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Friday, April 20, 2018

Haïti - Quand on a la violence et l’échec en partage

Dr Gold Smith Dorval

Par Max Dorismond

Dans notre quotidien, nous sommes constamment exposés aux œuvres d’historiens, d’anthropologues, de sociologues… avides de reconnaissance, en plein questionnement sur l’origine des choses, pour mieux saisir notre présent et façonner l’avenir. C’est souvent un foisonnement d’interrogations philosophiques, associatives et interprétatives qui nous laissent parfois sur notre faim, sans vraiment nous édifier, tant la tâche se révèle complexe dans son ensemble. Certaines portes restent entrouvertes. Les réponses dubitatives s’entassent au tréfonds de notre psyché et nous laissent perplexes. C’est l’un de ces déficits intellectuels que vient combler le livre du Dr. Gold Smith Dorval,

« Pouvoir et imaginaire en Haïti – L’expérience coloniale, la vie mentale et sociale du peuple haïtien ».
C’est un ouvrage dans l’air du temps qui dépeint et décortique à la fois les causes probantes de nos déboires et les valeurs humanistes d’un peuple qui a écrit l’histoire. J’ai été subjugué par son écriture économe, intelligente et utile à la fois. Elle vient nous chercher et nous porte à réfléchir sur le mystère de ce peuple de géants qui a fabuleusement contribué à l’édification du monde moderne.

De l’origine à nos jours
Dr. Dorval, sans transcender  notre réalité historique, ratisse très large. Dans un survol littéraire accéléré, il nous entraîne dans les méandres de la sociologie, de la littérature en général, de l’ethnologie, de la psychiatrie, et du spiritisme tout court, pour intérioriser nos valeurs profondes et méditer sur les raisons de notre retard, de notre sous-développement chronique après notre éphémère et singulière parenthèse dans l’histoire mondiale. Sa connaissance encyclopédique a servi de pont lors de ce tour d’horizon à la recherche des maux qui nous assaillent. Devant l’ampleur de la tâche, il se lamente, dans une sorte de confidence intime, en soulignant : « J’ai passé toute ma vie à essayer de comprendre la raison pour laquelle l’absurdité des choses humaines nous pousse parfois vers le néant. Du sophisme à la phénoménologie de la perception, nous avons appris à comprendre le pouvoir d’interprétation de l’esprit confronté aux phénomènes naturels et aux désordres sociaux ».
Dr Gold Smith Dorval - Memories            


Conférencier recherché, poète, pédiatre, psychiatre, pédopsychiatre, écrivain, professeur d’Université, pianiste émérite, compositeur prolifique, l’homme est un touche-à-tout avec plusieurs cordes à son arc. Du haut de ses connaissances médicales, il s’est penché sur les liens de cause à effet dans la résurgence de la violence dans notre société. Toutefois, ce trait de caractère s’avère selon lui « un élément fondamental qui aide à résoudre les conflits et à survivre ». Dans un exemple éclairant, statuant sur notre propension à l’agressivité, il nous fait remarquer, à la page 59, que : « demander à un haïtien moyen de faire des excuses à un autre, c’est comme si on lui demandait de se faire castrer, s’il s’agit d’un homme, ou de se faire exciser, s’il s’agit d’une femme. Tant l’Haïtien est prisonnier d’un orgueil vaniteux. Et même quand il l’aurait fait, on ne sent même pas le sens de la sincérité ».  
           
De la confrontation à l’échec
Dans son livre, Dorval n’a pas lésiné sur le mal originel qui nous a abêtis: la colonisation. Le syndrome de cette tare, engoncé dans son cortège de « violence », est encore omniprésent dans notre quotidien, au point que l’auteur en fait le pivot de son œuvre dans une tentative d’exorcisme de l’inconscient collectif haïtien.

Cette honteuse animosité se révèle être une plaie très difficile à cicatriser. Le comportement méprisant de certains de nos compatriotes attise et maintient la flamme toujours vive.  C’est comme au temps de la colonie. Cette violence, on la retrouve dans tous les rapports entre les frères de sang que nous sommes. Tout autour de nous, l’écho de cette violence  incurable, charpente de la misère crasse qui nous enveloppe, ne cesse de nous triturer et d’interloquer certains de nos visiteurs, pantois, face à ce merveilleux pays dont nous avons perdu le contrôle sur tous les plans.

Lors d’une entrevue de Christophe Wargny1,  après un court séjour en Haïti, ce dernier n’a pas lésiné avec les mots pour faire valoir son point de vue face à ce constat dégradant qui lui sautait aux yeux dès sa première visite à Port-au-Prince : « Ce que je retiens d’Haïti, et peut-être la chose qui m’avait frappé la première fois, c’est un pays où la lutte des classes est d’une violence extrême. Je ne l’ai jamais vue peut-être aussi dure qu’en Haïti, entre une toute petite minorité qui est non seulement immensément riche, mais qui est d’un mépris insondable vis-à-vis du reste. »

Au cours de son cheminement, le psychiatre Dorval a même réinterprété la célèbre formule utilisée par Senghor en 1939, « La raison est hellène, l’émotion est ébène », qui avait suscité quelques interrogations et polémiques sur les idéaux de l’homme noir, dans un passé pas trop lointain. Néanmoins, cette discutable assertion de l’illustre africain   ne fut pas mentionnée par Gold-Smith pour le simple plaisir littéraire. Dans sa description de l’incrustation de la violence dans la culture haïtienne, l’auteur n’avait pas à élaborer trop longtemps pour prouver que nos congénères ont développé le « syndrome de Stockholm », cette sorte d’empathie qui pousse la victime à adorer son bourreau. Le retour triomphal au pays, des dictateurs adulés ou le tapis rouge déroulé à Jean-Claude Duvalier en est une preuve flagrante. N’était-ce sa santé chancelante, ce dernier serait redevenu, en claquant les doigts, Président à vie. Cas pathétique d’un peuple émotif, épousant la violence et dénué de toute mémoire historique !  

Un humble penseur à notre rescousse
Qui de mieux qu’un psy pour nous prendre par la main et nous exposer l’état de notre situation. Le livre du Dr Dorval, écrit dans un langage clair et net, restera à titre d’héritage, une carte maîtresse entre les mains de tous les  intéressés et de tous les décideurs pragmatiques qui ont à coeur le bien-être de la nation.

Tel un cadeau offert à ses frères, ses amis et congénères, le psychiatre, dans sa quête, ne s’est pas contenté d’analyser la violence et ses corollaires. Il a chevauché tous les secteurs de la vie nationale : les arts, l’environnement, le religieux, les mythes, l’objectif des associations ou partis politiques, les services de santé publique, les maladies infectieuses, la médecine alternative etc… Rien n’a été omis. Dans sa description d’Haïti, pour le bénéfice du tourisme, nous retrouvons le poète en extase devant la beauté naturelle de la terre natale. Les sites pittoresques sont décrits dans une prose inspirée et invitante. Aucun coin d’Haïti ne lui est étranger.

Ses solutions énumérées sont simples d’application et serviront facilement de base à toutes sortes de programmes gouvernementaux, au bénéfice de la masse. Car, avant de voir à l’émergence d’Haïti, il faut survoler cette dichotomie, cette brouillerie qui nous accable, pour essayer de mettre, face à face, ses deux entités, le riche et le pauvre, aux fins d’un dialogue consensuel dans le vivre ensemble. Sinon, l’avenir de ce pays ne se résumera qu’à de vagues chimères.
Gold Smith Dorval - Danse d'Erzulie

Enfin, malgré ses multiples occupations, l’écrivain-psychiatre a su trouver l’occasion de pondre cette perle littéraire et faire œuvre utile. Malgré quelques coquilles émaillant un ou deux chapîtres, résultant du laxisme de son éditeur, je salue cette œuvre et remercie chaleureusement l’auteur, au nom de tous ses lecteurs, convaincu que ces petits irritants disparaîtront lors d’une nouvelle édition.

Max Dorismond Mx20005@yahoo.ca



  
Note – 1 : Entretien avec l’historien Christopher Wargny, l’auteur de « Haïti n’existe pas ». Propos recueillis par Jean Durosier DESRIVIERES) dans : « Les Français dialoguent avec les Haïtiens qui leur ressemblent »

Note – 2 : Deux  pièces musicales de G-S. Dorval
a – Memories :  Voir le courriel du 10 avril du 21 :10
b – Dans d’Erzulie :
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