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Thursday, August 3, 2017

Les colons avaient aussi des puces et des morpions en partage (1ère partie)

Par Max Dorismond

La langue française, pour la plupart des ex-colonisés, est indiscutablement un butin de guerre. Ceci étant dit, l’ancien maître avait-il intérêt à tout léguer, à  tout  dévoiler sur les coquins secrets de son patrimoine linguistique ? Je crois que non. Par contre, le hasard qui fait si bien les choses a  fini par laisser derrière lui, comme dans le conte du « Petit Poucet » de Charles Perreault, quelques indices pour nous permettre de remonter le fil de l’histoire aux fins de découvrir quelques mignons petits mystères que nos petits cachotiers de colons avaient intérêt  à garder sous le paillis pour des raisons historiques ou infâmantes.

En regardant de plus près, la littérature nous revient avec certaines expressions qui ont traversé le temps avec leur cortège de souvenirs pour être servis aujourd’hui  sous quelques légers maquillages au gré de la modernité.

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Puce de l'homme
Entrons dans l’univers des insectes pour mieux saisir l’insidieux parcours de notre sujet. Le mot « puce » ne nous est pas du tout étranger. Une cohorte d’expressions a fleuri autour de ces quatre lettres qui définissent en réalité un insecte suceur de sang, un insecte dérangeant dont la démangeaison ne laisse personne indifférent, quelque soient l’époque et les circonstances. Il cristallise les angoisses et les fantasmes humains. Aujourd’hui, on le conçoit avec une certaine connotation romantique et érotique, comme dans ma puce, ma pucelle, dépuceler, dépucelage,  épouiller, mon pouilleux ou des locutions: avoir la puce à l’oreille, remuer les puces à quelqu’un, Le Marché aux puces 1-  etc »… Il ne raconte pas la même histoire qu’aux siècles antérieurs. Par exemple, du Moyen-Age 2- jusqu’au XVIIIe, plusieurs auteurs connus et inconnus en parlaient, tels La Fontaine, dans « L’homme et la puce », Shakespeare, dans la pièce « Henri IV ».  En 1891, Paul Verlaine, dans « Chanson pour elle », fut l’un des derniers poètes «  à être encore émoustillés en observant une femme s’épucer  3-» :
« Lorsque tu cherches tes puces / C’est très rigolo. / Que de ruses, que d’astuces ! / J’aime ce tableau / C’est alliciant en diable… ».

La chercheuse de puce par Nicolas Lancret
Huile sur toile (1720-1730 )
Il est notoire que l’hygiène corporelle, en cette période, laissait à désirer. Pour l’anecdote, les gens pouvaient passer tout l’hiver sans se baigner, sans se laver, si bien que des dizaines et des dizaines de rites et formules employés nous parviennent et s’utilisent encore, mais dans un sens idyllique ou figuré. Citons, entre autres, le « bouquet de la mariée » porté encore aujourd’hui. C’est un vestige hérité de l’hygiène du Moyen-Age. Le mois d’avril était le temps de l’ablution générale, autrement dit, le temps du seul et unique bain de l’année. Lors de cette baignade collective, qui se déroulait souvent dans une sorte de  gros baril, toute la famille utilisait la même eau chaude par ordre hiérarchique. L’eau devenait tellement sale qu’il arrivait à certains de jeter l’eau avec le dernier baigneur qui était, le plus souvent, le bébé de la maison. C’est de là qu’origine l’expression très prisée aujourd’hui en d’autres circonstances : « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Arrivé au mois de mai, le mois habituel des mariages, l’heureuse élue devait porter un bouquet devant elle pour détourner l’odeur insupportable émanant de son corps.

Chasse de puce joyeuse dans la lumière de bougie
(Par Gerrit Van Honthorst
Retournons à nos insectes. Le XVe siècle inaugure la découverte de l’Amérique par les Conquistadores européens. S’en suit au XVIe et au XVIIe la sauvage colonisation. Et le cinéma, qui exhibe ces conquérants de l’époque sous leurs lourds habits d’apparat multicolores, haranguant leurs guerriers casqués, à l’assaut de l’or des autochtones… ne fut que romance. Ils étaient tous des pouilleux. Lors de cette épopée, héroïque pour les conquérants, tragique pour les natifs, les poux, les puces, les morpions étaient parties prenantes de la caravane. En Europe, ces bestioles ne répugnaient pas à grand monde. Se gratter en public n’était pas inconvenant. En tous les cas, pas avant la fin du XVIIIe siècle, au moment où la « civilisation des mœurs » avait atteint son paroxysme et où ce comportement de primates était discrédité. Les indiens, les esclaves importés, à part les « engagés ou 36 mois », connaissaient-ils l’existence de ces bestioles suceuses ? L’histoire est muette là-dessus. Nous ne pourrons nous avancer sur ce terrain pour le moment.

La femme à la puce (1638)
Huile sur toile de Georges de la Tour
Dans l’Europe du XIVe ou du XVe siècle, pucelle et puceau étaient synonymes de virginité des jeunes gens des deux sexes, parce que les puces étaient à demeure sur ces jouvenceaux. Pour perdre ce qualificatif, il fallait procéder au dépucelage au moment choisi. C’est un processus érotique qui se tenait évidemment dans l’intimité, dans une position dénommée aujourd’hui le 69. C’était un rite de passage, où le couple procédait à un épouillage érotique commun avant de passer à l’acte. Exit l’érotisme, c’était aussi un geste social, un signe de tendresse ou de déférence. « Dans le lit, au coin du feu, les maîtresses épouillent leurs amants avec application ; les servantes épouillent leurs maîtres ; les filles épouillent leurs mères et les belles-mères leurs futurs gendres 3- ».

Durant cette période, ce geste épousait la tendance de l’époque et intégrait les mœurs courantes, au point où les amants, pour magnifier cette pratique, conservaient dans un écrin en cristal, or ou diamant, selon la fortune du couple, la première puce qui les piquât, en guise de souvenir impérissable. Enchassée  dans un bijou de cristal, cette puce chanceuse était portée au cou comme une relique. Pour l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, ce lien affectif que cette société d’hier partageait avec ces parasites échappe aujourd’hui à notre entendement. Par exemple, dans son livre « Montaillou, village occitan », il analyse les gestes de sociabilité, où le curé se fait épouiller par sa « dame d’œuvres » en plein soleil Nous devons au scientifique Robert Boyle une nomenclature de ces insectes suceurs : « …les puces se trouvent indifféremment sur tout le corps, les poux dans quelques froncissures (plis) (ndlr) de chemise, les cirons sous l’épiderme, les morpions au pénis et sous les aisselles 4- ».


Max Dorismond



NOTE BIBLIOGRAPHIQUE

11-      Remuer la puce à quelqu’un : Autrefois c’est épouillé quelqu’un, lui enlever ses puces. Aujourd’hui, c’est taper, battre, secouer un enfant, un individu… Marché aux puces : Zone commerciale qui fait référence à des vêtements infestés de puces en vente à partir du XIXe siècle. (Hugo Dumas, La presse du 12-07-2017) – Aujourd’hui : zone commerciale où l’on vend de tout, du neuf comme du vieux. Sorte de foire commerciale. Avoir la Puce à l’oreille : « Cette locution, autrefois, a désigné pendant des siècles, le   tourment et l’agacement amoureux. Aujourd’hui, elle signifie : être au courant de… »
22-      On appelle Moyen Âge, (Ve au XIIIe siècle) ou époque médiévale la longue période d'environ 1000 ans qui, en Europe, sépare la fin de l'Empire romain d'Occident (476 ap. J.-C.) de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb en 1492(ou de la chute du royaume musulman de Grenade en Espagne, la même année)
33-      « La Puce : De la vermine aux démangeaisons érotiques. Camille le Doze » Les Éditions Arkhê, 2010 (France). (page 170)(page 86)

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