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Saturday, April 20, 2024

Des humiliations à se flamber la cervelle

 Par Max Dorismond

 

Lorsque l’international parle de nous les Haitiens, voilà l’objet de ses chuchotements autour d’un whisky

            Fort de la réflexion à laquelle nous astreint notre lecture collective, l’écran de nos pensées nous renvoie bien souvent un spectre lumineux, teinté de rage, de haine, jusqu’à blesser notre orgueil au point de songer au pire pour tous ceux qui sont aux commandes de notre patrie de naissance.

            En ressassant simplement l’histoire contemporaine de notre île, sans traverser la frontière du passé à l’envers du décor, certains chapitres distordus viennent nous chercher au plus profond de nous-mêmes.

            J’ai souvenance encore de cette gifle sonore de Jovenel Moïse flanquée au visage du Venezuela en votant contre lui à l’OEA1, le 10 janvier 2019, pour faire plaisir aux Yankees. Ce fut une baffe à écho qui déstabilise le commun des Haïtiens. La honte avait recouvert la nation entière d’un linceul de déshonneur, à un point que le peuple, meurtri dans son amour propre, ne daignait élever la voix. Pas un mot, pas une manifestation ne venaient troubler l’onde de ce silence sépulcral dans lequel avait pataugé le pays, qui rougissait devant ce voisin charitable qui lui avait tendu la main dans les moments les plus sombres de son vécu.

            Et qu’arriva-t-il à ce serviteur zélé? Il fut écrabouillé de 12 balles dans l’intimité de sa chambre à coucher, qui était pourtant truffée de caméras. Le patron qui sait tout, qui connaît tout, qui contrôle tout, qui appréhende tout, n’a pas daigné lever le petit doigt pour protéger sa marionnette!

            Nos frères, pour un oui, pour un non, crachent au visage de leur interlocuteur la fierté d’être des Nègres d’Haïti, ces Nègres irradiants qui n’avaient nullement quémandé leur indépendance, ces météores lumineux qui avaient fait trembler l’Europe esclavagiste, ressemblent à des minus dans l’adversité.

Et pourtant, l’histoire n’a jamais osé les démentir. C’est une réalité qui dérange encore aujourd’hui, si bien qu’un écrivain français irrité, un certain C. Textier, eut à souligner, en 1891, que « L’Haïtien n’est pas seulement vaniteux à l’excès, il est orgueilleux au-delà de toute mesure. Dans la discussion la plus futile, il fait preuve d’une jactance et d’une emphase ridicules... 2 ».

On peut aisément deviner la gêne de ces camarades quand ils constatent les courbettes robotiques de leur premier magistrat devant les dirigeants de ce monde. Leur fierté symbolique en a pris pour son rhume, face à ce genre d’image qui laisse des traces dans l’imaginaire collectif. Rongeant leur frein de l’intérieur, ils assouvissent leur rage en le traitant de tous les noms. Tous les adjectifs dégradants y ont prêté leurs béquilles à cette litanie de pseudonymes.

Pour l’excuser ou le dédouaner de cette odieuse manie, certains déclarent qu’il souffre de lombalgie, une douleur chronique du dos. Plusieurs autres soutiennent qu’il est un invertébré naturel, habitué à ramper.

Cette tendance, qui flirte avec la prédisposition d’une obéissance hors limite d’un idiot utile, fut-elle payante? Voyons voir!

Confiant dans la fidélité sans bornes de ses employeurs, notre premier citoyen s’est envolé pour le Kenya, en Afrique, avec l’assurance que tout était dans le sac. Mais, hélas, ce fut l’ultime courbette dans ce voyage de non-retour.

Le terme « humiliation » est trop terne pour décrire la situation loufoque dans laquelle se trouvaient tous les compatriotes, sans distinction. Faute de pleurer, on rigolait comme des niaiseux, mais ce fut une joie sans enthousiasme, un refrain froid sans étincelle, une clameur au rictus endurci, puisque nous étions certains de nous amuser à nos dépens.

 Notre chef, devenu apatride, n’avait pour palais que les aéroports des Antilles. Sans pays, plusieurs caricaturistes se sont payé sa tête. Et là encore, en notre for intérieur, on s’auto-mutile. Les humiliés, c’est bien nous, c’est Haïti! Le monde entier, étonné et surpris, se meurt de rire.

Pour faire court, nous avons simplement mis en évidence ces deux cas, mais il en existe des centaines à remplir une encyclopédie où les agents scélérats ont été roulés dans le sable mouillé, là où ils avaient érigé leur château de cartes.

À bien réfléchir, nous pouvons stipuler que ces pseudo-patrons, en notre absence, nous définissent, dans la subtilité des chuchotements, comme une clique de singes ou de macaques échappés d’Afrique. À preuve, Donald Trump, le baveux, n’avait pas hésité un seul instant à traiter publiquement notre pays de trou de merde (Shit-hole).

Et il n’est pas premier à nous ridiculiser devant l’histoire. Citons le chef des troupes de l’occupation (1915-1934), le colonel Littletan T.W. Walker, USMC4, qui nous taxait de « monkeys », singes, ou du major USMC, Smedley D. Butler, le 14 juillet 1916, qui décrivait dans une lettre à son père, le député Thomas Butler, l’assassinat de Me François Gauvin en ces termes : « je venais d’écraser un misérable ravet (cockcroach)5 ».

Notre mésentente proverbiale leur en apporte la confirmation et nous coûte ces épithètes déshonorantes. Depuis 1804, c’est le bordel assuré, dans des dérapages victimaires et dans des déchirages de chemises, où défilent des egos surdimensionnés autour d’un pouvoir tentaculaire pour une nation qui saigne de ses propres blessures.

Les évènements de ces derniers jours nous le valident pleinement. Les États-Unis, contrairement à leur habitude, ne veulent plus envoyer de soldats pour nous aider à nous débarrasser des gangs que leurs armes ont rendus presque invincibles. Ils ont demandé au Canada qui avait d’abord accepté, puis refusé. En fin de compte, les deux proposent la venue à notre rescousse de gens qui nous ressemblent : c’est la police kenyane, d’Afrique, un corps en proie à de semblables agitations irrésolues sur son territoire.    

À l’orée de cette troublante imposition, nous n’avons qu’à imaginer leur conversation méprisante à notre égard, en devinant l’ambiance autour d’un bon verre où l’alphabet de la faune africaine fut énuméré avec frénésie et arrogance.

Et finalement, ne voulant plus jouer au Bwana tropical de la néo-colonisation, ils décidèrent de confier le futur d’Haïti à des petits « zilés3 » de la Caraïbe, à de célèbres hésitants, bénéficiaires de leur indépendance, grâce à la générosité calculée de leurs propriétaires. Ce sont de joyeux lurons des pays nains, dont la totalité de leurs superficies cumulées n’égale pas la moitié d’Haïti. Ce sont des « Chiken George6 » qui nous méprisent à l’aune de leur nez, nous reprochant d’avoir dérangé la quiétude de leurs maîtres.

Nous considérant toujours comme des bêtes sauvages, ces pseudo-maîtres ont ignoré royalement notre constitution pour inviter cette faune d’anciens serfs à nous proposer une solution de sortie de crise avec la création d’un Conseil Présidentiel à 9 têtes pour animer le cirque; un monstre machiavélique, boursouflé d’intérêts, qui ouvre la porte à toutes sortes d’interprétations destinées à troubler la paix d’Haïti pour les vingt-cinq prochaines années.

Réveillons-nous, bande de saligauds, le temps est venu d’envoyer chier le blanc tant adoré!

 

Max Dorismond

 

-NOTE-

1 - Enfin, le 10 janvier 2019, le représentant de l’OEA de Jovenel Moïse a voté contre le Venezuela, choquant les Haïtiens à travers Haïti et sa diaspora. Src. : « Le Journal les Aternatives » du 27-08-2020. Titre : « Haïti : la voyoucratie avec Washington et le Canada contre le Venezuela ».

2 -  C. Textier en 1891 dans son ouvrage sur Haïti: "Au Pays des Généraux."

3 – Zilé : terme créole désignant les petites îles dans la mer des Caraïbes.

4 – USMC : United States Marine Corps (Le corps des marines des États-Unis).

5 – Dr Georges Michel : « Les erreurs des USA en Haïti » Le Nouvelliste du 10 mars 2004

6 – Chiken George ou (George Poule en français): Nom d’un esclave de maison dans la célèbre série « Racine « de Alex Haley. Métis et cocher de son état, Chiken Georges se prend à rêver à titre d’héritier du colon qui s’est empressé de le décourager dans ses illusions.

 

 

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