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Thursday, April 16, 2020

Coronavirus: la médecine traditionnelle haïtienne peut aider à sauver des vies

L'histoire des plantes médicinales
remonte à l'aube de l'humanité.    
Vous avez sans doute déjà visionné la vidéo de cette Haïtienne qui témoigne avoir été guérie du coronavirus à partir d’un mélange composé de l’aloe vera "lalwa" en créole), du zeste de citron, d’un œuf, du lait, de l’oignon, du gingembre, de la cannelle, de la muscade, du girofle, du miel et du rhum. Elle est absolument certaine de l’efficacité de ce cocktail. Elle invite tout le monde à partager la recette afin d’aider à sauver la vie de personnes sévèrement infectées par le coronavirus, particulièrement celles atteintes de troubles respiratoires aigus.
D’autres personnes ont livré des témoignages similaires à l’efficacité de recettes traditionnelles utilisées contre le coronavirus. Ces recettes ont fait le tour des réseaux sociaux et replacent dans l’actualité la problématique de la médecine traditionnelle en Haïti. Avec les faiblesses évidentes du système sanitaire national, la médecine douce peut être l’ultime recours face à la pandémie qui fait des ravages même dans les pays qui disposent de système de santé efficace et sophistiqué. On ne peut pas réfuter objectivement l’hypothèse qu’elle peut aider à sauver des vies en Haïti.
Il reste cependant quelques médecins haïtiens qui rejettent encore d’un revers de main la possibilité que des recettes traditionnelles soient efficaces. D’autres se montrent beaucoup plus ouverts, mais préconisent la modération et la prudence dans leur utilisation. Il se pose évidemment un problème de dosage. Comment déterminer la quantité de chaque ingrédient de la recette ? Le mélange de certaines feuilles n’est-il pas potentiellement dangereux ? Quels seraient les effets secondaires ?
Ce sont des questions préoccupantes et légitimes qui méritent des réponses convaincantes de la part des professionnels du domaine. Mais ces questions ne doivent en aucun cas sous-estimer l’importance de la médecine traditionnelle en Haïti. La grande majorité de la population haïtienne est habituée à prendre du thé pour soigner des maux. Elle ne semble nullement remettre en doute l’efficacité de ces remèdes traditionnels. Malgré leur large utilisation, il n’existe pas de programme national de recherche visant à établir la scientificité de leur efficacité. Pas plus qu’il n’y a de programme d’encadrement de leur usage..
Large aloe vera ou
 (Lalwa) en créole
Pourtant, le pays regorge de spécialistes de la médecine traditionnelle. Plus intéressants encore, certains d’entre eux pratiquent également la médecine conventionnelle. Le Dr Patrick Jacques fait partie de cette catégorie très restreinte. Cerise sur le gâteau, il travaille au ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP). Dans une entrevue avec Judith Joseph de l’émission Agir et Réussir sur Signal FM, il a fourni des recettes visant à combattre le coronavirus. Il rappelle qu’il existe une riche histoire de la médecine traditionnelle en Haïti puisque durant la guerre de l’Indépendance, l’armée indigène savait soigner ses blessés en utilisant les plantes médicinales.
Gingembre ou (ginger) en anglais
Le Dr Jacques confirme que le mélange constitué d’ail, d’aloe vera, de gingembre et de miel peut soulager grandement les maux provoqués par le coronavirus. Il prescrit une petite cuillerée à café 2 fois par jour. Si l’on ne trouve pas de miel, on peut, dit-il, utiliser du sirop de canne ou du rapadou. On constate que ces éléments se retrouvent également dans la recette mentionnée au tout début. Le médecin naturopathe et clinicien conseille de faire de la prévention à partir des feuilles de palma-christi "maskreti" en créole). Il suffit d’en prendre deux, d’y ajouter du miel et de les mélanger à partir d’un mélangeur (blender) afin d’obtenir une demi-tasse à consommer pendant trois à cinq jours. C’est comme un vaccin, rassure Dr Jacques qui préconise également de l’activité physique comme mode de résistance au coronavirus.
Le directeur général de Signal FM, Marcel Joseph, a également reçu un médecin qui pratique de la médecine traditionnelle. Interrogée sur l’hécatombe que peut engendrer le coronavirus en Haïti, Dr Chantale Pierre dit n’être pas du tout paniquée parce que le traitement de la maladie se retrouve dans les racines et les feuilles d’Haïti. Le médecin invite les dirigeants haïtiens et les institutions impliquées dans la lutte contre la pandémie à utiliser les connaissances de la médecine traditionnelle.
Cannelle ou (cinnamon) en anglais
Elle confirme toutefois qu’elle ne reçoit pas les personnes infectées, parce qu’elle ne peut pas réaliser les tests de dépistage dans sa clinique. Elle conseille un thé de trois feuilles de Nîmes chaque matin et chaque soir aux gens qui ressentent une fièvre sévère et de la consommation de manioc comme prévention. Ce tubercule, ajoute-t-elle, contient beaucoup de fer qui pourrait renforcer le système immunitaire.
Dr Pierre propose un mélange fait d’huile de palma-christi, de beurre margarine, de tabac en poudre et d’alcool comme une friction contre la courbature provoquée par le coronavirus. Elle a aussi mentionné l’efficacité du miel, du gingembre et de l’oignon pour soigner le coronavirus. Les mêmes ingrédients que contient la recette mentionnée au début. Elle a profité de l’émission pour fournir beaucoup d’autres recettes traditionnelles pour différents types de maladie.
Muscade ou (nutmeg) en anglais
Les deux médecins découragent cependant la consommation de l’alcool et de la drogue qui affaiblissent plutôt le système immunitaire et rendent plus vulnérable au coronavirus. Contrairement à une croyance véhiculée au niveau de la population. Ils encouragent la consommation de produits locaux biologiques aux dépens de ceux importés, surtout les produits en conserve.
Dr Junot Félix, spécialiste en système de santé, directeur général de la firme Genesis et professeur à la Faculté de médecine et de pharmacie (FMP), croit aux potentialités de la médecine traditionnelle. Au moment où il travaillait au département de la Grand’Anse, il avait créé une Association des médecins traditionnels qui avait organisé en 1989 une rencontre nationale au Rex Théâtre. Mais la réussite de ces initiatives privées requiert un encadrement de l’État haïtien qui fait encore défaut.
Girofle ou (clove) en anglais
Il faut quand même souligner la réalisation par la ministre de la Santé publique et de la Population, Dr Marie Gréta Roy Clément, en date du vendredi 29 septembre 2017, au centre de convention et de documentation de la Banque de la République d’Haïti (BRH), d’une conférence sur la médecine traditionnelle. Il s’agit, selon les organisateurs, d’un effort vers la reconnaissance officielle de la médecine traditionnelle en Haïti. Prenaient part à cette rencontre sur la médecine traditionnelle des officiels du gouvernement, des personnalités du monde médical scientifique et de la médecine traditionnelle, des représentants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des partenaires en santé, des membres de la société civile et de bien d’autres personnalités intéressées par la problématique.
L’harmonisation des médecines scientifique et traditionnelle permettra à la population d’avoir accès à une plus large couverture en matière de soins de santé. Le Dr Junot Félix pense qu’il faut profiter de la pandémie du coronavirus pour repenser le système de soins et le système de santé en Haïti.
Miel ou (honey) en anglais
Un programme de recherche sur l’efficacité de la médecine traditionnelle pourrait se faire en trois étapes. D’abord, il faudra identifier quelle feuille utiliser pour quel type de maladie. Ensuite, analyser les propriétés de ces feuilles en vue de comprendre pourquoi elles sont efficaces à traiter les maladies en question. Et enfin, essayer de proposer un dosage approprié.
Un important travail d’inventaire de ces savoirs traditionnels a été réalisé au fil des années. On peut citer les trois tomes de l’ouvrage d’Arsène V. Pierre-Noël et de Timoléon C. Brutus «Les plantes et les légumes d'Haïti qui guérissent : mille et une recettes pratiques (1959, 1960, 1966)». Marilise Neptune Rouzier, écrivaine, biologiste et ethnobotaniste, qui a longtemps enseigné à la Faculté de médecine et de pharmacie (FMP) de l’Université d’État d’Haïti (UEH), a publié quatre ouvrages sur la médecine traditionnelle en Haïti : ''Petit guide médicinal du jardin'', Banque mondiale (1997); ''Plantes médicinales d'Haïti : description, usages et propriétés'', Regain (1998) (réédité en 2014 par les Éditions de l'Université d'État d'Haïti) ; ''La médecine traditionnelle familiale en Haïti : Enquête ethnobotanique dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince'', Éditions de l'université d'État d'Haïti (2008) ; ''Diabète et hypertension artérielle : Remèdes familiaux dans la région de Port-au-Prince'', Éditions de l'Université d'État d'Haïti, (2012). 
Rhum Barbancourt
Marilise Neptune Rouzier a publié avec Lise-Marie Déjean dans la Revue Perspectives Haïti (vol. 1, no 3,‎ décembre 2012) un article intitulé : «Médecine familiale, point de jonction de la médecine traditionnelle et de la médecine conventionnelle ». Elle a également codirigé avec le Dr Nancy Larco Noël le projet « Diabète et hypertension artérielle : traitements familiaux dans la région de Port-au-Prince ».  Il convient de noter également les trois tomes de « Santé et vitalité par les plantes médicinales » du Dr Berthony Jean-Charles. Feu agronome François Séverin a, de son côté, publié « Plant ak Pyebwa tè d’Ayiti », qui est d’une grande importance, sans oublier les travaux de Jean-Claude Delbeau a publié en 1990 « Société, culture et médecine populaire traditionnelle».
Le texte le plus ancien semble être celui de Baker, H. D. et Dardeau, W. intitulé « Flore d’Haïti » paru en 1930 sous le patronage du Service technique du département de l’Agriculture et de l’Enseignement professionnel. À cette époque, il semble que l’État était beaucoup plus intéressé par cette problématique. Il ne reste qu’à approfondir ces travaux en établissant la preuve scientifique de l’efficacité des recettes traditionnelles et de proposer la posologie appropriée pour chacune des recettes. On compte déjà au ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) une Direction de la pharmacie, du médicament et de la médecine traditionnelle (DPM/MT). Malheureusement cette dernière composante y est très peu développée.
La médecine traditionnelle prend de plus en plus d’ampleur à travers le monde. Elle est très évoluée à Cuba, en Chine, au Japon et dans plein d’autres pays. Dans les pays développés, elle gagne du terrain. Au Canada, à Montréal par exemple, il existe des magasins spécialisés où l’on peut consulter un spécialiste de plantes médicinales. À l’achat, il vous recommandera le dosage approprié. Il s’agit là d’une fenêtre d’opportunités qui pourraient s’offrir en Haïti. Le pays pourrait offrir des traitements à base de plantes à différentes maladies chroniques au reste du monde. Il pourrait se faire une renommée internationale dans ce domaine avec des retombées économiques significatives.
Par :Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr
Illustrations :HCC

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