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Thursday, September 2, 2021

Proposition du GRAHN pour héberger victimes du séisme dans le grand Sud

Le dimanche 22 août  2021, le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (GRAHN-Monde), créé huit jours après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, a tenu une rencontre virtuelle de réflexion portant sur le séisme qui a durement frappé le grand Sud, plus précisément les départements des Nippes, du Sud et de la Grand’Anse. Pendant quatre heures d’horloge et sans arrêt, les participants à cette manifestation patriotique et citoyenne ont échangé sur trois sujets d’importance : une analyse contextuelle du séisme et de ses conséquences sur les populations touchées ; les propositions concrètes pour venir en aide à ces populations qui risquent de s’enfoncer de manière irréversible dans la pauvreté extrême ; les défis de gouvernance auxquels le pays se heurte au cours des 35 dernières années et qui commandent une démarche de rupture pour arrêter cette descente aux enfers.

Une analyse contextuelle du séisme

Ce qui est ressorti clairement de cette analyse, c’est l’extrême vulnérabilité du pays face aux catastrophes naturelles et humaines, causée par un déficit notoire de gouvernance. Une gouvernance chaotique, voire médiocre, qui affaiblit continuellement l’État devenu incapable d’assurer la sécurité des vies et des biens. Dans le contexte du séisme qui a durement frappé le grand Sud, cette inefficacité grandissante de l’État s’est manifestée par son incapacité à faire respecter les lois et les normes de construction existantes. Cette réalité n’est pas différente dans les autres aspects de la vie nationale où des lois existent et ne sont pourtant pas respectées. Pire encore, elles sont violées quelquefois par les personnes qui avaient le mandat de les faire respecter.

Dans le cas des constructions anarchiques érigées sur l’ensemble du territoire haïtien, cela s’est fait dans la plupart des cas dans l’ignorance totale du schéma d’aménagement du territoire lorsque celui-ci existe. Plusieurs maisons sont construites dans des zones à hauts risques de natures diverses : risques sismiques mais aussi d’inondation dans le cas de fortes pluies saisonnières ou d’origine cyclonique. Comment demander à des populations démunies de prendre en compte de tels aléas sans aucun soutien, encadrement technique ou directive des représentants de l’État, dont les mairies ? Respecter des normes existantes exige des moyens financiers dont ne disposent pas toujours les ménages à faible revenu qui vivent dans nos communes et nos sections communales. Ces ménages sont donc obligés d’opérer un arbitrage douloureux entre leur survie à court terme – trouver un toit sous lequel héberger leur famille souvent nombreuse – et l’exigence de sécurité face aux éventuels risques mentionnés précédemment. Des risques qui sont pourtant bien réels !

Des actions concrètes et une proposition phare

Plusieurs propositions concrètes ont été faites pour accompagner les personnes désireuses de reconstruire leurs maisons détruites de manière plus sécuritaire. Une d’entre elles suggère de concevoir et de présenter sous forme de catalogue des maisons modèles prêtes à être construites, qui respectent les normes parasismiques et qui ne nécessitent pas la prise en charge par des professionnels non disponibles dans les régions isolées. Encore faut-il que les terrains sur lesquels ces maisons seront construites ou reconstruites ne se situent pas dans des zones à risque et respectent les règles de zonage ainsi que le schéma d’aménagement du territoire en vigueur. Cela passera certainement par une campagne nationale d’éducation afin de sensibiliser la population au danger de ne pas respecter ces règles. Il faut que l’État soit présent sur tout le territoire national afin de veiller au respect des normes de construction, et ce, de manière indiscriminée et sans complaisance. On a vu des ministres démis de leur fonction parce qu’ils ont voulu faire respecter la législation en vigueur en matière d’aménagement du territoire et de lieux de construction.

Nous le savons toutes et tous : le territoire haïtien est exposé à des risques de cyclones et de séismes, ce qui engendre des catastrophes à répétition qui mettent en danger la vie des populations exposées. Dans le meilleur des cas, les personnes sinistrées font face à des besoins de première nécessité tels l’eau potable, la nourriture, des trousses de premiers soins, des trousses d’hygiène, des abris provisoires, et j’en passe. Pourquoi ne pas aménager dans chaque département au moins un centre d’approvisionnement de secours facilement accessible, parasismique et résistant aux intempéries afin de faire face à la détresse humaine qui fait généralement suite aux séismes, aux cyclones et aux inondations ?

Quand une population a vécu coup sur coup des catastrophes comme le tremblement de terre de 2010, l’ouragan Matthew en 2016 et le séisme du 14 août 2021, elle a subi des traumatismes dont les traces sont le plus souvent invisibles et dont les séquelles se manifestent par des comportements pour le moins anormaux. D’où la nécessité de reconstruire l’être haïtien brisé, traumatisé et souvent en proie à des problèmes de santé mentale non soupçonnés et non pris en charge par la société ni l’État. Il faudrait créer des cellules de travail pour gérer les crises de ce genre, tirer des leçons pour l’avenir et planifier dans la longue durée. Nous devons admettre que le pays est exposé à des aléas sismiques et cycloniques qui doivent faire partie de notre réalité et de notre imaginaire de peuple. Nous devons donc nous préparer mentalement et structurellement à y faire face.

La proposition phare qui a été présentée et discutée à cette rencontre de réflexion demeure celle d’un projet consistant à reconstruire les habitats détruits par le séisme dans les trois départements concernés – Nippes, Sud et Grand’Anse – en respectant les deux exigences minimales suivantes : éviter les zones à risque sismique et cyclonique, et construire dans le strict respect des normes parasismiques et anticycloniques. Évidemment, un tel projet se concentre sur les résidences familiales et n’englobe pas les lieux de culte, les écoles, les établissements de santé, les édifices publics et les entreprises. L’idée en est qu’il faut d’abord héberger de manière convenable et sécuritaire les résidents des milieux touchés afin d’assurer la pérennité de ces communes et sections communales. De toute manière, les infrastructures collectives comme les lieux de culte, les écoles, les édifices publics et les entreprises ne s’érigent jamais dans les déserts, dans les endroits où il n’y a pas de vie, de résidences, de personnes qui y habitent. Néanmoins, un tel projet doit être mené dans le respect d’un plan d’aménagement urbain ou rural qui prévoit de la place pour ces infrastructures collectives.

Pourquoi doit-on faire cela ?

La capitale d’Haïti, Port-au-Prince, a été fondée en 1749 pour accueillir environ 250 000 personnes. Aujourd’hui, près de 3 millions de personnes y vivent ou survivent, avec une pléthore de bidonvilles qui pullulent ici et là dans tous les quartiers huppés ou non qui constituent la grande région métropolitaine. Résultat des flux migratoires qui ont débuté au cours des années 1960 avec les différentes manifestations politiques organisées par le pouvoir en place, des personnes venant des neuf autres départements géographiques du pays ont convergé vers Port-au-Prince et y sont restées dans l’espoir d’une vie meilleure. Ainsi naquirent les bidonvilles autour de la capitale qui n’était pas préparée à recevoir un tel flux migratoire. À cela s’ajoutent l’explosion démographique et la disparition des opportunités liées à l’agriculture dans les milieux ruraux, disparition causée par une ouverture irréfléchie du marché haïtien au commerce international. Les régions ont envahi la capitale qui est devenue progressivement la République de Port-au-Prince, avec les résultats socio-économiques que l’on connaît aujourd’hui : bidonvilles omniprésents, zones de non-droit qui entretiennent la terreur, insécurité généralisée, incivisme devenant mode de vie, rues et ruelles devenues infranchissables et sales, taux élevé de criminalité et de gangstérisme, baisse fulgurante de la qualité de la vie...

Imaginez ce que deviendrait Port-au-Prince si toutes les personnes sinistrées des trois départements, n’ayant plus de résidences dans leur patelin, basculées l’espace de quelques secondes dans la pauvreté extrême, sans perspectives de vie dans leur localité, décidaient de venir s’établir dans la capitale à la recherche de moyens de vivre, de résidence, d’emploi, de perspectives, d’espoir. Cette éventualité constitue une vraie menace pour la capitale qui pourrait avoir à faire face à un afflux sans précédent de migrants en quête d’un mieux-être et fuyant l’extrême pauvreté.

Il y a une recette bien connue des pays qui veulent combattre la pauvreté et relever leur économie, surtout en période de récession économique ou après une catastrophe naturelle ou humaine. C’est la conception et l’exécution de grands projets d’infrastructures dont une des finalités est de relancer l’économie et de créer massivement des emplois. Selon la Direction générale de la protection civile (DRPC), en date du 18 août 2021, « 137 000 familles ont été touchées dans les départements du Sud, de la Grand’Anse et des Nippes. Près de 61 000 maisons ont été détruites et plus de 76 000 ont subi des dommages dans les trois départements les plus touchés, laissant des milliers de personnes sans abri et entraînant un besoin urgent de solutions pour un hébergement d’urgence ». 

Un projet de construction-réhabilitation de 140 000 résidences familiales dans les communes et les sections communales pourrait relancer l’économie de ces régions, créer des dizaines de milliers d’emplois de différentes natures dans ces régions et dans le reste du pays, augmenterait les compétences et le savoir-faire des jeunes techniciens locaux, favoriserait l’émergence de nouveaux consommateurs et de nouvelles entreprises pour répondre aux besoins de ces derniers, appliquerait de manière efficiente la théorie de la percolation souvent perçue comme socle conceptuel du paradigme de l’aide internationale. Ce serait l’occasion de mobiliser les jeunes des écoles professionnelles et des universités de la région dans un mouvement de citoyenneté participative. Bref, il s’agit d’un projet mobilisateur qui emploierait au maximum les ressources locales afin de créer des emplois dans les régions dévastées, de redonner espoir à ces populations en détresse et de permettre aux départements sinistrés de se relever durablement.

Est-ce faisable ?

Sur le plan technique, c’est un projet tout à fait faisable. Les compétences, l’expérience et le savoir-faire sont disponibles au pays et ne demandent qu’à être mobilisés.

Sur le plan économique, les retombées pour l’État sont évidentes : relance de l’économie haïtienne qui est en chute libre depuis au moins les quatre dernières années avec des taux de croissance négatifs et des taux de chômage constamment à la hausse enfonçant ainsi les jeunes dans le désespoir. Il est bien connu que la construction est un secteur important qui contribue grandement à la croissance économique d’un pays, et ceci, de manière quasi instantanée.

Sur le plan financier, l’enjeu est de taille. Il faut trouver les sources et la stratégie de financement. Mais, avant toute chose, quel serait le montant nécessaire ? Le GRAHN est en train de réaliser depuis 2016, à Génipailler, troisième section communale de Milot, dans le Nord du pays, le projet Pôle d’innovation du grand Nord, PIGraN – Cité du savoir, combiné à un autre projet de Village de la Cité du savoir en partenariat avec food For the Poor. Il a donc les prix réels de construction en milieu rural lorsqu’une gestion rigoureuse est pratiquée, pour avoir construit de 2016 à 2021 plusieurs édifices de différentes tailles, dont les prix varient entre 8 000 et 1 million de dollars américains. Forts de ces expériences, en demeurant dans la sobriété et avec un système efficace d’approvisionnement en matériaux surtout locaux, nous estimons grosso modo qu’un minimum de 1,7 milliard de dollars américains serait nécessaire pour réaliser ce projet, sans compter les apports supplémentaires de capitaux provenant des ménages plus aisés aspirant à des maisons plus haut de gamme.

Résidence de gardien dans la Cité du savoir à Génipailler (coût de construction : 8 000 dollars américains)

Bureau d’ingénierie de la Cité du savoir à Génipailler (coût de construction : 25 000 dollars américains)

La nécessité de repenser la gouvernance du pays

Le troisième volet de la rencontre de réflexion du GRAHN portait sur la gouvernance globale du pays au cours des trois dernières décennies. Un des points forts de l’échange qui a été soulevé à plusieurs reprises, c’est la mainmise de forces obscures sur l’État et ses institutions, une sorte d’État dans l’État qui contrôle une bonne partie des sources de revenus de la République, rendant ainsi l’État incapable de fournir des services de base à la population. Cela est à la fois cause et conséquence du désengagement de l’État qui apparaît de plus en plus faible, voire inexistant, en tout cas incapable de faire respecter la loi, de protéger la population contre les atteintes à la vie et à la liberté de déplacement des citoyennes et citoyens à travers le pays.

Tout cela se trouve aggravé par une corruption devenue endémique qui se manifeste au plus haut niveau de l’État mais qui n’épargne aucune couche de la société : pouvoir exécutif avec les différents scandales de détournement et de dilapidation des fonds publics, pouvoir législatif avec des parlementaires qui marchandent leurs prérogatives d’instance de contrôle du pouvoir exécutif, pouvoir judiciaire incapable de rendre la moindre justice et qui entretient consciemment ou non l’impunité. À ce titre, il convient de mentionner que, tout en restant un fléau à combattre vigoureusement, ce n’est pas la corruption en elle-même qui nous inquiète, c’est plutôt la garantie d’impunité dont jouissent les personnes qui l’entretiennent et qui s’y adonnent : corrupteurs et corrompus. Le pays est devenu invivable pour presque tout le monde justement à cause de cette garantie d’impunité. L’enquête se poursuit toujours… sans jamais aboutir ! C’est donc à se demander : À quoi sert un pouvoir exécutif qui ne gouverne pas ? À quoi sert un pouvoir législatif qui ne contrôle pas et qui adopte très peu de lois ? À quoi sert un pouvoir judiciaire qui ne rend pas justice ?

Ces questions donnent à penser que la plupart de nos élus ne sont pas à la hauteur de leurs tâches et des attentes placées en eux, même s’ils ont cette fâcheuse habitude de s’appeler des « hommes d’État ». Et cela n’a rien à voir avec le niveau d’instruction de ces personnes. Cela a plutôt à voir avec leur degré d’intégrité, leur niveau de sens éthique, leur degré de moralité, leur sens des responsabilités envers les électeurs qu’ils représentent, leur degré de patriotisme, leur niveau de compréhension du rôle qui leur est assigné, leur propension à se mettre au-dessus des lois de la République, leur attachement trop fort aux privilèges dus à leur rang sans aucun souci de résultats pour la nation. Il est résulté de tout cela un pays qui a nettement perdu le contrôle de sa destinée, avec une majorité d’institutions devenues inexistantes, dysfonctionnelles ou inopérantes. Voilà donc le résultat de 35 ans d’une transition démocratique qui n’a pas dit son dernier mot !

Puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, cet échec collectif n’a pas de quoi nous rendre fiers, même si nous n’avons pas joué de rôle actif dans la gouvernance du pays. Les oppositions politiques doivent au moins reconnaître qu’elles n’ont pas joué le rôle constructif de contre-pouvoir que l’on était en droit d’attendre d’elles au cours des 35 dernières années, avec une capacité de propositions inspirantes et pragmatiques pour la nation. Au contraire, nous avons assisté à un long exercice de dogmatisme et d’intransigeance qui, lui aussi, n’a pas permis d’arriver à un compromis acceptable et nécessaire au déblocage du pays. « Que le pays crève, mais je maintiens ma position. Car je suis convaincu d’avoir raison. » Voilà ce à quoi, impuissant, le pays a assisté, particulièrement au cours des quatre dernières années ! Personne ne veut rien céder à personne… jusqu’à ce que le Blanc débarque et prenne officiellement le contrôle de tout.

Il est vraiment temps que toute cette comédie cesse. C’est la vie de 12 millions de personnes qui est en jeu. La société civile doit sortir de sa léthargie et entrer en scène. Elle s’était remise candidement entre les mains d’armateurs amateurs qui ont conduit le bateau au naufrage dont nous sommes à la fois les témoins et les victimes. Une conférence nationale ou yon chita pale ansanm – appelons-la comme on veut – devient alors incontournable. D’abord comme démarche de thérapie collective pour tenter de vider des contentieux historiques qui fragmentent et fragilisent la société haïtienne, mais surtout pour esquisser les contours d’un projet commun de nation dont nous avons du mal à accoucher. Ce n’est certainement pas là une panacée, mais plutôt une quête de réconciliation du pays avec lui-même en vue d’un nouveau départ vers plus de justice, d’équité, d’éducation, de progrès et de lumière. Après avoir été un apôtre de la liberté des peuples opprimés de l’humanité, nous devons cesser d’être la risée du monde.

Pour conclure : une énième opportunité à ne pas laisser passer

À l’intersection de la physique statistique et de la physique mathématique, la théorie de la percolation étudie les caractéristiques des milieux aléatoires et s’applique notamment en science des matériaux pour formaliser les propriétés d’écoulement dans les milieux poreux. Elle tente de répondre, entre autres, à la question informelle suivante : imaginons que l’on place de l’eau dans un creux au sommet d’un matériau poreux. Quelle est la probabilité qu’il y ait assez de canaux communiquant entre eux pour que cette eau réussisse à atteindre la base de la pierre ?  Transposée dans le domaine de l’aide internationale et dans le contexte du séisme du 14 août 2021, la question pourrait se reformuler comme suit : comment faire pour que l’aide internationale qui pourrait être débloquée au profit des familles sinistrées atteigne la base, c’est-à-dire les nouveaux sans abri du grand Sud ? Il y a là une opportunité, celle de reconstruire sur des bases plus résilientes et plus sécuritaires, trois départements d’un pays très exposé aux risques de catastrophes naturelles. Si nous réussissions ce projet commun, nous reprendrions confiance en nous-mêmes collectivement, ce qui nous permettrait de répéter l’expérience lorsqu’un tel malheur frappera une autre région du pays. 

Une fois de plus, Haïti se trouve à la croisée des chemins, comme elle l’a été déjà dans notre histoire récente en 1986, en 1990 et en 2010. À ces trois occasions, nous avons raté le virage conduisant vers la concrétisation des espoirs que nous avions légitimement nourris. N’ayons pas peur de le dire, ces trois occasions manquées se sont muées en cauchemars pour le pays. Les forces saines du pays en sont sorties exsangues, plus abattues que jamais. Allons-nous perdre une fois de plus cette énième opportunité qui se présente à nous aujourd’hui ?

Déjà se pointent à l’horizon les vieux démons qui nous ont toujours hantés. En particulier celui de la division, mais qui est en fait une éternelle crise identitaire. Après 217 ans d’indépendance acquise dans l’union qui a fait la force, nous semblons ne pas savoir qui est haïtien et qui ne l’est pas, sur fond d’exclusion à peine voilée. « Entèl se milat, Intèl se nèg nwè, Entèl se nèg andeyò, entèl se nèg dyaspora, entèl se Siwo-libanè, entel se Jwif », tout cela entaché chaque fois d’une connotation négative qui demeure source de stigmatisation et qui sert de prétexte d’exclusion. Où est la citoyenneté dans tout cela? Où est l’allégeance à la nation et à la République dans tout cela ? Où est l’exigence du vivre-ensemble dans tout cela ? Où est la quête d’une plus grande justice sociale dans tout cela ? Nous sommes manifestement devant un problème mal posé, ou mieux encore devant une situation qui mérite d’être reproblématisée comme clé d’accès à une société moderne accordant des chances égales à toutes et à tous, sans égard aux origines sociales ou à la couleur de la peau. Voilà un sujet central qui devrait être débattu en toute sérénité et avec hauteur dans une conférence nationale!

Dans la plupart des pays démocratiques où s’est posé ce problème, il a été abordé et résolu grâce à des politiques publiques qui ont été imaginées, conçues et mises en place par des dirigeants résolument animés de la volonté politique nécessaire pour y parvenir. Dans cet ordre d’idées, il y a lieu de mentionner le roman biographique du philosophe français Paul Nizan intitulé Antoine Bloyé, qui aborde ce qu’il appelle « la trahison de classe » et qui soulève la question de savoir comment changer de classe sans trahir les siens et se trahir, comment faire pour que les opprimés d’hier ne deviennent pas les oppresseurs de demain. C’est la responsabilité des élites d’un pays de créer une société qui ne fait pas que reproduire les classes sociales, une société qui favorise la mobilité sociale ascendante en donnant des chances égales à toutes et à tous, et en promouvant le mérite, la compétence, la redistribution, la solidarité et l’empathie.

Pour terminer, il n’est pas superflu de rappeler qu’Haïti est née dans l’oppression et contre l’oppression. Le plaidoyer qui est fait ici est celui d’une citoyenneté ouverte qui bannit toute forme d’oppression, d’où qu’elle vienne, une citoyenneté qui s’accompagne à la fois de droits et de devoirs, une citoyenneté qui deviendrait la base du vivre-ensemble et le socle sur lequel refonder la nation. Ce sont les valeurs promues par le GRAHN dans sa quête d’une « Haïti nouvelle fondée sur le droit, le partage, la solidarité, l’éducation, le respect de l’environnement et le culte du bien commun ».

Samuel Pierre

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