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Tuesday, July 31, 2018

Et maintenant que faire de ce pays ?

Par Branly Ogé,




Port-au-Prince, le 25 juillet 2018

Interloqué par la dernière de ces sorties soudaines, inhabituelles et pertinentes de ma voisine Chancelie qui nourrit une piètre opinion de la politique et des dirigeants politiques haïtiens, je rétorquai mollement :

Les carcasses de voitures incendiées lors des violentes
manifestations à Port-au-Prince les 6,7 et 8 juillet 2018.
« Comment ça, nous ! Qui est ce nous-là ? Qu’ai-je donc à voir avec tout ça, Chancelie ! Tu sais bien que je n’ai pu ni encourager, ni agréer et encore moins commanditer les violences des 6, 7 et 8 Juillet déclenchées par l’augmentation inacceptable du prix de l’essence et du coût du transport en commun qui va suivre. »

La discussion s’était poursuivie sur ce ton sans que personne autour de la table ne change d’avis sur le sujet. Toujours est-il que, dans la foulée de ces événements, j’ai dû, en mon for intérieur, admettre que, nous autres intellectuels, cadres administratifs, dirigeants d’organisations politiques et de la société civile, nous autres citoyens plus avisés, nous avons  l’impérieux devoir d’opiner sur la question et de faire entendre clairement notre voix.

Et, tout silence ou atermoiement, toute tergiversation ou ambivalence de notre part risque d’être, à juste titre, interprété, sinon comme une forme de complicité, mais d’extrême tolérance. un crime de lèse-citoyenneté.

A l’évidence, cela fait plus d’une semaine que le pays, particulièrement la zone métropolitaine de Port-au-Prince, a vécu de nombreuses scènes de violence et que les biens de centaines de citoyens et d’entreprises ont été  vandalisés, ou incendiés. Sans parler des pertes en vies humaines.

Et, le grand drame dans tout cela  ? Cet air de déjà-vu, ce sentiment d’impuissance et l’intime conviction que ce déchaînement de passion,cette explosion de violence n’est pas la meilleure façon de vider nos querelles ou d’engager la patrie dans la voie du développement économique et de la modernité politique.

L'annonce de la décision a suscité de vives protestations
et de violences meurtrières.                                        
En fait, nous avons suivi cette voie tout au long de notre histoire, et la nation ne se porte pas mieux pour autant. Depuis quelque temps, elle est même pratiquement devenue un pays en lambeaux, un pays où les jeunes délaissent la campagne et émigrent par vagues successives.
Huit ans après Goudougoudou, le terrible tremblement de terre de janvier 2010, qui a causé d’irréparables dégâts, fait près de 300,000 morts et déclenché un sursaut de solidarité internationale sans précédent dans nos annales, il est navrant de constater, que non seulement le pays n’a pas avancé d’un pouce, mais qu’il s’est mis à reculer.

En effet, des milliers de gens vivent jusqu’à présent sous des tentes, le palais national, le Parlement, le palais de justice et tant d’autres édifices publics n’ont pas pas été  reconstruits.
Dans l’intervalle, l’économie patine, elle fait du sur-place et es services de base sont de mauvaise qualité et quasi inaccessibles. La population s’appauvrit davantage au fil des jours, la déprime s’est installée au sein des foyers, l’insécurité  habite les esprits et l’environnement se dégrade à vitesse grand V. En résumé, plus rien ne va.

Le centre de la capitale haïtienne, notamment la zone de
Delmas a été le théâtre des actes de pillage.                  
C’est dans ce contexte particulièrement morose que se sont déroulées les journées mouvementées de ce début de mois, qui devraient servir de piqûre de rappel et nous inciter à questionner nos actions, engagements, attitudes, comportements, rôles et responsabilités dans le cadre de l’évolution de notre société. Afin d’en tirer des enseignements susceptibles de faciliter un dialogue franc et serein, d’établir et de renforcer des rapports harmonieux entre nos élites et la population.

Et il est indéniable que le pays va mal, et les récents soubresauts qui ont secoué la nation ont clairement fait ressortir le désarroi de la grande majorité de nos concitoyens.
L’observation objective et l’analyse judicieuse des derniers événements nous révèlent les points suivants  :

1) L’existence d’une large fracture sociale et l’urgente nécessité d’élaborer et d’appliquer des politiques publiques orientées, entre autres choses, vers la réduction de la pauvreté et du chômage, la création d’emplois et de richesses, la formation professionnelle, la protection sociale...

2) La violence, et non le dialogue social et politique, est, historiquement, et encore une fois, le mode d’expression généralement utilisé pour manifester nos frustrations, insatisfactions, colères, mécontentements ou ras-le-bol ;ou encore les carences de l'État en matière de gouvernance.

Les pilleurs ont vandalisé et incendié des magasins dans
la capitale haïtienne durant les 3 jours de manifestation.
3) Qu’il s’agisse des actes, conséquences, réactions ou déclarations suscités lors de ces événements, nous faisons tout dans la démesure. Et, au lieu de se déclarer consternés, attristés meurtris, scandalisés ou indignés par les dégâts et méfaits des premiers jours du mois, certains, sans souci de la grave atteinte  portée à l’image nationale, n’hésitent pas, au nom d’une quelconque réprobation des injustices et inégalités sociales historiquement subies par nos déracinés et déshérités du sort, à chercher des justifications ou des excuses au comportement des émeutiers, ainsi qu’aux dysfonctionnements de notre structure sociale.

4) Sauf de rares exceptions, en lieu et place de réflexions et propositions constructives destinées à éviter d’éventuelles rééditions de cette situation catastrophique,  la grande majorité des protagonistes, victimes, observateurs et responsables d'organisations de tous genres, ont préféré accuser, dénoncer critiquer, invectiver les casseurs et présumés auteurs intellectuels de ces actes de brigandage qui ont une fois de plus encore contribué à démolir notre environnement urbain.

5) Nous avons une sainte horreur de la pondération et du discernement;   et ceci transparaît dans les déclarations, écrits, propos, explications, opinions et commentaires émis en marge de ces trois journées de troubles.

Dans un tel contexte, est-il donc nécessaire de signaler que pareil penchant, pareille attitude, au lieu d’apaiser les esprits, ne sert qu’à exacerber les clivages, qu’à attiser les passions et paralyser le fonctionnement de nos institutions. Sans pour autant faciliter les conditions d’un dialogue empreint de franchise, de sérénité et de respect mutuel.

À cet égard, il convient, néanmoins, de souligner le caractère et le contenu hautement positifs du Communiqué de presse du Core Group et de la seconde note de presse du Forum Économique  du Secteur Privé.

6) L’Exécutif souffre d’un énorme déficit de légitimité et ne doit aucunement rester sourd et aveugle aux revendications populaires. D’où l’impérieuse obligation d’initier, d'appliquer un large éventail   de mesures sociales destinées à soulager les couches de la population vivant en situation d’extrême précarité; et d’enclencher une lutte sans répit contre la corruption, la contrebande, la fraude fiscale, la gabegie administrative et l’allocation injustifiée d’avantages financiers indus à des entreprises, des parlementaires et des grands commis de l’État.

Vol et pillage durant les violences  des 6,7 et 8 juillet en Haïti
Dans cette optique, l’élimination des dépenses somptuaires, ainsi que  l’assainissement et le rééquilibrage du budget national au bénéfice de secteurs-clés comme l’agriculture, l’éducation, la santé, l'économie, les affaires sociales et les travaux publics, devraient figurer au premier rang des priorités de l’agenda national. Et ce train de réformes et de mesures contribuerait à  laver l'exécutif et le parlement des accusations de népotisme, de clientélisme et de mauvaise gestion et d’irresponsabilité financière trop souvent portées contre eux.

En dernier lieu, la Présidence a, pour l’instant, tout intérêt à engager un dialogue franc et serein avec tous les secteurs de la nation ;  ce, afin d’élaborer une feuille de route consensuelle et de convenir de la formation d’un gouvernement appliquant des politiques publiques orientées ver la stabilité des institutions, la paix sociale et le développement économique national.

Conséquemment, il nous faut, par-delà nos clivages politiques, économiques, sociaux ou intergénérationnels, mettre une sourdine à nos récriminations pour   galvaniser nos énergies, mettre à contribution nos ressources et initiatives, et faire face, de façon unifiée, unitaire à la grave crise actuelle et aux nombreux défis qu’elle charrie.

En d’autres mots, inspirés de l’esprit de sacrifice, des leçons d’abnégation et de discernement de nos aïeux, et fortement animés des valeurs à la base de la glorieuse épopée de 1804, nous devrons évacuer nos querelles politiques et nous affranchir de nos clans et chapelles politiques. Motivés par la ferme détermination de répondre à l’interpellation de l’Histoire et armés d’un véritable projet de société, nous pourrons ainsi  engager résolument le pays dans le délicat et difficile processus de construction nationale de socialisation politique, de réforme institutionnelle et de développement durable qui nous attend.

Branly OGÉ
Politologue, Consultant Politique



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