Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Sunday, November 26, 2023

De l’exclusivisme, du sectarisme, parlons-en!

Ancien local de l'Union Club du Cap-Haïtien

Par Max Dorismond 




Cette semaine, suite à la lecture d’un article sur les anciens clubs sociaux de Port-au-Prince (Cercle Bellevue) et du Cap-Haïtien (l’Union Club), certains commentaires étaient venus nous rappeler l’existence de ces fatals appendices aux flancs d’autres régions d’Haïti, tels ceux de Jacmel (Excelsior et Union), de Jérémie (Nirvana), des Cayes, le pittoresque Printania, tellement malade de son exclusivité que la malice populaire l’avait coiffé du surnom de «TPB» pour «Trè Prè Blan», soulignant au passage le degré de sophistication raciale,  entre frères de sang, pour y être invité… etc. Toutes ces macaqueries cautionnaient au départ le prolongement de la division institutionnelle et sociologique établie dans le passé par le colon pour mieux assujettir ses subordonnés. 

En fait, parlant d’exclusivisme, nous avons signalé par le passé le syndrome de Chicken George, une idée extraite de la série télévisée de Alex Haley : Roots, connu en français sous le titre de Racines. En résumé, Chicken George ou George Poule, un métis, cocher de son état, né des ruts furtifs du propriétaire sur une esclave, ayant bénéficié des fringues rapiécées et usées de son maître, se voyait déjà un Nègre supérieur par rapport à ses frères dans les champs. Pétri d’un complexe de supériorité, son mépris à leur égard se mesurait à l’aune de son nez. L’habit ayant fait le moine! 

Il ne lui était jamais venu à l’esprit qu’il n’était qu’un simple jouet au service direct du patron qui n’hésitait pas, à chaque fois, à perpétuer la division entre ses serfs, pour les empêcher de s’entendre mutuellement au détriment de toute révolte. C’était bien calculé, au point que Chicken Georges s’était mis à rêver qu’il était le fils du maître. Ce qu’il alla se faire infirmer plus tard par ce dernier qui rétorqua en ricanant, dans une dédaigneuse réplique : «J’en ai plus d’une douzaine comme toi dans les champs, là-bas». En un mot, il est un esclave sans statut!

Au moment de l’indépendance d’Haïti, les plus intrigants parmi les mulâtres profitèrent pour voler et s’accaparer du nom du colon ou du domaine. De là à se comporter en grands européens, il n’y avait pas loin de la coupe aux lèvres. Leur désir de remettre le reste de la populace dans les fers n’était point un mirage, mais une réalité. À bien réfléchir, on dirait que la dette de l’indépendance, une incongruité, a été versée dans cette perspective : se faire accepter en tant qu’héritier du blanc. Hélas! 

Devant l’impossibilité de s’imposer, de concrétiser leur rêve d’esclavagistes, leurs descendants utilisaient des subterfuges, tels les clubs sociaux exclusifs, à l’instar du colon, pour créer des strates où la classe dominante régnait avec la nuance épidermique comme passeport. Ils souffraient tous du syndrome de Chicken Georges. Souvenons-nous de la satire de J-J. Accaau!1 

C’est dans cet esprit qu’étaient nées ces boîtes, à l’instar des clubs exclusifs de leurs anciens maîtres. En perpétuant l’image du métis arrogant et pédant, «ces péteurs de tête» avaient maintenu, dans la jeune nation, la flamme de la détestation. 

En effet, c’est rien de moins que de l’ignorance crasse. Ces arrivistes, descendants eux-mêmes des esclaves, devraient penser que le traumatisme causé par l’asservissement radicale se transmettait de génération en génération. Or, ce comportement irrationnel a contribué à entretenir une haine latente chez chaque Haïtien. Le génocide de Jérémie en 64 en fut une des conséquences. 

À bien y voir, toutes les victimes de ces époques, blessées dans leur essence même, avaient besoin d’une forme de cohésion sociale, de solidarité bienveillante, de tolérance et de civilité pour se replacer sur l’échiquier national. Le respect de la dignité humaine devrait être au rendez-vous chez chacune d’elles pour exorciser le mal-être qui les avait accablées. Au contraire, plusieurs se délectent à jouer aux macaques en excluant l’autre sous le prétexte d’une nuance épidermique.         

Même si le temps a fait tomber les masques, jusqu’à aujourd’hui, nous payons encore le prix de cette turpitude. Le résultat est là, le pays est aux abois. C’est la fuite généralisée, le sauve-qui-peut. C’est en terre étrangère qu’ils ont enfin découvert qu’ils n’étaient tous que des Nègres. 

Max Dorismond

 

NOTE 

1 – Jn-Jacques Accaau : « Milat pôv ce nwa, nwa rich ce milat »