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Friday, February 7, 2020

Des avocats marrons dans la dérive institutionnelle d’Haïti



Par Max Dorismond








Telle une bombe fumigène lancée sur le web, les conclusions d’une recherche sur les écoles de droit dans mon pays ont réellement chiffonné certains camarades de la diaspora. Mais, pour moi, il n’y a rien d’étonnant. J’appréhendais déjà pareil résultat, c’était à prévoir. Tant que le nivellement par le bas occupe le haut du pavé, nous n’avons d’autre choix que de produire des cancres en quantité pour engendrer encore plus d’abrutis ad vitam aeternam. C’est mathématique!

Retenez bien vos chaises! Selon les résultats de cette étude surprenante, parue fin janvier 2020, de « Justice Sector Strengthening Program » (JSSP), de concert avec la Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH), commanditée par USAID, nous voici avec 61 institutions d’enseignement du droit, dont 26 écoles et facultés privées, avec 322 professeurs, dont 8% n’ont pas de diplômes et 97% n’ont décroché aucun doctorat. Et pourtant, nous ne sommes plus au temps du Roi Salomon! Nous ne nous sommes pas trompés de siècle!

J’ai souvenance encore d’un article sur un Canadien extraordinaire, l’ancien premier ministre Jean Chrétien, qui avait dirigé tous les ministères du gouvernement de son pays avant d’occuper le poste numéro un. Il n’était pas un communicateur électrisant, à la P.E. Trudeau, son mentor. Mais il avait son charisme propre. Frondeur, fonceur, plaisantin, c’était sa marque de commerce.

À la question, comment avait-il procédé pour cheminer à travers toutes ces institutions, sans se casser la margoulette? La réponse fut percutante et sans appel : « Il a été diplômé en droit. Le droit mène à tout ».

En effet, selon les spécialistes, ce sont les études les plus complètes dans un cycle universitaire. Elles ne sont pas à la portée de tous en regard de la somme des matières élaborées à emmagasiner. Le diplôme de droit fait de son titulaire un esprit supérieur et très utile à une nation. Ceci étant dit, on comprend la raison de cette investigation et le cri d’alarme des chercheurs qui se sont penchés sur ce dossier. Au lieu d’être d’utilité publique, le droit devient synonyme d’une atrophie récurrente dans le développement d’Haïti.

Depuis cette lecture, je m’amusais à rechercher le background de tous les politiciens électrisants sur la scène internationale. Mes découvertes m’avaient laissé sans voix. De Barack Obama aux divers sénateurs et congressistes américains ou élus européens, ce fut une révélation du tonnerre qui me confirme, que le droit mène à tout. En fait, 70% d’entre eux possèdent un doctorat en droit, 15%, un Fellow 1, d’une grande université connue.

En principe, « le droit est défini comme l'ensemble des règles qui régissent les rapports sociaux et la conduite de l'homme en société ou, de façon plus exacte, l'ensemble des règles imposées aux membres d'une société pour que leurs rapports échappent à l'arbitraire, à la violence des individus et soient conformes à l'éthique dominante 2 ». Voilà pourquoi cette étude du JSSP m’avait laissé perplexe, quand la formation des cadres de mon cher pays est laissée entre les mains de charlatans ou de faussaires.

Comment en sommes-nous arrivés là?
La notion d’inégalité, le mépris du laissé pour compte et le syndrome du colonisé,  jouent un rôle déterminant dans la psyché collective et perpétuent ce type de situation. Le paysan, le nerf de la guerre dans un pays à 100% agricole, est honni, l’artisan dévalorisé. Haïti se définit comme un pays hors norme, où le grade demeure un facteur déterminant, une carte de visite. Tout le monde se définit par son titre, comme facteur identitaire. Cette tare héréditaire et tendancieuse cache à la fois, un rêve de pouvoir, un désir de respect, d’acceptation et, surtout, une opportunité pour s’accrocher au passage de  l’ascenseur social.

L’individu qui fut directeur d’un organisme, il y a de cela 50 ans, se fait encore appeler : « Direk », le nom éponyme. Un président sans diplôme se déclara agronome. Un autre, aujourd’hui, se définit comme ingénieur, etc… Vivre sans un titre, en Haïti, laisse une impression de nudité, comme un ver de terre.
           
Aujourd’hui, les doctorats sont à la mode, tout le monde se fait appeler Docteur. Le fonctionnaire qui a participé à titre d’auditeur, à une séance de formation d’un mois, dans une université d’outre-mer, s’approprie le titre de Dr. à son retour. Docteur de tout, docteur des eaux et des étoiles, etc… d’où la prolifération des fausses dénominations, le cumul des faux résultats, la multiplication des accidents et des drames humains, l’acceptation de l’imposture, de la tolérance, de la paresse et de la dérive de la nation sur un océan d’escroquerie.
           
Dans mon livre, « Des mots pour conjurer nos maux », vous trouverez à la page 93, le texte « La saga des faux diplômes, un fléau qui dérange » et vous pourrez mesurer le fondement du résultat de cette étude en rapport à la faiblesse des institutions judiciaires de chez-nous. Le népotisme aidant, chacun peut placer son père et son beau-père à la place désirée, pourvu que le titre d’un diplôme factice vienne supporter les devoirs de sa charge. La bombe a éclaté au cours de cette dite recherche. La stupéfaction est nulle et non avenue pour l’observateur.
           
Et pourtant, nous avons connu des juges et des avocats de renom chez-nous. Ce n’est pas sorcier. Avec le nivellement par le bas, des dernières décennies, il fallait faire amende honorable et épouser la doctrine de l’heure en jouant à l’idiot. Sinon, ton chien est mort.

À un certain moment de la durée, les parents n’encourageaient plus leurs enfants à fréquenter la faculté de droit, sous peine de finir avec un uniforme bleu et un foulard rouge. Ce judicieux conseil me fut prodigué, la veille de mon départ de Jérémie pour mes études à Port-au-Prince, par un brillant avocat, feu Me. Christian Caze, un grand ami de mon père.
           
Or, comme le pays allait de plus en plus mal, avec la culture du « dégagé pa péché », chacun s’est permis d’ériger sa propre petite école, « son p’tit business ».
           
J’ai en mémoire l’anecdote d’un concitadin analphabète, qui, handicapé suite à un accident de travail aux USA, décida de rentrer au pays. Pour faire fructifier le magot reçu en guise de dédommagement, il rêva d’investir dans un restaurant de sa région natale. Avant toute chose, il s’avisa de demander conseil à un cousin sur place. Ce dernier, qui connait le terrain, lui suggéra d’investir de préférence dans l’activité la plus rentable de l’heure en Haïti : une école, une université, par exemple. Donc, attendez-vous à retrouver sur votre route, un de ses bouffons, qui viendra, un jour, vous entretenir de : « Ti Univèsité pal la ». (sa p’tite université à lui).
           
Ainsi, comme des champignons, le pays est parsemé de myriades d’écoles et d’universités, à confondre les plus sceptiques. 90% d’entre-elles fonctionnent à l’envers de l’esprit de la connaissance, avec seulement l’intention de siphonner les plus pauvres. Aucun gouvernement n’ose les confronter aux fins d’une évaluation. Chacune, d’une manière ou d’une autre, est protégée par un ou des sicaires. Par conséquent, qu’on ne s’avise point à freiner le désordre établi, si on désire gouverner dans la paix. C’est la loi de la jungle.

Patientez – Haïti a rendez-vous avec l’histoire et l’espérance
À la lecture de l’article, qui traitait de cette recherche, j’ai expédié un courriel au Professeur Samuel Pierre, le fondateur du GRAHN 3, avec ce titre de panique : « ISTEAH 4 au secours ». Heureusement, sa réponse hâtive m’a rafraîchi les méninges, à savoir que ISTHEA a déjà pris en charge cette discipline. Depuis septembre 2019, ISTEAH offre officiellement des programmes de maîtrise et de doctorat en sciences juridiques et son 2ème docteur diplômé en droit, le DR. Jean Hudson, se révèle être l’un des chercheurs mentionnés dans l’étude en question. Il était juste temps pour faire rayonner la lumière crue du bon sens en faisant triompher l’intelligence collective pour extirper de certains subconscients ces comportements fossilisés.

Je peux éclater d’optimisme, puisqu’il existe au moins une lueur d’espérance à l’horizon, tant qu’il existera des institutions bienveillantes à l’instar de GRAHN. Osons espérer qu’aucune insinuation malveillante ou aucun coup tordu ne vienne bousiller l’avenir de cette formidable fondation, face à la malheureuse évidence, quant à la supériorité du nombre de cancres par rapport à celui des instruits. Car, il faut toujours garder à l’esprit le brûlant constat du célèbre professeur Leslie Manigat, à l’effet « qu’il y a une lutte sourde et constante contre l’intelligence dans ce pays 5 ».

Programme d’études en sciences juridiques d’ISTEAH : https://www.isteah.edu.ht/index.php/rss/304-programmes-d-etudes-en-sciences-juridiques


Max Dorismond


Note – 1 : Fellow : ce titre se rencontre dans le monde académique, les institutions universitaires ou sociétés savantes ou professionnelles…  Les fellows font partie d'un groupe de chercheurs qui coopèrent dans la poursuite de leur recherche. Les fellows peuvent aussi comprendre des professeurs invités, des chercheurs postdoctoraux ou des doctorants. (Src.: Wikipédia)
Note – 2 : Src. : Le Droit : (Wikipédia).
Note – 3 : GRAHN : Groupe de Réflexions et d’Actions pour une Haïti Nouvelle
Note – 4 : ISTEAH : Institut des Sciences, des Technologies et des Études Avancées d’Haïti
Note – 5 : Réf. : « En Haïti le savoir est un crime et un péché » de F. L. Manigat.

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