à réaliser tant que
persistera la conception haïtienne séculaire de l’État vache à lait,
dispensateur de privilèges allant maintenant de l’octroi de cartes d’appels
téléphoniques à l’accès aux sources de crédit du secteur public (ONA, BNC) en
passant par le trafic d’influence, les franchises d’importation, etc.
Donc, pas de solutions
miracles à un problème de fond bien compris par l’auteur de cette note anonyme.
Dans le passé, la stabilité du taux de
change et le pouvoir d’achat de la gourde ont
contribué à brouiller le paysage de sorte qu’on n’en a jamais discuté sur la
place publique. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit, et le Dr Raulin L.
Cadet a bien résumé le drame en concluant par ces mots un article paru dans Le Nouvelliste du 30 juillet en
cours : « Lorsque la faiblesse de la production et l’instabilité
politique se tiennent la main, il est difficile de stabiliser les
prix. » À quoi j’ajouterais :
« ainsi que le taux de change ».
****
Le taux de change a atteint les 50 % en 2015. |
La disparition de
François Duvalier de la scène politique ayant levé les principaux obstacles à
l’aide internationale au pays, les entrées de devises ont augmenté à partir de
1971, tandis que se produisait le début d’industrialisation que l’on a qualifié
de taïwanisation de l’économie
haïtienne. Et quand la décote de quelques points de pourcentage est apparue au
début des années 1980, les habitudes d’insouciance tranquille des autorités
monétaires (que les spécialistes américains du domaine appellent le « benign neglect »
étaient suffisamment bien enracinées pour que personne ne sonne l’alerte. Plus
grave encore, tous les agents économiques ont participé à la concrétisation du
désastre annoncé. Le taux de change est ainsi passé en douceur de 5 à 70
gourdes pour 1 $ en moins de 40 ans.
( entre 1992 et 2005)
D'autres informations statistiques complémentaires seront mises à jour bientôt
Aujourd’hui que le mal
est consommé, il incombe à chacun d’entre nous d’accepter le fait accompli et
de se serrer la ceinture. L’objectif est maintenant de contrecarrer la
poursuite de la dégringolade de la gourde pour empêcher que ne se réalise dans
un proche avenir la prédiction apocalyptique du taux de change de 100 pour 1.
Eddy Cavé edddynold@gmail.com
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