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Sunday, March 16, 2014

Être Haïtien à New York (deuxième partie)

Estey Piano Company in the Bronx
Si l’on accepte la proposition que les deux principales motivations de l’exode des Haïtiens vers les Etats-Unis sont d’ordre politique et économique, il convient de se demander s’ils ont réussi leur pari. La réponse est : oui. Sur le plan politique, les immigrants haïtiens de New York jouissent de toutes les libertés dont la dictature des Duvalier les avait privées : ils peuvent maintenant pratiquer sans aucune crainte de censure les libertés fondamentales d’opinion, d’expression et d’information comme cela est courant dans la société démocratique américaine.

La plupart des immigrants haïtiens en profitent d’ailleurs largement et une telle attitude tend à rendre de plus en plus difficile  la restriction des libertés en Haïti. Cependant, si la diaspora haïtienne établie à New York n’a aucune crainte à faire entendre ses opinions politiques vis-à-vis du comportement des autorités haïtiennes en Haïti, le citoyen ordinaire haïtien vivant au pays tend à conserver une certaine retenue dans les critiques qu’il porte à l’encontre des gouvernements haïtiens.
File:LOC Brooklyn Bridge and East River Edit 3.jpg
Le pont de Brooklyn , le premier des sept ponts construits
 dans l'East River , relie Long Island avec l'arrondissement
 de Manhattan.                                                                            
Sur le plan économique, un certain nombre des immigrants haïtiens de New York ont souffert des grandes différences entre la réalité sociale américaine et la réalité sociale haïtienne au cours de leurs premières années dans cette  mégapole. Dans les interactions de la vie quotidienne, ils ont toujours été les grands perdants par suite de facteurs comme la différence linguistique, le racisme, l’absence de repères sociaux…Les premiers immigrants haïtiens à New York ont été généralement des membres des classes moyennes avancées qui fuyaient la répression de François Duvalier.

File:Manhattan from top of the rock.JPG
  New York City est une grande ville , mais c'est Manhattan
 qui représente la ville , et parfois l'ensemble des États-Unis
C’était au début des années 1960. Un peu plus tard, au début des années 1970, quand vivre en Haïti commençait à devenir un enfer, à la fois au plan politique et au plan économique, les immigrants haïtiens provenaient de toutes les couches sociales et économiques.

Stéphanie Melyon-Reinette
Selon la sociologue antillaise Stéphanie Melyon-Reinette , en 2000, « Les Haïtiens travaillaient principalement dans le domaine de l’Education, de la santé et dans les services sociaux comme beaucoup de Caribéens…Puis, ils se trouvent dans le domaine des arts, du spectacle, de l’hôtellerie, et la restauration avec 33 420 personnes, soit 14, 6%...Le salaire moyen d’un Haïtien, toujours selon Stéphanie Melyon-Reinette en 2000, s’élevait à 36 000 USD par an, contre 38 500 USD par an pour les Jamaïcains, 41 960 pour les Guyanais et 36 300 dollars pour les Trinidadiens/Tobagoniens. » (page 28).

File:Ling Caik-su.jpg
Chatham Square and Lin Zexu Statue
A New York, aux deux langues, le kreyòl et le français, qui ont depuis toujours été réparties inégalement dans l’usage des locuteurs haïtiens, s’est ajoutée une troisième, l’anglais. C’est la langue dominante de la société d’accueil et les immigrants haïtiens sont forcés de communiquer dans cette langue. La maitrise de la langue anglaise représente l’un des tout premiers handicaps auxquels les immigrants haïtiens de la première génération ont à faire face. 

Une vue de l' Eastern Parkway durant un 'Labor day"
De nos jours, si l’on excepte les nouveaux arrivants, une grande partie des immigrants haïtiens manifestent une relative compétence en anglais, particulièrement dans le domaine de l’oral. Le kreyòl demeure cependant la langue la plus utilisée dans la communauté linguistique haïtienne et beaucoup de trentenaires de la seconde génération sont aussi à l’aise en kreyòl qu’en anglais. En fait, dans les quartiers de grande concentration haïtienne situés à Brooklyn et à Queens, de plus en plus d’Américains (Noirs et Blancs) connaissent quelques expressions de base du kreyòl, comme « Sa k pase ? » « Ki jan ou ye » ? « N ap kenbe ? » « Mèsi anpil »

Utica Avenue
L’un des plus grands problèmes que les immigrants haïtiens doivent affronter dans la société américaine et particulièrement à New York est l’image que leur renvoie cette société. Pratiquement, chaque groupe ethnique conserve une image plus ou moins négative de l’immigrant haïtien. Même chez les Caribéens que la société américaine a pris l’habitude de rassembler sous un terme générique, « West Indians », les représentations haïtiennes sont d’une manière générale loin d’être positives. Les Haïtiens ne sont pas considérés tout à fait comme des Caribéens malgré leur présence et leur forte implantation dans la Caraïbe, et surtout malgré cette culture commune créole qu’ils partagent avec les « West Indians » et qui possède des structures sociales similaires héritées des Africains et des Européens. 

Mary C. Waters
Voici comment , Mary C. Waters professeure de sociologie à Harvard, rapporte les représentations des immigrants haïtiens à New York dans son livre « Black identities. West Indian Immigrant dreams and American Realities Harvard University Press, 1999 ». « Bien que les Jamaïcains soient décrits en termes négatifs et positifs, les Haïtiens sont décrits par les différents groupes dans les termes les plus négatifs possibles. Les Haïtiens ont définitivement une mauvaise réputation. Toutes les personnes auxquelles nous avons parlé partagent plusieurs stéréotypes négatifs sur les Haïtiens. Beaucoup de ces stéréotypes ont leur origine dans le fait qu’Haïti soit un pays très pauvre et la source des immigrants les plus pauvres à New York. 
Les Haïtiens sont  décrits comme des gens bruyants, mal habillés, qui ne se baignent pas assez, qui dégagent une mauvaise odeur, et qui vivent comme des sauvages, dans la crasse et des conditions sordides, avec plusieurs personnes dans la même chambre. Les Haïtiens sont aussi décrits comme des personnes agressives, égoïstes, et arrogantes qui n’hésiteraient pas à tricher si elles en ont l’occasion. Beaucoup de gens mentionnent les pratiques du vodou comme une autre menace posée par les Haïtiens. Certains enseignants décrivent beaucoup de tensions dans les écoles où de nombreux élèves d’origine « West Indian » méprisent les élèves haïtiens. Ces conflits sont exacerbés parce que peu d’Haïtiens parlent anglais, et le fossé linguistique rend les amitiés proches et les alliances problématiques parmi les gens de la première génération. » [ma traduction de la page 60]
Par :Hugues Saint-Fort


Fin de la deuxième partie - à suivre



Quelques photos de New York et ses agglomérations
 Vue aérienne du Bronx, Harlem River, Harlem, le fleuve Hudson, George Washington Bridge
Co-op City Hutch River

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