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Tuesday, May 26, 2020

Daniel Fignolé ou le vrai sens des luttes des Pestelois

Daniel Fignolé désigné comme président provisoire le
25 mai 1957, a été destitué 20 jours par un coup d'État
militaire orchestré par le général Antonio Kébreau.     
Pestel porte dans son cœur, le président-fils du terroir Daniel Fignolé (1913_1986) devenu le 38e président d'Haïti à la faveur d’un vaste mouvement populaire en décembre 1956 contre le président Paul Eugène Magloire. Né le 11 novembre 1913 (Wikipédia, Daniel Fignolé), Daniel Fignolé incarne toute la résistance de la communauté pesteloise dont il est issu. Son accession au pouvoir, à 44 ans, le 25 mai 1957 a marqué une étape ultime de la bataille de sa ville natale pour les conquêtes sociales, mais sa lutte reste hélas! inachevée, car malheureusement il n’a pas eu le temps de poser les bases de la refondation du système étatique. Son projet social a pris chair dans toutes les luttes de revendications sociales dans lesquelles s’était engagée sa commune depuis la colonisation française.

L’écrivain haïtien Thomas Madiou disait de Pestel que ce fort naturel conserve des pages d’histoires passionnantes de résistance au pouvoir. Remontons en 1792, 11 ans avant la proclamation de l’indépendance de la République d’Haïti pour rappel de la première grande bataille lorsque les Affranchis ayant à leur tête les frères Lafond chassèrent de la zone les planteurs blancs qui refusèrent d’obtempérer à la loi du 4 avril proclamant l’égalité entre ces deux groupes ethniques (MADIOU, Thomas; Tome I). Cette bataille sera suivie de plusieurs autres dont la fameuse bataille qui eut lieu le 19 janvier 1793 à Fort Lundy, à Desriveaux, 4e section de la commune (Beaubrun Ardouin, études de l’histoire d’Haïti). Au cours de cette bataille, le général André Rigaud perdit Ignace et Jourdain deux de ses plus grands lieutenants qui venaient tout juste de se révéler dans la bataille de Savannah aux États-Unis (ROBIN, Énélus; Abrégé de l’histoire d’Haïti). Cette bataille dirigée par Duperrier et Dubrosse était une réplique du mouvement mené depuis tantôt deux ans par les Planteurs blancs de la Grand'Anse.

Quatre années plus tard, en 1797, eut lieu à Camp Thomas et à Fort Lundy (respectivement 1re et 4e section de la commune de Pestel) une grande bataille entre Rigaud et les Anglais (Thomas Madiou, Tome I). Celle-ci se solda par la défaite de ces derniers dont les troupes étaient commandées par le colonel anglais Peste tué par les soldats de l’armée française aux ordres des officiers affranchis Blanchet et Desfourneau.

La vocation de zone de résistance de Pestel fut renforcée lorsque qu’elle se mit debout au côté du général Goman en 1808 pour contester la politique agraire du président Alexandre Pétion, qui ne voulait qu’accorder de la terre aux généraux mulâtres et noirs, alors que les Pestélois prirent position pour la politique de l’empereur Jean Jacques Dessalines qui souhaitait que les noirs dont les pères sont en Afrique aient un morceau de terre (Thomas Madiou, Tome III).

Pestel,un coin de terre assise dans un écrin de calme et de verdure
Plus tard en 1820, le président Jean Pierre Boyer mata le mouvement de Goman dès son arrivée au pouvoir, ce qui n’empêcha pas Pestel de continuer sa lutte pour le progrès et la justice sociale. Plus loin en 1842, Pestel prit les armes aux côtés de Jean Jacques Acaau et de Rivière Hérard contre le président Boyer accusé ainsi que son équipe de dilapidation des fonds de l’État. C’est dans cette bataille que fut tué le général Lamarre à Lesieur (2e section) par Dorvilier Brunot (Thomas Madiou, Tome VII).

Trahie par les hommes du sud en tête du mouvement de 1843 communément appelé mouvement de Praslin, les Piquets, en 1846, établirent à Pestel leurs mouvements, sous le gouvernement de Jean Baptiste Riché aux fins de poursuivre les revendications (Thomas Madiou, Tome VII) . Battu le 7 avril de la même année par les Cacos, l’élan de ce mouvement y fut complètement brisé. Ce fut à ce moment-là reddition de Pestel dans sa lutte pour la justice sociale.

Pestel devra attendre jusqu’à 1869 ( Ardy Jean Gardy, Sourire Magazine, vol. #7 ) pour reprendre les armes pour ses mêmes causes à savoir l’intégration de la paysannerie et l’éducation pour tous, puis en 1883 (Gustave Vigoureux, 1909) contre le président Lysius Jeune Salomon, et en 1902 contre le président Nord Alexis pour se rallier à la cause de Firmin.

Pestel derrière les île Cayemittes est une destination touristi
que ignorée ayant de jolies plages et de criques scintillantes.
Pestel fit opposition à l’occupation américaine, en 1927 (Lesly Péan, Alterpress, 6 août 2013) sous le leadership de Jean Claude Dubrencourt Lesperance un commandant de la place (nom donné à l’époque au chef de la police de la commune), Pestel a rejoint le mouvement national dit des Piquets dont les revendications voulaient l’accès à la terre pour tous les cultivateurs, l’accès à l’éducation pour les fils des masses défavorisées, justice équitable, emploi pour tous dans un pays souverain.

Avec l’occupation américaine (1915-1934), à un moment où Pestel semblait céder dans sa lutte, est né en 1930, le mouvement nationaliste anti-envahisseur dont Dumarsais Estimé en est devenu le porte-parole. Ce fut durant cette période également que prit naissance le « rouleau compresseur » de Daniel Fignolé député de Port-au-Prince, bien longtemps avant qu’il ne devienne ministre de l’éducation sous la présidence de Dumarsais Estimé en 1950 et président très éphémère en 1957. Pendant ses soixante-cinq (65) jours à la tête de ce ministère de l’éducation, et fidèle à l’idéal social de sa terre natale, il a créé soixante-neuf (69) écoles de différents niveaux dont les lycées Toussaint Louverture et de Jeunes Filles à Port-au-Prince, et un troisième lycée à Hinche (Pharès Pierre, explique-moi Haïti). Son bilan traduit sa volonté manifeste de massifier l’accès à l’éducation, chose chère pour les Pestelois.

Consciente de l’intelligence hors pair de son fils et dans le souci de pousser l’éducation de son fils alors âgé de quatorze ans, sa mère, Léonide Bernard à l’instar de beaucoup d’autres familles pesteloises de l’heure, a dû laisser Pestel pour venir s’installer à Port-au-Prince. À la capitale, il s’épanouit dans le milieu scolaire pour parfaire une instruction de qualité. C’est aussi ce parcours qui l’aurait motivé pour la multiplication d’institutions scolaires tant urbaines que rurales.

Daniel Fignolé expulsé pour l'exil tout de suite
après sa destitution par la soldatesque haitienne
Depuis à l’âge de onze ans, il était un fin observateur des rivalités politiques opposant les Gilles aux autres familles dominantes de son bourg à savoir les Chéron, les Bernard, et les Lesperance pour le contrôle de l’espace politique. Son esprit a probablement gardé en vie les séquelles des élections municipales 1924 dont il était témoin opposant Ney Delorme Gilles à son sous-cousin Léonce Bernard qui devint plus tard un homme fort de son entourage politique. C’est de là qu’il a pris goût pour la politique.

Conscience noire, Mouvement ouvrier, orateur hors pair, Daniel Fignolé contribuera au mouvement syndical dans le pays, en Pestélois authentique qui prend à cœur les mauvaises conditions de vie des ouvriers dans les usines et dans les entreprises. Comme tel, il déclara le 25 février 1946: « On sait la part active que j’ai prise aux événements. On sait qu’au lieu de réclamer des satisfactions personnelles, je préférai tenter une Révolution en profondeur, dans le sens du changement de la mentalité du peuple et de la classe dirigeante. Je proposai des institutions avancées. » Pour cette cause, il fut emprisonné sur ordre du président Paul Eugène Magloire. Rappelons-nous que la création de son premier syndicat datait de 1946, ce fut à Hasco Sugar Company.

Daniel Fignolé lors de son retour d'exil
en Haïti (1986), 5 mois avant sa mort   
Bien que descendant de l’élite pestéloise, il n’a pas adhéré à leur statut de privilégiés sociaux. Ses discours virulents contre la bourgeoisie étaient connus et publiés dans son journal appelé « Chantiers ». Son combat pour les causes et préoccupations des populations marginalisées lui a valu brutalité policière, emprisonnement et suppression de son poste d’enseignant sous la présidence d’Élie Lescot. Pour n’avoir pas renoncé à sa conviction, il se fit emprisonné en 1954 par le président Paul Eugène Magloire.

Gauchiste et défendeur des causes de la masse, l’administration américaine en ce temps-là présidée par D. Eisenhower refusa de reconnaître le gouvernement Fignolé, dont le programme politique était considéré comme « comparable avec les Soviétiques .» Eisenhower le fit passer pour un autre « Arbenz », se référant au président social-démocrate du Guatemala (Wikipédia, Daniel Fignolé). Il fut remplacé au pouvoir par un certain Dr Francois Duvalier, et l’histoire connait la suite.

Daniel Fignolé, fondateur et président du très populaire « Mouvement Ouvrier Paysan » ou MOP) et plus tard, parti politique, a toujours fait montre d’une détermination farouche pour renverser le projet social de l’époque post occupation américaine, jugée antinationale. Sa fougue a valu cette belle déclaration de Marc Bazin : « nul n’a su mieux que lui, incarner et exprimer, tout au long de la période, les aspirations de notre peuple à la justice et à la dignité ». Le brillant professeur fut brutalement écarté du pouvoir le 14 juin 1957 après seulement 19 jours au timon des affaires, privant ainsi le pays et Pestel de changements sociopolitiques en profondeur qu’il prônait en faveur des masses. Pestel porte encore le deuil de son enfant terrible et prend son mal en patience. Le coup d’État perpétré contre lui a sorti Pestel de la scène politique comme bastion des luttes pour la justice sociale.


James St-Germain, auteur

 Illustrations:HCC


Notes bibliographiques
Article de Ady Jean Gardy (Pestel une merveille au cœur de la Grand ‘Anse) paru dans Sourire Magazine, vol. #7, Bibliothèque Nationale d’Haïti, pp4-6
Article de Jean Claude Fignole (Pestel entre souvenirs et perspectives) paru dans Magazine Raj, #15, Destination Grand ‘Anse, Juillet 2013. PP52-54. 
Pestel, texte de Alain Bosman, Antoine Gilles
ARDOUIN, Beaubrun, études de l'histoire d'Haït, 1853.
MADIOU, Thomas: Histoire d’Haiti (1811-1818). Tome V. Ed. Deschamps
MADIOU, Thomas: Histoire d’Haiti (1803-1807). Tome III. Ed. Deschamps.
MADIOU, Thomas: Histoire d’Haïti (1492-1799). Tome I. Ed. Deschamps.
MADIOU, Thomas: Histoire d’Haïti (1827-1843). Tome VII. Ed. Deschamps. 
ROBIN, Énélus: Abrégé de l’histoire d’Haïti. 1874. 252p
VIGOUREUX, Gustave : l’année terrible ou 1883 a Jérémie. Imp. Du centenaire, 1909.
HECTOR, Michel, mouvements populaires et sortie de crise (XIX-XXème siècles) OpenEdition, journals en ligne 
PIERRE, Pharès, explique

* un grand merci à Madame Margareth (Maggy) Desilier de m'avoir aidé dans la recherche et la production de ce texte

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