Il y a juste 60 ans...
Par: Gérard
Férère et Eddy Cavé
CE 12
novembre 2024 rappelle le soixantième anniversaire de l'exécution des héros Marcel
Numa et Milou Drouin dont voici un récit tiré de Armée d’Haïti
après Magloire et Hitlérisme duvaliérien.
Attention : Les images de la vidéo en bas peuvent choquer
Marcel Numa
(gauche) et Louis Milou Drouin (droite ) en attente de eur exécution, le 12 novembre 19l64.
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« Après leur capture, Marcel Numa et Louis
(Milou) Drouin furent conduits à Port-au-Prince, torturés, questionnés, et
fusillés le 12 novembre 1964, en pleine rue, devant le cimetière. Duvalier
exigea la présence des employés de l’État et des secteurs privés ; que les
élèves de toutes les écoles, jardin d’enfants, primaire, secondaire,
universités, soient conduits par leurs professeurs au lieu de l’exécution. Des
orchestres populaires furent forcés de s’y rendre pour jouer de la musique
dansante, des boissons gratuites furent distribuées, et la canaille partisane
célébra la victoire de l’Hitlérisme duvaliérien sur les droits de l’homme, le
respect de la vie humaine et les Commandements de Dieu. On ne détacha les
cadavres des poteaux que plusieurs jours après quand
ils étaient déjà en putréfaction ».
J'ai connu Marcel Numa enfant. Ci-après le "In
Memoriam" que je lui ai consacré dans Armée d'Haïti après Magloire et Hitlérisme duvaliérien:
En souvenir de Marcel Numa, jeune ami que j’ai
connu gamin
sur les quais de Jérémie et pour qui, depuis
lors,
j’avais développé une affection toute
particulière.
Que ton sang versé fertilise le sol d’une meilleure
Haïti!
Soixante ans après la mort de Numa, les larmes me viennent
encore aux yeux quand je pense à lui. Je passe la parole à mon ami Eddy Cavé,
auteur de De Mémoire de
Jérémien qui, lui aussi était un des gamins sur le quai que je me
faisais le plaisir d’accueillir à bord de mon bateau des Garde-Côtes:
A l’époque du cyclone Hazel, en 1954, le port de Jérémie recevait régulièrement la visite d’une frégate des Garde-Côtes qui était commandée par deux jeunes officiers formés au Venezuela, Gérard Férère et Jean-Claude Laporte. Deux hommes d’une ouverture d’esprit extraordinaire qui nous traitaient en jeunes adultes, nous faisaient visiter leur bateau et nous parlaient de navigation sans jamais se lasser.
A l’époque du cyclone Hazel, en 1954, le port de Jérémie recevait régulièrement la visite d’une frégate des Garde-Côtes qui était commandée par deux jeunes officiers formés au Venezuela, Gérard Férère et Jean-Claude Laporte. Deux hommes d’une ouverture d’esprit extraordinaire qui nous traitaient en jeunes adultes, nous faisaient visiter leur bateau et nous parlaient de navigation sans jamais se lasser.
Marcel Numa |
À l’époque, Marcel Numa qui avait
seulement 10 ou 11 ans avait déjà succombé à l’appel du large et visitait
souvent la frégate, bombardant les officiers de questions sur leur métier.
Gérard avait un faible particulier pour lui et l’encouragea, sans doute sans le
savoir, à opter pour ce métier.
En vacances à Miami avec Cécile Philantrope et Harry Loiseau au printemps 2004, nous passons un après midi mémorable chez les époux Nancy et Gérard Férère. Nous parlons de tout et de rien... Gérard avait gardé de cet adolescent turbulent et au regard petillant d'intelligence qu'était Marcel Numa un souvenir mêlé d'émotion et d'admiration. (Cavé 2009:221)
2) Un mot d'Eddy Cavé
Chers amis,
En écho au triste rappel
ci-dessus, diffusé ce matin sur le Net par mon ami Gérard Ferère, je crois de
mon devoir de souligner également le 50e anniversaire de
l’exécution publique des Jérémiens Marcel Numa et de Milou Drouin à
l’entrée du cimetière de Port-au-Prince. Cette date du 12 novembre 1964
est entrée dans l'histoire de notre pays comme la fin tragique d'un rêve
politique. Elle est aussi celle d’un viol collectif perpétré sur une jeunesse
pleine de fraîcheur et d’illusions par un dictateur obsédé par l'efficacité des
mesures de répression.
Louis Drouin avant son fusillade. |
L'histoire
retiendra, qu’abstraction faite de l'assassinat des membres de la
famille Benoît et de l'incendie de leur domicile du Bois Verna,
le gros des tueries se déroulait dans « la discrétion » des champs de
tir et des cellules du Fort Dimanche ou dans l'obscurité des salles de
tortures. Cette fois-ci, il fallait renforcer l'impact dissuasif et préventif
des exécutions en donnant un grand coup en public. Ce sera le spectacle
ahurissant de ces deux hommes dans la vingtaine solidement ficelés à un
poteau et se pliant en deux sous la rafale d’un peloton d'exécution. Ce
fut le sort de Milou et de Marcel. Un divertissement forcé conçu jusque dans le
détail par le dictateur lui-même. Un scénario diabolique digne des jeux du
cirque de Néron.
Trois ans plus tard, quand, en
juin 1967, le président à vie voudra se payer un spectacle encore plus
convaincant, il le fera au Fort dimanche en passant par les armes 19 des
officiers les plus dévoués à sa personne. Satisfait des résultats de sa
politique d'épuration, il jugera inutile, cette fois-ci, d’inviter les écoles
au spectacle. Il se contentera d’informer l'opinion en procédant
personnellement à la radio à un appel nominal des disparus. « Absent! »,
répondit-il de sa voix nasillarde après avoir cité le nom de chacun d’eux.
Le comble du cynisme et de la mise en scène! Et quand vint le temps
d'interpeller ceux qui s'étaient engouffrés dans les ambassades étrangères, il
répondit avec jactance : « Ils ont pris la fuite après avoir bénéficié des
faveurs de César.» Enfin, pour qui se prenait-il, ce modeste médecin de
campagne devenu en moins de dix ans un redouté président à vie? Il réussit
toutefois à instaurer un régime héréditaire dont,
aujourd’hui encore, nous portons le poids dans toutes
les sphères de la vie nationale.
La mauvaise farce qui s'en est suivie aura quand même duré 19 ans. Dix-neuf années durant lesquelles le pays à genoux se vida des ressources intellectuelles et du savoir-faire technique dont il avait tant besoin pour se lancer dans la croisade du développement. Après le vigoureux coup de balai de 1986 au cours duquel les spectateurs de l'exécution de novembre 1964, devenus adultes, se lanceront à codeur joie dans l'application des méthodes enseignées par le dictateur défunt. Et la roue de l'histoire a continué de tourner...
Dans un texte diffusé sur le Net
en 2006, j'avais mentionné l'absence d'une vision mobilisatrice dans ce qu'on a
appelé L'épopée des Treize
. Je n'aurais jamais écrit ces pages avant 1986, car elles
auraient fait le jeu de la dictature. Mais le moment me paraissait venu
d'analyser sans complaisance les faiblesses du mouvement pour éviter qu'à
l'avenir des expériences aussi coûteuses sur le plan humain et social ne soient
de nouveau tentées sans la moindre chance de succès.
À l’époque, j’avais aussi à
l’esprit le souvenir de l’échec de la tentative de guérilla urbaine de Gérald
Brisson dans laquelle Jérémie perdit
un fort contingent de militants qui n’étaient pas nécessairement engagés dans
la lutte armée. Si Adrien et Daniel Sansaricq sont tombés les armes à la main,
Alphonse Bazile, Dominique Luc, Jean-Claude Alexandre, les Desrosiers et les
modestes paysans de Gatineau étaient de paisibles citoyens fauchés pour simple
délit d’opinion.
En allumant ce matin un cierge à la mémoire de Marcel et de Milou, je n'ai renié ni l'esprit ni la lettre de mon texte de 2006. Je me suis incliné devant le courage dont ils ont fait preuve en se lançant dans ce combat inégal contre une dictature féroce et stérile. Et j'ai salué avec humilité et admiration la dignité avec laquelle ils ont refusé la bénédiction du religieux pour entrer de pied ferme dans la légende.
En visionnant ce matin cette séquence du film de l'exécution, diffusé sur le Net par les soins de l'organisation Haïti Lutte contre l'impunité, je n'ai pu m'empêcher de penser à la conversation échangée entre un moine espagnol et le chef taïno Hatuey condamné à mort à Cuba en 1512 pour avoir fomenté une insurrection contre les Espagnols. Au missionnaire qui lui offrait le dernier sacrement avant qu'il ne monte sur le bûcher, le guerrier taïno répondit plus ou moins ceci : « Si les Espagnols vont au ciel, moi, je préfère aller en enfer. »
Plutôt mourir debout que de
vivre à genoux!
Voici le
film historique de l'exécution de Marcel Numa et de Louis (Milou) Drouin.
le 12 novembre 1964, contre le mur
nord-ouest du cimetière de Port-au-Prince.