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Tuesday, October 6, 2020

Un dernier hommage du Professeur Samuel Pierre à Me Dorval

Les avocats du barreau de Paris durant leur hommage à Me Dorval

À ce brillant esprit, disparu, que le monde a pleuré amèrement, le Professeur Pierre a jugé nécessaire d’apporter sa voix pour souligner ce départ  tout aussi cruel que prématuré. Reconnaissant le génie de ce grand personnage, le Professeur a trouvé des mots électrisants pour saluer sa mémoire, sa compétence, et son éphémère passage au milieu des siens, de son pays qu’il voudrait bien voir évoluer dans le sens de l’histoire.hg

Jusques à quand?

« Me Dorval n’est pas au service de lui-même. Je ne m'appartiens plus, j'appartiens au pays. Je fais le sacrifice de ma vie pour servir le pays. J'aime ce pays. Nous avons une grande histoire ».Tels furent les derniers mots du professeur Monferrier Dorval !

Des propos qui constituent en soi un legs puissant laissé par maître Dorval à ses compatriotes soucieux de changements positifs pour le pays.

Une déclaration de patriotisme à la fois sublime et authentique qui tranche avec l’opportunisme mercantile qui devient de plus en plus la marque de commerce de notre société.

Une prémonition trop vite réalisée et qui a fait perdre au pays un de ses plus brillants esprits.

Mieux encore, une de ces figures, de plus en plus rares au pays, qui a fait de l’intégrité et de l’indépendance d’esprit le fil conducteur de sa pensée et de son action.

Une déclaration qui se termine par un rappel de la grandeur de notre histoire. Une grandeur passée, contrastant tristement avec notre descente aux enfers que nous ne faisons que constater.

Une descente aux enfers qui nous semble sans limites et qu’aucune volonté, quelle qu’elle soit, ne semble capable de freiner.

Un des plus illustres personnages de notre indépendance et de notre histoire, Toussaint Louverture, au moment de sa déportation sur ordre de Bonaparte au fort de Joux où il meurt le 7 avril 1803, avait lui aussi prophétisé ce qui suit:

« En me renversant, on n'a abattu que le tronc de l'arbre de la liberté des Noirs; il repoussera par les racines parce qu'elles sont nombreuses et profondes. »

Pouvons-nous espérer, au regard de ces deux puissantes déclarations datant l’une de 1802 et l’autre de 2020, que Haïti serait à la veille d’une nouvelle ère? Une nouvelle ère de libération, d’émancipation véritable, d’une réelle indépendance avec un réel droit à l’autodétermination et à la prise en main de son destin. La société haïtienne entretient désespérément cet espoir.

Le professeur Dorval rentre désormais dans ce club sélect de patriotes distingués qui ont travaillé toute leur vie pour une Haïti meilleure. Cette classe restreinte de citoyens et de vrais défenseurs de la justice pour tous, qui ont payé de leur vie leur attachement à un État de droit, à un État moderne, à un État qui est à l’écoute de sa population et qui se met à son service. Un État qui protège les faibles et les plus démunis en leur donnant accès aux services de base auxquels ils ont droit, dans la dignité et l’autonomie qui élèvent chaque personne au statut d’être humain à part entière. Au statut d’être libre.

C’était le combat mené par Toussaint Louverture quand il a été déporté en 1802.

C’était aussi le combat mené par Dessalines qui a été assassiné au Pont-Rouge le 17 octobre 1806.

C’était aussi le combat mené par Charlemagne Péralte qui a été assassiné le 1er novembre 1919 près de la Grande-Rivière-du-Nord.

En fait, c’était le combat mené par plusieurs figures progressistes de notre histoire, lointaine et récente, des personnalités qui ont consacré presque toute leur vie à lutter pour l’avènement d’une Haïti meilleure.

Monferrier Dorval est donc de cette lignée de grandes figures de notre histoire qui ont fait le sacrifice de leur vie pour servir le pays en citoyen responsable.******

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, à la destruction de toutes ses vies humaines – innocents pauvres, innocents riches, innocents ni riches ni pauvres – sans pouvoir leur rendre justice ou mettre fin à cette furie mortifère?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, à l’assassinat de nos héros de tous les temps, dans une parfaite impunité qui fait de chaque personne vivante une proie facile pour les meurtriers sans pitié ni états d’âme?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, à la transformation du pays en un enfer où l’espoir d’un lendemain meilleur se dissipe de jour en jour pour ses paisibles citoyennes et citoyens?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, au départ massif de nos jeunes vers des cieux qu’ils anticipent plus cléments, parce que la société haïtienne n’est pas capable de leur fournir un brin de perspective d’avenir?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, à la méfiance collective qui nous empêche de nous mettre ensemble pour trouver notre voie, un vivre-ensemble qui accepte nos différences, dans le respect des uns et des autres, tout en réduisant les énormes inégalités et l’injustice ambiantes?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, au sauve-qui-peut généralisé qui nous condamne à l’indifférence envers le sort des personnes en désarroi que nous croisons sur nos chemins et à qui nous refusons toute manifestation d’empathie?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, à la dictature d’une minorité non inspirée ni inspirante, qui entraine une majorité silencieuse au découragement, à la faillite, au désespoir, à la peur, à l’abandon du pays, en enlevant toute valeur à la vie humaine?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, à la détérioration de notre image collective, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, comme un pays incapable de se prendre en main et qui s’enfonce chaque jour davantage dans l’anarchie, l’insécurité et la pauvreté?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, au positionnement d’Haïti comme chef de file mondial des pays exportateurs de talents qui ne sont pas reconnus pour leur mérite, ni promus à cause de leurs compétences, ni valorisés pour leur savoir-être, ni protégés par la terre qui les a vus naître?

Jusques à quand allons-nous accepter, pays pauvres que nous sommes, que les familles investissent massivement dans l’éducation de leurs enfants pour qu’ils aillent, finalement, œuvrer au développement et à l’enrichissement de sociétés plus nanties que nous?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, aux assauts quotidiens portés à l’État de droit et à la lutte contre l’impunité, quand on sait que c’est la seule façon d’arriver à une société plus juste et plus vivable pour les citoyennes et les citoyens de toutes les classes sociales?

Jusques à quand allons-nous accepter, impuissants, à ce que notre système judiciaire propage l’injustice et entretient l’impunité qui met en danger la vie de toutes les citoyennes, de tous les citoyens, même celle de nos plus éminents juristes?

Jusques à quand allons-nous accepter, impuissants, que les porteurs de lumière soient lâchement abattus afin de maintenir – le plus longtemps possible et le plus grand nombre possible – dans une profonde obscurité qui compromet tout espoir de progrès social?

Jusques à quand allons-nous assister, impuissants, à ce que le rêve du professeur Monferrier Dorval de maintenir Haïti dans la grandeur de son histoire disparaisse avec son départ tout aussi cruel que prématuré?

Jusques à quand?

Samuel Pierre

25 septembre 2020



1 comment:

  1. DESSALINES avait prôné "L'Union fait la force". Nous savons qu'il y a un cancer intestinal et nous savons qu il faut s'unir. Ma question à toi:"comment y arriver en tenant compte de tous les barrages en place?"..

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